L’épreuve de vérité

Sitôt entré en fonction, le gouvernement Chahed a été mis à rude épreuve. Le discours du Chef du gouvernement qui semble déplaire à certaines parties, par sa tonalité et sa volonté de remettre de l’ordre dans le pays, s’est traduit par des réactions de défiance en cascade. Dans une tentative de rappeler le nouveau locataire de la Kasbah à l’ordre et de lui prouver que rien ne pourrait se faire comme il l’entend, plusieurs parties ne sont pas allées de main morte. Les cellules terroristes dormantes se sont brusquement réveillées, la tension dans le bassin minier de Gafsa, qui a pourtant baissé en intensité depuis des mois, a repris des couleurs et l’activité d’extraction et de transformation s’est soudainement paralysée par on ne sait quels ordres, les revendications syndicales ont repris et une certaine volonté d’imposer, à nouveau, l’épreuve de force commence à se manifester.
Pourtant, un semblant d’harmonie a commencé à voir le jour avec la constitution d’un gouvernement d’union nationale, comme le montre la majorité large dont il a bénéficié à l’Assemblée des représentants du Peuple, mais c’était sans compter sur la détermination du camp, des parties qui ont pris le pli de tout refuser et de ne rien proposer en échange. La rapidité de leur réaction signifie leur persistance à persister à signer dans leur démarche de rejet systématique de tout ce qui peut être entrepris pour redonner à l’Etat la place et le rôle qui lui reviennent, à l’économie de redémarrer et à la tension sociale de s’apaiser.
A l’évidence, Chahed, en rappelant à chacun ses responsabilités, en essayant de provoquer un électrochoc chez les Tunisiens, en n’occultant rien des difficultés que rencontre le pays qui n’a pas pu encore boucler le budget de l’année en cours et qui trouve toutes les peines du monde pour identifier les ressources nécessaires pour le budget 2017 et en appelant de tous ses vœux toutes les parties à accepter des sacrifices pour sauver le pays, a perturbé la sérénité de certains qui font tout pour que rien ne bouge, pour que les réformes n’aboutissent pas et la tension perdure.
Face à un contexte difficile et complexe, certains partis politiques et organisations nationales ont préféré tenir un discours de défiance, plutôt que de chercher à favoriser le compromis. Ils considèrent   les crises comme une bonne opportunité pour monter au créneau, jeter toute la responsabilité sur le gouvernement et montrer son incapacité à gérer les situations de crise. Cette attitude ne surprend guère lorsque ces réactions émanent des partis de l’opposition qui sont dans leur propre rôle, elle l’est moins quand des députés de la coalition gouvernementale essayent d’exploiter la dernière tragédie survenue à Khamouda, à Kasserine, pour remuer le couteau dans la plaie et chercher gratuitement à discréditer la ministre de la Santé juste pour créer le buzz.
Ce qui surprend toujours en Tunisie, c’est la grande contradiction qui caractérise le débat public, notamment à propos des questions qui fâchent. Puisque on se plait à soutenir des principes que tous les Tunisiens partagent, tout en agissant à contre-courant en développant pour la circonstance un discours vindicatif et accusateur. On ne recule pas à haranguer les mécontents de tous bords,   à les appeler à intensifier leur pression et à exprimer leur colère pour faire plier le gouvernement à leurs exigences, et ce, au moment où tout le monde est conscient des difficultés d’un pays au bord de la banqueroute et obligé à s’endetter pour servir les pensions et les salaires, non pour créer de la richesse. Un discours à géométrie variable qui tient compte de calculs électoralistes, ne prenant nullement en ligne de compte les intérêts du pays.
Un discours qui renvoie toujours la responsabilité aux autres, ne propose pas des solutions de sortie de crise cherchant à prendre le gouvernement en otage en restreignant son rôle au stricte minimum : se contenter de respecter les clauses du document de Carthage qui est une solution aux problèmes économiques.
Pour le reste, les recettes proposées sont connues et ardemment défendues. Si les caisses du pays sont vides, il ne faut pas recourir à une politique d’austérité, il importe plutôt de continuer à recruter dans la fonction publique, satisfaire toutes les demandes exprimées par les sans-emploi en les intégrant dans le secteur public qui ne produit plus, poursuivre les négociations salariales dans les secteurs dont la majorité sont sinistrés, même si la productivité ne finit pas de baisser.
Pourquoi faire des sacrifices quand on ne finit pas de soutenir que la responsabilité, toute la responsabilité de la crise incombe au gouvernement et que c’est à lui, et à lui seul, d’avoir une baguette magique pour trouver une solution à tout Paradoxalement, chez nous le partenariat   signifie qu’on est ensemble dans le meilleur, pas dans le pire. La préservation de l’entreprise, le renforcement de sa compétitivité, la protection des emplois, incombent à l’Etat. Cette logique jusqu’au-boutiste omet, cependant, de prendre en considération un important postulat : quand   on ne produit pas de richesses, on ne peut redistribuer que de la misère et du chômage.

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