Après une longue attente, le Chef du gouvernement, indigné, quitte la séance du parlement où il devait répondre aux questions posées en matière de santé. Avec une fureur contenue, il dénonce la faoudha d’un parlement ouvert aux vents des hurlements.
En vogue depuis la Révolution, le recours à l’obstruction n’épargne ni les routes, ni la production, ni l’enseignement.
Et maintenant, le cycle du blocage enjambe le seuil de l’hémicycle. Par son intrusion imprévisible et imprévue, IJABA réussit à paralyser le parlement.
D’autres corps de métier auraient pu en faire autant et finir par abolir la sphère parlementaire. Voici donc le principe catégorique opposé par Kant à cette pratique du tribalisme académique : « Agis toujours de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle ».
Autrement dit, qu’adviendrait-il si toutes les corporations introduisaient leur contestation légitime là où le président du parlement serait contraint, chaque fois, de supprimer le débat. Le théoricien de l’éthique y verrait une pratique incivique. Baruch Spinozo, le philosophe hollandais, viendrait, lui aussi, à la rescousse de son alter ego allemand. Il écrit : « La loi de tout être est de persévérer dans son être ». Et, comme tout organisme biologique ou organisation sociale, aucun existant ne peut continuer à exister sans un mécanisme de régulation.
En clair, le désordre parlementaire cligne vers l’absence d’un ordre donné au service d’ordre. Voilà pourquoi l’accusation ciblera le pauvre Mohamed Ennaceur.
Hurler non, non, non échoue à raisonner les décidés à bloquer la parole programmée. La cogitation philosophique projette un vif éclairage sur l’évacuation de l’ordre par le désordre au cœur de l’institution législative.
L’examen des lois ne saurait convoler en justes noces avec la faoudha. Mais outre le surplomb philosophique, les prises de position prosaïques ajoutent leur grain de sel au plat préparé par IJABA.
Le chauffeur de mon voisin me dit : « Les professeurs ont raison. A quoi sert de laisser Chahed parler quand on voit le prix des pommes de terre. Le pauvre n’arrive plus à nourrir sa famille ».
D’autres commentateurs, eux médiatiques, incriminent le complot politique à l’orée d’élections problématiques. Un collègue économiste, pourtant âgé d’à peine cinquante ans, vitupère « les airs vulgaires de ces professeurs si peu ressemblants à ceux d’avant. Tenues débraillées, contorsions, gesticulations et celle qui ne cessait de répéter « nous sommes des professeurs ». Mella hala ! »
La vie chère pour les damnés de la terre, ou la dégradation du look professoral pour les nostalgiques du moment bourguibien, avec ses colosses de l’humain dans tous les secteurs de l’activité, déploient des variations autour du même thème, la déprime économique, politique et civique. Depuis la mythologie brodée autour de ce quelconque Bouazizi, les divers champs sociaux composent, ensemble, un lugubre tableau avec pour commun dénominateur, les cris et la fureur de l’élan destructeur. Le terme déréliction désigne cet ambiant imprégné de lâchage et d’abandon.
La démoralisation systématique nourrit la palabre menée sur la voie publique et la scène médiatique avec ses débats hystériques si éloignés de la sérénité.
La dernière grand-messe arabe colportait l’illusion de solutionner bon nombre de problèmes posés. A terme, les effets dévastateurs l’emportent sur l’itinéraire constructeur au niveau national et au plan international.
Afin de plaire à Salmane, le Saoudien, maints larbins condamnent le pouvoir iranien, accusé d’ingérence au Moyen-Orient. Quel est donc l’objet de cette ainsi nommée « ingérence » ? Les Iraniens soutiennent les Palestiniens à la barbe du colonialisme israélo-américain. Dans ces conditions, quand les pays arabes réunis proclament la Palestine figurer au premier plan de leur cause commune, appeler « ingérence » le soutien iranien des Palestiniens donne à voir le summum de l’inconséquence et de l’incohérence. Trump, de loin, se frotte les mains : les Tunisiens auront besoin de moi au cas où Hafter l’emporterait sur Sarraj et irait jusqu’à menacer le pays voisin. Dans l’actuelle conjoncture, Bourguiba aurait jamais commis une telle bavure, celle d’insulter l’Iran pour lécher les bottes salies par l’affaire Khashoggi. Sitôt prise la position opposée à la décision américaine afférente au Golan syrien offert au pouvoir israélien, l’Amérique suspend son aide militaire à la guerre saoudienne menée au Yemen.
L’imbroglio de ces réseaux d’alliance et de mésalliance met hors jeu l’inféodation de la politique étrangère tunisienne à la stratégie saoudienne. Trump n’est pas seul à se frotter les mains.
Les frères musulmans de Tunisie, eux aussi, sourient aux pétrodollars de Salmane, le gardien des lieux saints. Par leur senteur au plus haut point religieuse, les finances islamiques plaisent aux apôtres des écoles coraniques.
A l’heure où le souvenir du moment bourguibien revient, en ces 8 et 9 avril, le combat engagé entre modernistes et salafistes paraît avoir encore de beaux jours devant lui.
Principaux responsables de la gabegie, depuis leur accès au pouvoir, les frères tirent sur tout ce qui bouge dès que, de retour au destour, il s’agit. Abir Moussi le dit, vidéos à l’appui. L’image exprime, d’un seul coup, ce que l’écriture énonce, de façon progressive, au fil des mots. A ce propos, Paul Klee, le peintre suisse, éclaire nos lanternes dans sa “théorie de l’art moderne”. Mais en dépit de l’interminable gabegie, l’Egypte, l’Algérie et maintenant le soudan, ne semblent guère inspirer la Tunisie.
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