Deux jours avant les élections législatives (samedi 17 décembre 2022), voici qu’une frénésie s’installe : le pays vacille, habillé pour l’hiver par une crise politique, économique et sociale désastreuse. On ne veut plus d’une démocratie sans solutions et remèdes. Il paraît qu’il faut que l’horizon s’obscurcisse. Que son étendue se grise, se creuse, se crête, pour que se répande une recherche éperdue du coupable.
La démocratie – et c’est bien trop lui demander – devient l’illusoire recours à toutes les misères de la vie ! On croyait l’eau bleue, transparente. Ce n’est que l’illusion d’un espoir perdu. Mieux vaut ne pas s’y fier longtemps. Évoquer cette évidence fait ressentir la tragédie d’un peuple trahi, humilié, tiraillé entre ses ostracismes et ses inégalités. De façon non moins choquante et effrayante que ces «passions tristes» (selon la formule de Spinoza), la vague islamo-populiste qui continue à mobiliser les foules, dans la rue ou dans les urnes, même dans les bastions les plus solides de la «laïcité», a offert le spectacle nauséabond d’un processus sombrant dans la caricature la plus humiliante. C’est par une telle «justification démocratique» qu’une volonté de destruction se transforme en phénomène individuellement et socialement acceptable.
Parler d’un processus électoral et des défis qu’il rencontre en cette période chaotique, c’est soulever d’emblée une multitude de questions : où en est ce processus par rapport aux attentes des Tunisiens ? Tient-il face aux difficultés politiques, économiques et sociales ? Participe-t-il à l’évolution de la démocratie dans le pays ? On n’a pas cessé de répéter qu’on ne combat jamais mieux les idées qu’en les ayant entendu exposer, et la démocratie est justement le système où l’on découvre que chaque candidat aux élections doit livrer ses idées, son analyse, ses interprétations et sa stratégie. Ne pas l’admettre est faire le lit des totalitarismes. C’est l’exacte raison pour laquelle on a attentivement suivi la campagne électorale de ces candidats. Le constat est catastrophique : le niveau s’est affaissé lamentablement entre l’indignation hystérique des uns et l’indifférence à la réalité des autres. Ils sont hors-sols.
Sous leurs costumes, il n’y a rien. Ils voient les choses de loin, d’une manière abstraite et souvent folklorique. Ils traquent l’abjection jusqu’au ridicule par leur ignorance, leur amateurisme, leur légèreté et leur méconnaissance des dossiers économiques et sociaux. Ils n’argumentent plus ; ils crient, ils mentent et ils sèment des idioties à pleines mains. C’est une recette pour une situation grisailleuse, pagailleuse, instable et versatile, sujette aux caprices des arrivistes, dans laquelle prédateurs, lobbyistes et agents d’influence règnent en maîtres ; l’anarchie totale pointe son nez.
Pauvre démocratie où tout semble reposer sur le bon vouloir de l’exaltation des passions populistes et religieuses et la contestation radicale de la modernité dont les valeurs sont rejetées. Cette fresque profondément burlesque dit la pitié d’une scène politique submergée par des incompétents dont l’arrivée à ce stade de la compétition électorale ne fut qu’un hasard désastreux.
La démocratie n’est pas que des élections, elle est un projet national et l’élection n’est pas de savoir qui sera le gagnant, mais plutôt comment empêcher les incompétents qui soutiennent la tendance vers le chaos de gagner. Entre stupeur et déception, nous voilà donc projetés dans les marécages d’une tyrannie de l’insignifiance. On peut dire, sans tomber dans le piège d’un pessimisme aveugle, que la provocation à deux balles, l’ignorance, la vulgarité, la mauvaise foi, la haine, les idées les plus sottes peuvent donner un « parlement » qui réussira à créer l›unité des Tunisiens contre lui. Une «prouesse» désormais très rare dans un pays dramatiquement divisé! Mais on oublie souvent que le discrédit d’un processus électoral ouvre un chemin pour les réactions de colère. Ce qui est évidemment terrible pour un pays au bord du gouffre.