17 jours nous séparent des élections législatives et les partis commencent à dévoiler les uns après les autres leurs programmes électoraux. Réalités accompagnera ces élections en présentant à ses lecteurs, au fur et à mesure, les éléments des programmes disponibles en fonction des documents et des discussions avec les représentants des partis. Certains partis n’ont toujours pas, au moment de la rédaction de cet article, présenté ou fini leurs programmes. Ainsi, le Front populaire que nous avons contacté dans ce cadre, s’est excusé de nous fournir son programme, qui est toujours « examiné par les experts ». Deux éléments déterminent l’enjeu de ces échéances : contrairement aux régimes présidentiels qu’a connus la Tunisie depuis son indépendance, celui instauré par la nouvelle Constitution est semi-parlementaire. D’où l’importance du Parlement qui sera installé et le chef du gouvernement qui sera choisi ensuite par la majorité. Le second élément est qu’il s’agit d’un gouvernement qui est théoriquement mandaté pour un quinquennat. La Tunisie finira ainsi sa période de transition et commencera une nouvelle ère avec ses espoirs et ses périls.
État réhabilité, souveraineté restaurée, démocratie, égalité, libertés individuelles et publiques garanties, emploi, dignité. Il s’agit là des aspirations ayant poussé les Tunisiens à se soulever il y a quatre ans. Et ce sont des points qui reviennent dans pratiquement tous les programmes présentés, quelles que soient la couleur ou l’idéologie du parti concerné.
Les partis promettent aussi de lutter contre la corruption et la malversation ayant caractérisé l’ancien régime et ayant aussi conduit à sa chute. Ils promettent également de lutter contre la contrebande, véritable plaie économique, mais aussi canal vital emprunté par le terrorisme. Ils promettent tous, à différents degrés et de différentes manières, d’assurer le développement régional. La Tunisie est en effet caractérisée par une véritable iniquité régionale ayant été le déclencheur de la Révolution de 2014 et l’ayant nourrie. Seules quelques villes et régions sont favorisées sur les plans économique, médical, éducatif et social, tandis que de localités, villages ou bourgs sont marginalisés, défavorisés, coupés presque du reste du territoire pour certains.
Économie, croissance et création d’emplois
Nidaa Tounes promet un taux de croissance stable, 34% d’augmentation du PIB en cinq ans et 28% d’augmentation de salaires. Il promet l’amélioration du pouvoir d’achat et l’augmentation graduelle du SMIG ainsi que du SMAG de 50% en cinq ans. Pour lutter contre le chômage, Nidaa Tounes vise la création de 450.000 postes d’emploi en cinq ans, il projette d’initier une campagne intitulée «les jeunes au service des jeunes», orientant les jeunes marginalisés, les encadrant et les intégrant dans un cadre jeune, embauchant des diplômés. Nidaa Tounes promet aussi d’instaurer un programme «le pacte uni pour la préparation, la formation et l’intégration» et le pacte «de l’emploi pour l’avenir» encourageant à embaucher des diplômés d’études supérieures.
Dans ses promesses électorales, Ennahdha entend réformer le rôle de l’État qui doit réguler le marché et apporter son soutien lors des crises aux classes défavorisées. Le parti islamiste promet de faciliter l’accès au financement des petites et moyennes entreprises (PME.). Il promet de lutter contre l’inégalité sociale tout en promettant aussi la libération de l’initiative. La vision économique du parti islamiste est d’orienter l’économie vers les secteurs à forte valeur ajoutée. Il s’engage à améliorer les équilibres financiers et à intégrer l’économie tunisienne au sein de l’économie mondiale.
Le parti islamiste vise un taux de croissance de 5% pour les trois premières années et de 7% à partir de 2018 et de maintenir l’inflation inférieure à 4% ainsi que la diminution du déficit budgétaire à 3% et la réduction de la dette nationale de 60% actuellement à 40% en 2018.
Dans son programme, Ennahdha projette d’accorder le droit à un deuxième véhicule ne dépassant pas les 5 CV fiscaux aux Tunisiens résidents à l’étranger dans le cadre d’un retour définitif (FCR) ainsi qu’un droit à un véhicule FCR renouvelable tous les quinze ans.
Il encourage la participation des Tunisiens à l’étranger aux grands projets de développement, à travers des Sukuks «Biladi.»
La baisse du chômage à moins de 10% en cinq ans et la création d’une caisse de sécurité pour les chômeurs ainsi que le développement du tourisme médical, notamment pour les ressortissants africains, font aussi partie de son programme électoral.
En économie, comme Nidaa Tounes d’ailleurs, Al Joumhouri parie sur la technologie et l’innovation et vise à orienter l’économie vers ces secteurs. Il promet un taux de croissance de 6% en cinq ans et l’augmentation du taux d’investissement à 26%, alors qu’il est actuellement de 24%. Al Joumhouri table sur la réforme de la Banque tunisienne de solidarité (BTS) et de la Banque de financement des petites et moyennes entreprises (BFPME) et adopte une politique d’aide financière pour les entreprises s’implantant dans les zones défavorisées et créatrices de postes d’emploi. Pour encourager les investissements, il engage une réduction de 20 à 25% des impôts des petites et moyennes entreprises, il s’engage à réviser le régime forfaitaire et à baisser de 20% les impôts des entreprises en bourse ainsi que l’annulation des impôts des entreprises agricoles ne dépassant pas 5.000 dinars. Il promet une augmentation de 10% du SMIG.
Al Joumhouri s’engage aussi à lutter contre l’évasion fiscale et à créer des zones de libre-échange sur les frontières. Dans le domaine agricole, il accordera la priorité aux enfants des agriculteurs pour l’accès aux terres agricoles propriété de l’État.
Ettakatol promet quant à lui un taux de croissance de 8% en cinq ans, la réduction du taux de chômage de 15.5% à 9.5% et la création d’une caisse pour la perte de l’emploi.
Développement, priorité aux infrastructures
Nidaa Tounes s’engage à passer de 420 à 1.240 km d’autoroute et à améliorer le transport entre les villes. Il alloue un budget pour le développement régional de 50 milliards de dinars et donc, 40% des investissements et promet la création d’un pôle industriel ou technologique dans chaque gouvernorat et de le développer par la création d’entreprises. Il s’engage à la création d’une banque spécialisée des régions et des petites entreprises et promet d’allouer une somme annuelle d’un milliard de dinars avec 0% d’intérêt pour leur financement.
Le programme d’Al Joumhouri évoque la création de soixante projets urbains comportant 22.000 habitations chaque année, la réhabilitation et l’optimisation des chemins de fer notamment au Kef, Tabarka et Kairouan. Quant à Ennahdha, il poursuivra, au cas où il serait élu, les projets d’autoroutes en cours Oued Zarga-Boussalem, Sfax — Ras Jedir et de l’autoroute maghrébine reliant Boussalem (gouvernorat de Jendouba) et la frontière algérienne, avant 2019.
Le parti islamiste s’engage aussi à réaliser un port en eaux profondes et promet l’ouverture de l’espace aérien pour libéraliser le transport aérien avec l’Union européenne. Il table sur la réhabilitation de 7.000 kilomètres de routes municipales et d’éclairage public.
Réformes sociales, optimiser la couverture sociale…
Parmi les promesses électorales qu’on peut lire dans le programme de Nidaa Tounes, un prêt sans intérêt pour le premier logement acheté, une couverture sociale pour tous les Tunisiens, une réforme de la caisse de la retraite et de la couverture sociale, une assurance en cas de perte du travail et une prise en charge des personnes âgées et des personnes ayant des besoins spécifiques.
Al Joumhouri promet une augmentation de 200 dinars de la couverture médicale (de 500 à 700 dinars) et d’assurer une couverture CNAM sur trente-six maladies au lieu de vingt-quatre.
Ettakatol établit dans son programme une augmentation de la couverture sociale de 86% à 95% ainsi qu’une augmentation de 50% du SMIG. Il procèdera à une réforme sociale et réalisera 30.000 logements sociaux en cas de victoire aux élections. Il s’engage à réviser les lois relatives à la consommation de stupéfiants en durcissant les peines pour les trafiquants et en dépénalisant la consommation et aussi la création de centres de désintoxication.
Éducation
Nidaa Tounes et Al Joumhouri s’accordent sur l’amélioration de la qualité de l’enseignement et de la formation. Nidaa Tounes promet un enseignement moderne, démocratique, uni dans ses programmes, obligatoire et gratuit. Parmi ses promesses, la réforme de la formation, l’établissement de liens entre la formation professionnelle et l’université, optimiser le transport et intégrer des cantines dans les écoles marginalisées. Il s’engage à créer des écoles de seconde chance pour ceux qui interrompent leurs études.
La baisse de l’âge de scolarisation à cinq ans pour les enfants, au lieu de six ans et l’établissement d’une séance unique qui se poursuit jusqu’à 16 h tous les jours, font partie des réformes envisagées par le programme d’Al Joumhouri. Selon le même programme, les fins de l’après-midi seront ainsi consacrées aux activités parascolaires. Il s’engage à assurer les formations répondant aux besoins du marché de l’emploi.
L’augmentation du budget de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle et le développement de l’enseignement privé sont les réformes promises par Ennahdha qui s’engage aussi à allouer une bourse réservée aux candidats à la formation professionnelle, elle s’élève à 100 dinars et 120 dinars pour la bourse universitaire au lieu de soixante.
Sécurité et lutte contre le terrorisme
La lutte contre le terrorisme se fait par le déracinement de ses causes, selon le programme de Nidaa Tounes qui promet de consacrer toutes les ressources humaines et matérielles pour l’armée et pour les forces de la sécurité, de leur accorder la priorité dans le budget et d’établir la sécurité nationale, celle des citoyens et de leurs biens.
Al Joumhouri évoque la création d’un service spécialisé et d’un programme prenant en charge les familles des martyrs et victimes du terrorisme.
Ennahdha promet de démanteler l’infrastructure logistique et financière et les réseaux de communication, d’instaurer une loi plus rigide quant aux appels aux crimes terroristes dans le cadre d’un pôle judiciaire spécialisé et de lancer des campagnes de sensibilisation dans les programmes scolaires, médiatiques et théologiques.
Ennahdha et le CPR préconisent le dialogue, entre autres, avec les extrémistes en prison afin de les dissuader de leur orientation comme solution au problème du terrorisme. Le CPR préconise le dialogue et la réconciliation avec les «jeunes manipulés» au sein des mouvements terroristes qui seront incarcérés.
Environnement
Nidaa Tounes s’engage à établir des stratégies et des programmes immédiats afin de lutter contre la pollution urbaine, notamment dans les pôles industriels, dans les gouvernorats du Grand Tunis, de Gafsa, de Gabès, de Sfax, de Kasserine et de Bizerte.
Al Joumhouri promet la création de deux stations d’épuration sur les côtes dans le cadre de la lutte contre la pollution.
Droits de la femme
Nidaa Tounes s’engage à abattre tous les obstacles devant le travail des femmes dans le secteur économique et la création de crèches et de garderies, à faciliter le logement en créant des foyers pour les employées, à créer une haute instance indépendante luttant contre la ségrégation à l’encontre des femmes et à accorder un congé de maternité de quatre mois au lieu de deux et débutant depuis le neuvième mois de grossesse.
Concernant la violence contre les femmes, Al Joumhouri, qui souhaite l’interdire, procèdera à des réformes des lois pour les rendre plus rigides.
Politique étrangère
En politique étrangère, Al Joumhouri préconise l’ouverture sur le monde entier avec l’établissement de relations diplomatiques et commerciales avec tous les pays, excepté Israël. Ennahdha se tourne quant à lui vers les racines, l’Afrique, en encourageant les Tunisiens à aller travailler dans les pays africains en ouvrant de nouvelles liaisons aériennes avec les pays africains.
Santé
Al Joumhouri, tout comme Ennahdha, promet des centres hospitaliers dans toutes les régions. Ennahdha promet des pôles hospitaliers régionaux spécialisés et promet l’élargissement de la capacité d’accueil des hôpitaux de 21.000 lits à 26.000 en cinq ans.
Ainsi vont les programmes électoraux moins d’une semaine après le lancemant de la campagne. A suivre…
Hajer Ajroudi