Leçons d’une bande féminine

Par Khalil Zamiti      

Avec ou sans individualisme, cet effet du capitalisme, la propension grégaire, outrepasse l’espace et le temps planétaires. C’est pourquoi la bande ludique ou machiavélique qui va de soi n’a rien d’énigmatique et son explication n’aborde guère les parages du mystère.

Dans tous les cas de figure la bande sécurise, apaise, renforce la personne et congédie le spectre de l’angoisse. Car la solitude, lieu matriciel de l’ennui mortel, ouvre sur l’univers où prospèrent les affaires suicidaires. Cependant, par-delà ce constat préliminaire une différenciation suggère un supplément de réflexion et un surcroit d’investigation.

En effet, à l’ère de nos grands-pères et de la femme au foyer, une bande féminine relevait du quasi impensé. Toutefois, aujourd’hui tel n’est plus le cas. L’accès à la rue, au taxi, au café, à l’université, aux réseaux sociaux et aux libertés modifie le style de vie. Cependant, par un processus de retard culturel, des catégories de pensée venues de l’ancienne société incitent encore à relier bande et masculinité. Au cas où l’observation débusquerait l’aberration de pareille nouaison, une autre cloison dressée entre la femme et l’homme par le sexisme ordinaire serait levée, n’en déplaise aux tenants du fixisme, postulat cher à l’apôtre du salafisme. Irréductible à l’étage biologique, le phénomène social de la bande a partie liée avec le niveau des représentations symboliques.

Pour les jeunes femmes émancipées contre vents et marées il implique l’accoutumance à l’espace public et une division des tâches spécifiques.

 

La femme n’existe pas

Belles, très belles, Cyrine et Fériel auront donc à exceller dans l’art d’aguicher. Mais une fois le rendez-vous fixé par les allumeuses chargées d’assurer la fonction de rabatteuses, les délicieuses disparaissent pour confier à Fattouma, la guerrière, le soin d’aller croiser le fer. Au moment où sonne l’heure de vérité elle applique sa tactique à l’homme surexcité. À l’instant précis où il se croit tout permis, l’ordre, indiscutable, fuse : «Non, chéri, pas comme ça, mets-toi, plutôt sur le dos». Le mot «chéri» sonne faux. Elle bondit aussitôt et par une série de va-et-vient ininterrompus, le corps à corps sans cœur à cœur provoque l’éjaculation avant la pénétration. Une fois vidé, le naïf et plumé ne présente plus aucun danger.

Le voici neutralisé, car il s’agissait bien de s’en débarrasser. La procédure mise en œuvre et à l’évidence mille fois usitée, avait tout l’air d’être bien rodée. Or, pour le floué insatisfait, la solitude commence là où finit la réciprocité ! Mais reprocher à la coquine sa gesticulation sans vie lui ferait perdre la face et cela romprait la relation. Si tel, malgré tout, n’est pas mon intention, je lâche le réflexe automatique pour la haute voltige politique. Alors j’arrondis les angles pour lui écrire ceci : «merci pour ton agréable présence, mais c’est encore mieux de regarder, tous les deux, dans la même direction.»

J’attends sa réponse avec l’espoir de voir Emmanuel Mounier me pardonner de le plagier.

 

La bande organisée

Les jeunes femmes s’y mettent à six ou sept et au terme de grandes manœuvres partagent la recette. Quand l’une d’elles vend la mèche, dans un moment inespéré, alors l’intrigué, mis au parfum, perce le secret de la bande organisée. Le mini-clan bute parfois sur l’indiscrétion, arme préférée de l’inquisition. Le père à œillères coutumières inspecte le portable de sa fille et surprend un message peu sage. Pris de rage, il projette le coupable du haut de l’étage et pousse des cris sauvages.

Les néandertaliens jaloux rodent parmi nous. Coincée entre les signaux contradictoires d’une liberté surveillée avec une main tenue par la tradition et l’autre tendue vers la modernité, Cyrine, exaspérée, stressée, m’appelle en pleurs et finit par se décider. Le vase déborde avec le portable brisé. Indignée, l’écartelée quitte le domicile familial à vingt-deux ans et assume la perspective de louer avec deux copines disposées au partage des frais. Ce passage de la meute masculine à la bande féminine, aubaine bourguibienne, illustre l’unique énonciation sûre et certaine dans le domaine des sciences humaines.

Produits et producteurs du lien social en perpétuelle transformation, la femme, l’homme ou l’enfant n’existent pas sous forme d’invariants.

L’utopie essentialiste et fixiste, chère aux islamistes, rate la piste. Pour appliquer la charia, il aura fallu bastonner sans grand, ni même petit succès. Une lame de fond nommée transformation, mutation, progression, libération ou émancipation est au principe du volcan dressé à Tunis et au Caire contre les espèces de Frères musulmans. Le reste, bien moins solide, mime les rides esquissées à la surface, calme, de la mer au petit matin, quand la brise légère commence à effleurer, sur terre, les joues du promeneur solitaire.

Les politiciens se croient beaux, mais la dynamique profonde leur assigne le rôle de seconds couteaux. Enlisés dans les sables mouvants de l’émancipation d’où émanent les effluves du ressentiment contre l’oppression, les nahdhaouis au pouvoir perdent le sens du réel et le contrôle de la situation. À quoi sert leur «nouvelle feuille de route» après une si belle déroute ? L’échec de la gestion politique patauge dans le bourbier de l’impair sociologique, tant le niveau global surplombe l’échelle sectorielle. Avec son paradigme du «philosophe roi», Platon avait subodoré ce prima de l’ensemble eu égard aux parties.

Mais il nommait «philosophie» l’espace d’un savoir bientôt envahi par la sociologie où une relation à double sens unit l’économique, le politique, le juridique, le médiatique, l’artistique, etc., d’une part et la société globale d’autre part. Dans ces conditions, lorsque le chef du gouvernement cite un taux trimestriel de croissance estimé à 3%, mais occulte les innombrables raisons de l’exaspération, il traite une chose et rate bien des choses : «Hafidhta chayan wa ghabet anka achyaou.».

Un code sérieux régit ces réseaux mafieux.Cyrine fut exclue de la horde pour avoir triché, menti et récidivé. Depuis son éjection du groupe, la rouée œuvre seule et manœuvre sans la troupe. Comme toujours et partout, lui la veut quand elle veut l’argent, rien que l’argent, tout l’argent. Elle téléphone : «Désormais, tu pourras me voir autant que tu voudras. Demain, je pars, ma valise est prête, mais je dois participer au loyer. Envoie-moi par mandat minute la moitié des 360 dinars et nous nous voyons l’après-midi ou le soir.»

Il court à la poste vers 8 h du matin et envoie 300 dinars. Plus tard il reçoit le «merci» téléphoné, mais Cyrine, elle, ne viendra jamais. Après ce mauvais quart d’heure, le feinté serait-il bien inspiré de renoncer à la précieuse enfance du cœur ? Le stoïcisme n’est pas un humanisme.

 

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