Législatives : Les dessous d’une campagne avant terme

En ces jours de fièvre, le paysage politique vit au rythme — souvent incontrôlé — du chantier électoral. Chacun s’affaire à qui mieux mieux pour réussir la copie à présenter d’ici moins de trois jours, date à laquelle il faut se conformer puisqu’elle coïncide avec la clôture du dépôt des candidatures aux élections de la future assemblée. Une copie censée donner la dimension réelle de sa présence politique, de sa représentativité et de son potentiel à convaincre.

Les partis, considérés comme ayant plus de poids, du fait du nombre de leurs adhérents et de leur «aura» sur le plan national, n’y sont pas allés de main morte pour assurer leur représentativité au niveau de toutes les circonscriptions électorales. Le résultat – guéguerre intestine oblige – n’a pas été limpide. Loin de là. Le charivari des prises de position et des  déclarations fougueuses faisant état de nombreux foyers de tension et perdurant en étant la parfaite démonstration. Les partis, jugés à représentativité moindre, se démènent, eux, pour garder le rythme et glaner le maximum de possibilités de représentativité au niveau des circonscriptions. Tout tourne autour des candidats choisis par les partis et des listes présentées ou en état de l’être, de qui a été désigné à la tête de ces dernières et de quelle manière cela été géré par les instances directrices de ces mêmes partis.

Si, pour certaines des candidatures annoncées par les partis en compétition, aucun bémol n’est venu troubler l’unanimité faite autour d’elles par leur instance respective, il n’en demeure pas moins que c’est loin d’être le cas pour d’autres. Nombreuses ont été les remises en question et les contestations, allant dans certains cas jusqu’à la dénonciation et la réfutation.  Après une courte période de tergiversations et de discussions, souvent passionnées, à propos de certains choix de candidatures, on est vite passé à la remise en question et à la dénonciation directe, trahissant par là un véritable état de malaise de plus en plus prononcé. Perdant parfois tout sens de la retenue, pourtant nécessaire pour surtout assurer et convaincre, libre cours a été laissé aux passions. Et c’est de la sorte que l’on a assisté ces derniers jours au niveau des partis, avec une vitesse croissante, à un véritable tollé de dénonciation, d’accusations et meme d’appels à dissidence et à démission.  Le tout suivi parfois et pour certaines candidatures de démentis et de rappels à l’ordre. C’est à ne plus savoir ou donner de la tête tant tout est fait avec une rapidité telle qu’à peine est-on fixé sur une position que de nouveau les choses se brouillent et partent dans des sens parfois diamétralement opposés. Une lecture raisonnée dirait de tout cela que c’est à la limite de bonne guerre et qu’au regard de l’importance de l’échéance électorale et de l’exclusivité de sa teneur il est quasiment certain d’assister à pareilles escarmouches et à des dérapages de ce genre. Que l’on en arrive ça et là soit à des dissidences de dernière minute ou à de «fougueuses» sorties des rangs ou même à des prises de position jugées «rebelles», cela correspond bien au contexte actuel, c’est-à-dire l’expérience somme toute limitée des partis et une certaine forme de clientélisme politique exagérément prononcé pour certains d’entre eux.

Divergences et contradictions

Point de surprise donc et il faut bien s’y résigner et, surtout, raison garder. Pour d’autres, les choses sont loin d’avoir un air si bon enfant tant le constat de ce remue-ménage politique au niveau des partis, avec ces allées et venues sans vergogne des postulants et ces fracassants revirements, sont synonyme d’absence de retenue frisant parfois «l’indécence» et le pragmatisme le plus plat. Le plus grave pour certains est que cela donne une idée particulière de l’appartenance partisane, de la fidélité politique et de l’intérêt général devant primer toute considération personnelle.

Toujours dans ce courant de pensée, les plus sceptiques parmi les observateurs estiment que le phénomène est plus grave qu’il n’en a l’air. Cette «mobilité» extrême dans les choix et les positions cache en son sein un état plus pernicieux et donc dangereux pour tout le processus démocratique. Il s’agit d’un comportement fondé en tout état de cause sur l’intérêt le plus «servile» et la primauté de l’opportunisme sur toute autre considération.

Le souvenir — triste — du régime décadent qui a tout raflé sur son passage au nom justement de ce pragmatisme de basse souche est là pour le rappeler.  C’est tout cela en fait qui permet, comme le soulignent certains, ce clientélisme politique fondé par endroits sur le «racket de candidats» et le «débauchage d’autres»…

Discorde au sein du Nida

Les listes des candidatures présentées jusque-là ont été pour une bonne majorité d’entre elles précédées par un jeu de marée qui a failli par moment mettre en jeu l’adhésion sur les objectifs et les idées que ses composantes suggèrent. Celles qui le seront durant les trois jours qui restent avant la clôture du dépôt des candidatures vivent une situation identique, sinon plus grave. Cela ne sera pas sans éclaboussures, même si elles seront finalement présentées.

Plusieurs partis ont vu les choix de leurs candidats et des têtes de liste par leurs instances dirigeantes être carrément contestés et même refusés. Ceci a fait que les choses peuvent être placées aujourd’hui sous le signe de la division et de la discorde. Des tentatives sont bien entendu faites par les partis concernés pour dépasser les obstacles, régler les différends et resserrer les rangs. L’objectif étant de minimiser les dégâts et d’arriver à la campagne électorale avec des «troupes» soudées et en accord avec l’enseigne électorale sous laquelle ils s’activent.

Des exemples de ce branle-bas quasi collectif au niveau de certains partis abondent.  En faire la description détaillée tiendrait de la redondance du fait que de nombreux cas de litiges et de contestations ont été, d’une manière ou d’une autre, réglés soit par voie d’accord ou même de démission.

Certains cas concrets restent toutefois en mémoire, probablement en raison de l’importance des partis qui sont concernés et de leur impact à l’échelle nationale. Nida Tounès, à ce propos, occupe une place de choix. Plusieurs foyers de tension ont été constatés, ce qui a alimenté bien des discussions et mis en exergue des situations de tension d’une fragilité extrême.

Il est à signaler que c’est la question de qui serait — ou a été — désigné tête de liste pour certaines circonscriptions qui a été au centre de débats passionnés et a alimenté toutes les discordes. Il suffit de s’arrêter sur ce qui s’est passé pour la liste de Tunis 1 et qui a été l’objet d’une tension extrême avant de voir Hafedh Essebsi être écarté ou poussé à se désister de la présidence de cette même liste et Faouzi Elloumi être rappelé sérieusement à l’ordre. Quelques jours après, c’est au tour de la présidence de la liste du Kef qui se trouve au centre de la contestation avec la désignation par le parti de l’avocat Abada Keffi. Cette nomination a soulevé un tollé et tous les adhérents de cette circonscription ont menacé de démissionner collectivement si elle n’est pas révisée. 

Cette fronde s’est propagée aussi pour gagner le sud de la France ou les adhérents de Nida Tounès  ont récusé la désignation comme tête de liste pour cette circonscription de Kamel Dhaouadi. Ils ont adressé, samedi dernier, une pétition à Béji Caied Essebsi  pour lui exprimer leur «consternation» à la suite de cette désignation et en appellent à lui pour la réviser et la remplacer dans les plus brefs délais.  Et ce n’est là qu’un échantillon des cas enregistrés.

70% des actuels députés d’Ennahdha non retenus !

Pour Ennahdha, les choses sont logées à la même enseigne, ou presque, avec toutefois une nuance au niveau de la manière et des procédés. Des bruits ont couru que de nombreux adhérents ont manifesté leur mécontentement à la centrale du pari, voire leur refus de la désignation de certaines têtes de liste. Ils ont menacé de démissionner du parti et de former leurs propres listes qui n’auraient plus aucun lien avec le parti.

Ce mouvement de mécontentement a été totalement occulté par les dirigeants du parti islamiste qui ont été unanimes pour tenter de convaincre de son inexistence. Aux dernières nouvelles, le parti, après une période de gestation relativement longue, a pris la décision de «relooker» sensiblement l’équipe de candidats qu’il compte aligner pour les législatives. 

Il est particulièrement question de ne garder dans la liste actuelle que 24 députés qui ont participé aux élections de la Constituante, soit seulement le quart de toute son ancienne équipe. À travers cela, Ennahdha s’apprête donc à éliminer de ses listes pour les prochaines législatives presque 60 députés. C’est sûrement significatif de l’ambiance qui règne actuellement dans le parti.

Ahmed Soulaymane

 

Related posts

Affaire du complot contre la sûreté de l’État : Unimed réagit au jugement contre Ridha Charfeddine

Port de La Goulette : arrestation de six mineurs lors d’une tentative de franchissement illégal des frontières

Sousse accueille une croisière française avec 165 passagers à bord