L’écho de l’infâme «censeur»

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Les débats sur la liberté d’expression ne cesseront jamais. Une véritable navigation dans les rêves, les espoirs, les désirs, les aspirations et les fantasmes, qui ne connaîtra jamais de repos. Pourtant, une analyse objective de la question est sans cesse repoussée comme une Odyssée qui n’en finirait pas de ne pas commencer ! Accepter de se plonger dans la complexité de cette situation n’est guère, pour certains, dans l’air du temps. Accepter l’idée qu’on ait pu être mêlé, de près ou de loin, à un malentendu, non plus. Résultat : le niveau de ces débats s’est affaissé entre l’indignation parfois hystérique des uns et l’indifférence à l’objectivité des autres. Cela n’empêche que cette question et ses variations restent à analyser plus finement, en fonction de plusieurs particularités dont le rôle des réseaux sociaux et les plateformes qui servent de caisse de résonance à une tendance anarchiste en ligne.
Entre les extrêmes, entre l’outrecuidance de l’ambition libertaire et l’inhibition de la confiance dans les lois dites de «moralisation» dans une société déboussolée, il appartient aux «sages» d’ouvrir des voies plus sûres, d’installer raison et réflexion dans cette «collectivisation» de l’abjection, dans cette «démocratisation» de l’ignorance, dans ce permis de se prêter à des jeux de posture.
En ces temps de mobilisation des ignorants, de diffusion des mensonges et d’extension d’une fainéantise intellectuelle désastreuse, le recours à la raison n’a jamais semblé aussi compliqué et décrié. Chacun s’est fait le chantre de la liberté d’expression contre l’infâme «censeur». L’ennui, c’est que le «censeur» n’est qu’un inquiétant écho en chacun d’entre nous, aussi passons-nous notre temps à l’inventer. Chacun cherche censure à son pied ! Une impasse fortement émotionnelle dans laquelle il ne peut y avoir que des «voix libres» et des «censeurs», sachant que plus il y a d’émotions et de fantasmes dans les débats sur ce sujet, plus largement ils attirent l’attention.
Rien n’est simple en la matière, surtout que les risques de dérapages subsistent néanmoins sur cette question sensible, comme l’ont montré les récentes instrumentalisations, mais il s’agit de ne pas oublier que la liberté d’expression est une condition élémentaire de la démocratie et elle peut en devenir l’ennemie lorsque, loin de débattre, de critiquer, de proposer ou de contester, elle insulte, offense, perturbe, incite à la violence et se laisse gagner par les mensonges, les désinformations et la haine. Je considère que dénoncer ces torts ne revient pas à restreindre mais bien à renforcer la liberté d’expression et la crédibilité pour y parvenir. Il va sans dire qu’elle repose sur un pari déjà ancien : ses dérives ne seront jamais aussi nuisibles que son étouffement. Mais il ne faut pas oublier, aussi, qu’on ne sait pas à quel moment le déchaînement libertaire se révélera pire que la censure !
Alors que faire ? Il faut reconnaître, d’abord, que tous ceux qui se débattent ne sont ni anges ni démons par nature. La vérité et la contre-vérité, à l’instar de la vertu et du vice, sont des produits «comme le vitriol et le sucre», selon la belle comparaison de l’historien et philosophe français Hippolyte Taine. Car il est question de respecter une certaine relativité, de se conformer à sa dialectique, à supposer que cette dialectique soit acceptée par tout le monde, ce à quoi devraient s’atteler les débatteurs. Au fondement de cette dialectique, impérieusement, ne pas permettre l’absolutisme.
Il est temps de sortir de l’irrationnel, de l’émotionnel et du sectarisme et de créer les conditions d’une liberté d’expression authentique qui permette d’échapper à l’enfermement dans des clans et des idéologies.
Il est pour le moins troublant, pour ne pas dire révoltant, qu’il faille rappeler, aujourd’hui, de telles évidences à une intelligentsia qui, jusqu’à nouvel ordre, se présente comme le porte-drapeau fantasmagorique d’une «délivrance révolutionnaire» imaginaire.

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