Le vrai message que nous attendons

En décidant, enfin, de rompre son long et énigmatique silence, le président de la République, Béji Caïd Essebsi est-il en mesure de désamorcer une crise sociale profonde et complexe ?  Tout en ne pouvant que reconnaître le caractère légitime des revendications des jeunes frustrés et de plusieurs régions oubliées du développement, l’on ne peut que se demander s’il a en mains les clefs des réponses, les moyens d’apaiser la colère et d’éviter la propagation de ces mouvements ?  Face à la défaillance des partis signataires de l’accord de Carthage, à l’absence d’un soutien effectif au gouvernement, à l’incapacité de ce dernier à gérer d’une manière optimale les situations de crise, l’entrée en scène du président de la République était attendue, mais elle semble très tardive. Avec le pourrissement de la situation dans les régions, la radicalisation de certaines revendications et leur récupération à des fins politiciennes, quelle que soit la teneur du message qu’adressera le président de la République aux Tunisiens, sa portée ne peut qu’être limitée.
Dans la course à laquelle se livrent les partis politiques pour conforter leur positionnement en prévision des prochaines échéances électorales, tous les coups bas sont possibles, comme le montrent les appels à des élections législatives et présidentielle anticipées et au changement du gouvernement Chahed. Avec l’attentisme et l’immobilisme qui ont longtemps duré,  les cartes sont brouillées et très peu ont conscience des intérêts de la Tunisie, des défis qui la guettent et des impératifs à satisfaire pour éviter que le pays ne sombre dans les affres d’une crise qui n’épargnera personne.
Il aurait fallu que le président de la République intervienne dès la première semaine pour tenir un langage de la vérité, pour  mettre en garde contre les graves dérapages qui sont en train de resurgir sur fond d’exploitation par certaines parties de la corde régionaliste, rappeler aux signataires de l’accord de Carthage à leur engagement moral et aussi au gouvernement à l’impératif d’agir efficacement pour répondre aux attentes des régions et des jeunes mais également pour faire prévaloir la primauté de la loi et de se défaire de tout laxisme ou d’hésitation.
Sa réapparition symbolique, compte tenu des pouvoirs qui lui sont donnés par la Constitution, ne risque pas de changer de fond en comble la donne. Le constat est connu par tous depuis une longue période, les thérapeutiques aussi, mais c’est la volonté qui a fait défaut et la détermination qui a été souvent battue en brèche par des pressions qui fusaient de partout et par le parasitage systématique de partis politiques qui ne brillaient que par leur défiance du pouvoir et le rejet de toute réforme.
Que pouvait annoncer le président de la République ? Certainement pas une nouvelle initiative comparable à celle qui avait  conduit,  il y a presque un an,  au départ de l’ex-chef du gouvernement Habib Essid dont la gestion des affaires publiques fut aussi calamiteuse que les gouvernements qui l’ont précédé ! Si tel sera le cas, il provoquera une nouvelle crise politique majeure en Tunisie, dont les caisses sont vides, qui vit un malaise social qui a atteint son paroxysme et  dont elle ne sera pas en mesure d’en maîtriser les dégâts ou d’en prévoir les effets pervers.
Il n’annoncera pas non plus la fin de l’alliance avec Ennahdha, qui ne cesse de souffler le chaud et le froid et fait tout pour tirer avantage de toute  crise qui apparaît dans le pays pour se présenter dans les habits d’une  alternative crédible et solide. Il ne se hasardera pas, non plus, à déclarer la mort de l’accord de Carthage, dont les signataires agissent en rang dispersé, en mettant en avant leurs intérêts et non ceux de la Tunisie.
Ce dont on a besoin, en revanche, c’est  d’un message de confiance, d’espoir, de clarté, de vérité qui permet de mettre un terme à l’anarchie qui règne, à la dilution des responsabilités, au déni du droit. Un message qui mettrait tout le monde devant leurs responsabilités pour servir la Tunisie et non pas se servir.

Related posts

Le danger et la désinvolture 

Changer de paradigmes

El Amra et Jebeniana