Le contour d’un régime politique se dessine généralement à travers les textes qui le mettent en place, le régime partisan, mais aussi les résultats des urnes. Quels sont ces éléments en Tunisie ?
La réponse déterminera la morphologie du système politique qui gouvernera pour les cinq ou dix années à venir.
Le système politique mis en place dans la Constitution de 2014 ne permet pas un équilibre à la Montesquieu basé sur le principe de la séparation ou de l’équilibre des pouvoirs. En effet, l’Assemblée des représentants du peuple est la source du pouvoir du gouvernement qui arrête et applique la politique de l’État et qui reste responsable devant elle. Le Chef de l’État, malgré son élection directe par le peuple peut être démis par cette Assemblée. L’équilibre des pouvoirs impose qu’en retour le chef de l’État puisse avoir la possibilité de dissoudre le Parlement sans motivation. Les deux cas de dissolution possible qui sont prévus dans la Constitution sont des hypothèses d’école qu’il est difficile de voir se réaliser un jour. Ainsi l’Assemblée, dans le régime qui sera instauré, aura une place prédominante s’éloignant du régime d’inspiration qui est le régime parlementaire pour se rapprocher plutôt du régime d’Assemblée.
À côté de la nature problématique du régime, le régime partisan fait également problème. Un pays aussi petit que la Tunisie voit sa scène politique dépasser les 190 partis politiques. Ce régime partisan encourage la dispersion des voix des électeurs et diminue les possibilités de stabilité en érodant le poids que devraient avoir deux ou trois formations qui se succéderaient au pouvoir.
Au vu de ces éléments, comment va se constituer le gouvernement, élément clef du régime à venir ?
C’est l’article 89 de la Constitution qui pose ces règles. Il dispose en effet, que «dans un délai d’une semaine après la proclamation des résultats définitifs des élections, le Président de la République charge le candidat du parti politique ou de la coalition électorale ayant obtenu le plus grand nombre de sièges au sein de l’Assemblée des représentants du peuple, de former le gouvernement dans un délai d’un mois pouvant être prorogé une seule fois. En cas d’égalité du nombre des sièges, la nomination s’effectue selon le nombre de voix obtenues.
Si le délai arrêté expire sans parvenir à la formation d’un gouvernement, ou si la confiance de l’Assemblée des représentants du peuple n’est pas accordée, le président de la République engage des consultations dans un délai de dix jours avec les partis politiques, les coalitions et les groupes parlementaires, en vue de charger la personnalité jugée la plus apte, en vue de former un gouvernement dans un délai maximum d’un mois».
Ainsi la majorité obtenue par Nidaa lui donne le droit et le devoir de se préparer à composer le gouvernement en choisissant un candidat à la fonction de chef du gouvernement. C’est le 24 novembre, donc le lendemain du premier tour des élections présidentielles que les résultats définitifs seront proclamés après que le tribunal administratif aura statué sur la quarantaine de recours qu’il a reçue jusqu’au dimanche 2 novembre.
Ainsi, le 25 novembre la nouvelle Assemblée sera composée définitivement et une semaine plus tard, soit le 2 décembre, Nidaa devrait annoncer le nom de son candidat à la fonction de chef du gouvernement.
Conformément à l’article 89, le chef de l’État, dans le cadre de sa compétence liée et formelle, est tenu de charger ce candidat de constituer son gouvernement dans un délai d’un mois qui se terminerait le 2 janvier. L’article 89 donne un délai d’un mois supplémentaire au candidat. Ainsi il sera tenu de présenter son nouveau gouvernement au nouveau chef de l’État puis à l’Assemblée le 2 février 2015. Car s’il y a un second tour et un contentieux, l’ISIE devrait, d’après le calendrier, annoncer le résultat définitif de la présidentielle le 28 janvier.
Mais quelle n’a pas été notre surprise d’entendre Abbassi, au nom du quartet de la société civile conduisant le dialogue national, annoncer que les partis présents dans la réunion qui s’est tenue le 31 octobre ont décidé à l’unanimité de reporter la constitution du gouvernement jusqu’à l’élection du nouveau chef de l’État. Cette décision prise par des acteurs de la vie politique de suspendre l’application de la Constitution est inacceptable. Elle constitue une violation de la norme suprême et une brèche dans l’instauration de l’État de droit. Personne, ou presque, sur la scène nationale, ne s’est déclaré offusqué d’une violation aussi claire et au grand jour de la Constitution.
Laissons cet épisode immortalisé dans les livres d’histoire en nous contentant de dire que c’est là un très mauvais précédant dans la mise en place d’une démocratie naissante fondée, entre autres, sur le respect du droit par l’État et ses structures.
Les résultats des élections législatives sont-ils des éléments précurseurs sur l’évaluation du poids des candidats à la présidence ? Certainement pour tous les candidats qui sont à la tête des partis qui ont présenté des listes aux parlementaires : Caid Essebssi, Riahi, Marzouki, Hammemi, Chebbi, Morjène, Hamdi, Ben Jaafer et Ayedi.
Candidats | Voix législatives | Voix potentielles |
BéjiCaidEssebssi | 1 279 941 | -votes utiles 700 000 – 800 000 |
SlimRiahi | 140 873 | 140 000 |
Moncef Marzouki | 68 415 | + 66 370 (Cour. Dem.) 130 000 |
HammaHammemi | 122 436 | 120 000 |
Néjib Chebbi | 55 576 | Chances |
Kamel Morjène | 43 356 | |
HechmiHamdi | 40 591 | |
Mohamed Hamdi | 37 876 | |
Mustepha Ben Jaafar | 23 331 | |
AbderraoufAyedi | 23 158 | |
Ennahdha | 947 014 | Report non déclaré |
Afek | 101 977 | |
MDS | 10 294 |
En conclusion, l’on pourra avancer que les textes encadrant la vie politique ne sont pas les seuls capables d’instaurer une démocratie, ni le résultat des urnes. La démocratie irréversible est une culture et une pratique dont les garants sont l’école pour commencer et surtout des autorités indépendantes. La Constitution tunisienne en a prévu cinq dont une, l’ISIE, est déjà en activité. Les quatre autres sont à construire, à composer et à soutenir pour qu’elles soient, avec la cour constitutionnelle, les remparts contre l’hégémonie d’un parti politique au pouvoir au sein d’une Assemblée parlementaire source du pouvoir.
Après la présidentielle, il restera aux Tunisiens à se préparer aux plus importantes élections qui auraient dû initier ce processus de mise en place des institutions nouvelles, les communales et les régionales. La gestion de la Tunisie à travers la démocratie participative se fera dans ce cadre et la Constitution tunisienne de 2014 y a consacré un chapitre de douze articles. C’est ce défi que les Tunisiens et les partis politiques doivent relever pour mettre ce pays sur la voie de la démocratie et du développement.
C.G