Législatives du 17 décembre 2022 : Plus on doute, plus on boycotte

Le compte à rebours a commencé sans que personne puisse parier sur l’éventualité d’une participation confortable aux Législatives du 17 décembre prochain. La période électorale a débuté le 25 septembre courant à minuit en pleine tempête politique, nourrie par le bras de fer entre Kaïs Saïed et ses opposants, et en plein règlement de comptes judiciaire avec les dirigeants d’Ennahdha, les maîtres de Tunis, suspectés d’avoir contribué, laissé faire, favorisé, supervisé… l’implantation, le développement et l’exportation du terrorisme en Tunisie. Le tout dans un climat social bouillonnant exposé à tous les risques liés aux impacts de la guerre en Ukraine.
Les prochaines élections législatives n’ont ni couleur, ni odeur, ni saveur. Le nouveau système politique qui émanera des Législatives de décembre prochain est inconnu des Tunisiens et personne n’est en mesure d’en esquisser un «portrait». Farouk Bouasker, président de l’Isie, assure que « l’Instance a été associée à la conception de ce nouveau système qui s’inspire des standards internationaux et des modèles politiques en vigueur dans les plus grandes démocraties occidentales ». Bouasker est un homme de foi et de loi mais les oreilles ne sont pas attentives. Les voix de l’opposition sont trop fortes et persistantes. L’absence d’une véritable stratégie de communication politique officielle empêche les citoyens de se faire une idée objective de ce qui se trame à Carthage et de séparer le grain de l’ivraie, le bon du mauvais. Il y a les deux.

Les raisons de douter
Plusieurs partis politiques ont déjà annoncé le boycott du scrutin. Contrairement au référendum et à la consultation nationale, les élections législatives passent mal sans les partis politiques bien que, hormis Ennahdha, tous les autres partis n’aient pas de base électorale. Leurs scores aux précédents scrutins étaient à chaque fois négligeables, leurs adversaires politiques se plaisaient à les qualifier de « Zéro virgule ». A la faveur de la loi électorale de 2014, ils ont pu gouverner avec les islamistes, la plupart d’entre eux ayant accédé au Parlement grâce aux plus forts restes, sans programmes politiques, sans projets de développement. Une aberration que l’ensemble de la classe politique, les politologues et la société civile concernée avaient, unanimement, souhaité corriger après une malheureuse expérience de deux scrutins législatifs (2014 et 2019). D’autant qu’à leur faible représentativité, il faut ajouter leur piètre performance aux postes politiques importants qu’ils ont occupés. Les Tunisiens ont fini par souhaiter leur départ au terme de dix ans d’échecs et de fuite en avant. 
Les plus importants sont essentiellement au nombre de cinq (Ennahdha, Qalb Tounes, Al Karama, Al Amal, Al Irada) et forment le front du salut présidé par Néjib Chebbi, une ceinture autour des dirigeants d’Ennahdha. Retour de l’ascenseur. En effet, Ennahdha n’a pas gouverné seul de 2011 à 2021. 
Les islamistes, sans expérience en 2011, et vainqueurs des élections, avaient choisi de partager les portefeuilles ministériels avec leurs anciens compagnons de route contre le régime de Ben Ali, tout en présidant aux destinées des plus stratégiques (sécurité, finances, économie) et en gardant la main sur les autres. Mais aujourd’hui, c’est Ennahdha qui est menacé de représailles judiciaires, exigées par une grande majorité des Tunisiens.  
Pourtant, la « désertion » de ces partis risque, cette fois, de porter un coup au prochain scrutin du 17 décembre. Et pour cause : la classe politique est restée la même, a gardé la même composition, ne s’est pas renouvelée. Les mêmes partis, les mêmes dirigeants, ceux-là mêmes que le président Saïed a suspendus de leurs fonctions législatives le 25 juillet 2021, continuent d’occuper les premiers rangs de la scène politique, mais du côté de l’opposition. Bien sûr, il y a aussi les autres partis politiques, principalement le Mouvement Achaab (Zouhaïer Maghzaoui), Tunisie en avant (Abid briki), le Courant populaire (Zouhaïer Hamdi), et les tout nouveaux partisans de Kaïs Saïed, dont le parti du 25 juillet. Cette partie de la classe politique soutient le président Saïed et son projet politique. Mais que pèsent-ils ? Pas plus que leurs opposants « anti-coup d’Etat » en dehors du poids populaire de Kaïs Saïed. Or, rien n’est moins aléatoire, désormais. Le faible taux de participation à la consultation nationale (500 mille citoyens) et au référendum (30%) n’augure rien de bon, il présage d’une plus grande abstention en réaction à la persistance de nombreux doutes et inquiétudes. Kaïs Saïed n’a pas retenu la leçon du référendum. Il continue de cultiver l’opacité, de manœuvrer seul, de bâtir pierre par pierre son projet politique tout en excluant la plupart des partis politiques, des personnalités nationales et des organisations de la société civile.  Or, plus les Tunisiens douteront de ce projet politique et de ses objectifs, plus ils s’en désintéresseront et le boycotteront. C’est la stratégie des oppositions et cela marche ! 

Frapper fort
Les partis d’opposition, le Front du salut d’un côté et le PDL de l’autre, misent sur la dé-crédibilisation de toutes les décisions de Kaïs Saïed, quelle que soit leur opportunité ou leur inutilité. Il faut parler fort, frapper fort, semer le doute et faire peur aux Tunisiens de tout ce qui pourrait venir de Kaïs Saïed. Pour preuve : la parité homme-femme. Partis d’opposition et société civile ont attaqué la loi électorale 2022 également sous cet angle. Mais de quelle parité parle-t-on ? Celle qui est couchée sur le papier pour faire comme si ? La manipulation politique de l’opinion publique à ce sujet ne date pas d’aujourd’hui. La présence de parade des femmes dans les instances électives fait partie des griefs brandis pendant de longues années contre le régime de Ben Ali. Mais la révolution de la dignité et la transition démocratique n’ont pas fait mieux. Les Parlements de 2011, 2014 et 2019 n’ont jamais pu atteindre le même taux de représentation féminine qu’en 2009, dernier Parlement sous Ben Ali, 32%, seuil fixé par les instances de l’ONU. La parité inscrite dans la Constitution et la loi électorale de 2014 était aussi pour la galerie, à l’exception de quelques exemples individuels. Quelques noms sont sortis du lot du temps du défunt Béji Caïd Essebsi pour la plupart des militantes des Droits de l’Homme. 
Autre point inquiétant : le nouveau découpage électoral. La grande nouveauté technique du processus électoral. Qu’en sortira-t-il ? Nul ne le sait. De véritables craintes sont liées à cette nouvelle donne qui pourrait réveiller les rivalités tribales, toujours présentes, pour ce qui concerne le choix du candidat et le parrainage par 400 habitants de la même délégation (localité). Cette nouveauté répond-elle à des études socio-économiques ? La présidence de la République ne parle pas, n’explique pas et le spectre d’une bombe à retardement hante les esprits.
Il ne faut pas non plus éluder le risque que les futurs représentants du peuple, surtout ceux qui siègeront dans le Conseil des régions et des districts, seront politiquement sans expérience et qu’ils seront dans l’incapacité de faire les bons choix nationaux, économiques et législatifs pour le pays. Pour l’opposition, cela est prévu, calculé, puisqu’il est inscrit dans la Constitution de 2022 et les dispositions consacrées au Parlement, qui stipulent que le rôle très restreint des députés sera de légiférer en priorité sur les textes qui seront présentés par le chef de l’Etat pour adoption. 

Quid des candidats à l’étranger ?
La loi électorale 2022 n’est pas entièrement problématique. Les critères d’éligibilité avec à leur tête la présentation d’un B3 « clean » et d’un document attestant de l’acquittement des redevances fiscales, sont indispensables pour moraliser la vie politique et « nettoyer » le futur Parlement de l’argent sale et des corrompus. Ils restent toutefois particulièrement contraignants pour les Tunisiens vivant à l’étranger pour ce qui concerne la collecte des 400 parrainages, sachant que l’étranger ne bénéficie que de 10 sièges au futur Parlement. Le président de la République est appelé à revoir la loi électorale à ce propos, sinon il faudra craindre l’absence de candidats à l’étranger. Des constitutionnalistes se sont déjà penchés sur la question et se sont entendus sur la légalité d’une éventuelle révision de la loi électorale.
A deux mois et demi des élections législatives, deux problèmes majeurs préoccupent les Tunisiens : la cherté de la vie couplée à l’absence de perspectives socio-économiques et le legs désastreux de la décennie 2010-2021 qui échappe encore à toute reddition des comptes. Les élections, c’est l’affaire de Kaïs Saïed. Et pour rendre la situation encore plus inédite et plus dangereuse pour la stabilité du pays, le processus électoral a coïncidé avec l’ouverture de grosses affaires judiciaires liées au terrorisme et à son système de financement. Autant affirmer: « S’attaquer à une montagne avec un marteau », comme dit le dicton, pour signifier que quels que soient les efforts consentis, ils seront plutôt vains. 
C’est ce qui est en tout cas prévu de l’action en justice engagée par une ex-députée, une femme courageuse, Fatma Mseddi, contre l’hydre internationale terroriste et plus précisément ce qui est mondialement connu comme le réseau international d’envoi des djihadistes combattre en Syrie et en Irak, les deux pays arabes martyrs. 
L’affaire va sans doute courir pendant des années, plusieurs hautes personnalités politiques n’ont pas encore été entendues, les principaux suspects d’Ennahdha étant entendus en état de liberté alors qu’on parle de terrorisme international. En attendant que les juges d’instruction soient mis sous haute protection, c’est Fatma Mseddi, la plaignante au nom de tous les Tunisiens, qui en bénéficie, enfin ! 

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