Législatives anticipées 2022 : Qui, quoi voter ?

On y est. Demain, les urnes. Dernier arrêt pour le train du 25 juillet. Avec l’élection d’un nouveau parlement, la Tunisie réinstaure une des plus importantes – sinon la plus importante – institutions constitutionnelles et démocratiques et réintègre le giron des Etats politiquement stables. Pour Kaïs Saïed, c’est maintenant que tout commence.
Le décret-loi 117, qui a instauré l’Etat d’exception et gelé l’ARP sous l’emprise islamiste avant de la dissoudre, devient caduc dès lors que les députés prêteront serment. Une étape cruciale dans la consolidation du projet politique de Kaïs Saïed, une démocratie participative de base fondée sur un scrutin législatif uninominal à deux tours et sur le retrait de confiance au député gênant ou incompétent en cours de mandat parlementaire, en attendant l’élection de la deuxième chambre parlementaire, celle des régions et des districts. 
La feuille de route annoncée le 13 décembre 2021 par Kaïs Saïed vient ainsi à terme de ses principales étapes, dont la première a été la consultation populaire par le biais d’une plateforme numérique (du 1er janvier 2022 au 21 mars 2022) suivie du référendum du 25 juillet 2022 avec l’adoption de la Constitution de la 3e République pour déboucher sur les élections législatives du 17 décembre courant. Kaïs Saïed a tenu ses promesses et respecté ses engagements mais à quel prix ? Avec quel résultat ? 

Ne pas oublier
Ils sont 1055 candidats à se lancer dans la course électorale après avoir franchi les filtres de la nouvelle loi électorale qui avait le souci d’assainir l’Assemblée nationale des profils douteux et controversés (contrebande, blanchiment d’argent, évasion fiscale, casier judiciaire…) et d’éloigner les partis politiques qu’une grande majorité des Tunisiens avaient exhortés, avant même le 25 juillet 2021, à disparaître de la scène politique. Nul ne peut nier l’état de désespoir et de colère des Tunisiens au matin du 25 juillet 2021 lorsque des groupuscules de jeunes révoltés se sont attaqués aux sièges du mouvement Ennahdha dans différentes villes du pays pour les saccager et les incendier. L’épidémie de la Covid-19 faisait alors des ravages au sein de la population tunisienne, une vague meurtrière qui était de surcroît marquée par une pénurie d’oxygène, d’équipements hospitaliers et de personnel médical.
A l’époque, alors que tous les sondages faisaient ressortir une impopularité record et soutenue de Rached Ghannouchi, les dirigeants d’Ennahdha, qui faisaient la pluie et le beau temps dans le pays, étaient plongés dans la recherche de nouveaux ministres pour remplacer le gouvernement de Hichem Mechichi et Mechichi lui-même si besoin est, afin d’isoler Kaïs Saïed et lui ôter tout pouvoir d’action sur le Palais de la Kasbah. L’erreur fatale d’Ennahdha viendra de Abdelkarim Harouni quand il somma Hichem Mechichi d’indemniser les victimes de la dictature de Bourguiba et de Ben Ali à coup de millions de dinars (3000MD) dans un délai ne dépassant pas le 25 juillet 2021, date anniversaire de la fête de la République, tout en sachant que les caisses de l’Etat étaient vides et que les fonds devaient être piochés dans les poches des Tunisiens. 
Ce matin du 25 juillet, les jeunes sont sortis en nombre à Sousse, à Tozeur, à Kairouan, à Sidi Bouzid et ailleurs pour appeler à la fermeture de l’ARP et à faire juger tous les dirigeants politiques de la décennie noire 2011-2021. Ce que ces « écartés » de la vie politique qualifient de « putsch » du 25 juillet 2021, il a été approuvé et revendiqué par un large pan de la société tunisienne et de son élite comme étant un tournant historique salvateur pour la Tunisie. Mais bientôt, un nombre grandissant de ces partisans du 25 juillet vont devoir tempérer ou carrément étouffer leur enthousiasme face aux comportements distants de Kaïs Saïed, à l’autoritarisme de ses décisions unilatérales qui font craindre le retour de la dictature.

Taux de participation : la surprise ?  
Cette élection législative sera la grande surprise de la feuille de route du processus du 25 juillet. Si la consultation nationale n’a recueilli que près de 500 mille participants et le référendum, plus de 2,8 millions de votants (69,5% d’abstention), le scrutin de ce 17 décembre ne devrait pas faire mieux. Certains indices laissent penser que le taux d’abstention battra un nouveau record. 
D’abord, une campagne électorale fade, rudimentaire, timide, limitée à la circonscription du candidat, dépourvue de meetings, de grandes affiches et de rassemblements festifs. L’argent n’a pas coulé à flots comme dans les précédentes élections, la nouvelle loi électorale ayant supprimé le financement public des campagnes électorales, seuls les fonds privés ou indépendants sont admis. Et de deux, les profils inadéquats ou provocateurs de certains candidats. Un nombre non négligeable ne semble pas connaître la mission exacte d’un député et la confond totalement avec celle d’un conseiller municipal. Leurs projets ? Des vœux pieux au sujet de la réfection des routes, de l’agriculture, de l’eau potable, de l’emploi des jeunes…Sans études, sans sources de financement, rien à voir avec le travail qui les attend au parlement de la Constitution de la 3e République. Mais l’Instance supérieure indépendante des élections tempère et appelle à la vigilance. Selon son porte-parole, Mohamed Tlili Mansri, sur une radio privée, « certains candidats sont de faux candidats, les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux sont anciennes et n’ont rien à voir avec la campagne électorale actuelle. Il y en a qui veulent semer le doute dans l’esprit des électeurs et les dissuader d’aller voter le 17 », dit-il. Mais le coup est parti. Les internautes sont choqués et déçus. Troisième indice : la masse des boycotteurs s’est répandue comme une tache d’huile. Les premiers partis politiques d’opposition, Ennahdha et ses alliés du Front de salut ont été rejoints par d’autres partis politiques, par des représentants de la société civile, d’organisations et des citoyens. Des électeurs habituellement assidus n’ont pas hésité à confier aux micros des journalistes que cette fois, ils hésitent. Et pour cause : le président de la République, la Cheffe du gouvernement, les ministres et des responsables des différentes administrations ne communiquent pas ou peu avec les Tunisiens qui font face à une dégradation sans précédent de leur pouvoir d’achat, à une flambée continue des prix et à des pénuries inédites de produits alimentaires de première nécessité et de médicaments. 
Les dirigeants politiques ne parlent pas, n’expliquent pas, ne rassurent pas. Quatrième indice : l’opposition du principal partenaire du gouvernement, l’Ugtt, et des professionnels de l’économie et de la finance au plan des réformes du gouvernement et du projet de loi de Finances 2023 auxquels ils n’ont pas participé. Les professions libérales ont déjà annoncé leur rejet du PLF 2023 censé selon la ministre des Finances, instaurer une justice fiscale en procédant à un réajustement vers la hausse de leur dû fiscal.

C’est maintenant que tout commence
C’est dans ce climat d’incertitudes, de doutes et de flou que les Tunisiens sont appelés à aller voter demain et choisir leurs futurs députés. Si ce n’est pas par devoir civique, ce sera pour le proche, le voisin, l’ami, sinon ce sera pour empêcher le retour des partisans du 24 juillet 2021. Une étude publiée le 7 décembre par notre confrère Leaders.com.tn apporte quelques éléments rassurants sur les profils de nombre de candidats. Le journal électronique indique que sur la base des fiches personnelles déposées auprès de l’Isie, il s’avère que les 1055 candidats dont 127 femmes appartiennent à une quarantaine de métiers, professions et activités avec une prédominance de fonctionnaires, d’enseignants, de gestionnaires et de chefs d’entreprise auxquels il faut ajouter des médecins et d’autres professionnels de la santé, des avocats (22), des huissiers et greffiers de justice (4), des ingénieurs (19) et un prédicateur. Le journal note également 30 présidents de conseil municipal, 5 secrétaires ou agents municipaux, 88 retraités, 43 sans emploi ou chômeur, 55 ouvriers et 4 femmes au foyer. La liste est encore longue et peut être consultée sur le site Leaders.com.tn. 
Ceux qui connaissent leur(s) candidat(s) peuvent donc aller voter sans crainte et il leur incombe surtout de faire le bon choix. Ces Législatives garderont toutefois une marque sombre indélébile, celle d’avoir privé les Tunisiens résidant à l’étranger de voter et de choisir leurs représentants au futur parlement. Elles sont sept circonscriptions à travers le monde à ne pas avoir de candidats en raison du partage territorial contraignant des circonscriptions (France 1, Allemagne, autres pays européens, pays arabes, les deux Amériques, l’Asie et l’Australie, l’Afrique). 
La difficulté de collecter les 400 parrainages dans des territoires étendus sur plusieurs pays ou même sur deux continents a empêché la tenue des élections législatives à l’étranger. Cette clause de la nouvelle loi électorale devra être revue et amendée dans les plus brefs délais, indépendamment des élections partielles qui sont prévues ultérieurement dans ces sept circonscriptions. Ce, afin que les Tunisiens résidant à l’étranger exercent leurs droits dans les mêmes conditions que leurs compatriotes nationaux et qu’ils n’éprouvent pas le sentiment d’être les oubliés de la mère-patrie. 
Pour Kaïs Saïed, c’est maintenant que tout commence. Les vrais dossiers attendent d’être ouverts et les Tunisiens ont trop attendu. 

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