Les ailes brûlées: Contre le pardon!

 

Le 18 septembre 2000, à Mostaganem (Algérie), une jeune comédienne de 21 ans, El hadja Menad, était aspergée d’essence par son frère et brûlée vive. Elle ne survivra que quelques jours à ses brûlures, dans les souffrances qu’on imagine ; l’assassin, lui, ne sera condamné qu’à…trois ans de prison avec sursis.

Dans un pays traumatisé par les années de violence qui viennent de s’achever, le meurtre passe presque inaperçu – rares articles dans la presse, pas de protestation du reste de la troupe de comédiens, déni de la famille…

 

Synopsis

Dalila Azzi reprend l’affaire, ni sous forme d’hommage, ni pour rendre justice, mais par un réquisitoire intransigeant contre toute les dérives sociétales, les imbécilités, les lâchetés qui ont conduit à un tel crime. Elle imagine le retour du fantôme d’El hadja, douze ans après, et une sorte de procès sur la scène du théâtre où jouent aujourd’hui ses amis comédiens. Procès sans concession du crétin de frère meurtrier, de la mère, du père, des amis. En fait, procès de toute une société engoncée dans le poids de ses traditions et de sa misogynie, dans le manque d’éducation, le refus, même, de l’éducation, l’imbécillité triomphante du machisme.

Basé sur le destin tragique d’El hadja Menad, « Les ailes brûlées » est un cri.  Cri de douleur, de désespoir, de colère face au silence des autres, à l’injustice subie et répétée, à la souffrance innommable, à la mort venue par surprise et bien trop tôt.

L’esprit d’El hadja revient à Mostaganem quelques années après sa disparition. Là, elle convoque sa famille et ses amis pour un face à face poignant, douloureux, tragique par moment où par moment la vérité de chacun sort…

Démarrant donc comme un roman, l’œuvre se continue sous forme théâtrale où El hadja mène la danse, théâtre aux consonances antiques avec la présence d’Hadane qui se rapproche bien du rôle des anciens chœurs.

Poétique au démarrage, on se retrouve très vite dans des dialogues acérés, où l’accusation et la défense se heurtent la plupart du temps sans jamais vraiment trouver de consensus, où l’ignorance et la bêtise crasse sont mis au banc des accusés, incarnés par le frère meurtrier, inculte et aveuglé par des coutumes dépassées, incapable d’ailleurs de soutenir le feu vengeur de sa victime ivre de colère, de rage et d’incompréhension. Car El hadja était en effet en opposition directe de son frère (qui n’a même pas de nom dans cette œuvre) : cultivée, promise à un bel avenir de comédienne, quasiment autonome, ce qui allait à l’encontre de la tradition pervertie par son frère et ses amis…

Pour ce qui est du style, il est fluide, très aisé à lire au point qu’une fois commencé, je n’ai plus lâché le livre, vibrant d’émotions à chaque étape du calvaire d’El hadja (l’identification était encore plus facile étant donné que je suis de la même génération), de ses cris de détresse face à l’oubli, de sa colère face à l’injustice qui lui a été faite et enfin le faux apaisement grâce à l’honnêteté de son père et de ses amis.

Tel que résumé, vous pourriez croire qu’il s’agit là d’un roman ennuyeux. C’est tout le contraire : ce livre est un poème. Avec une langue incroyablement belle, une narrativité originale, puisqu’y alternent l’écriture théâtrale et l’écriture romanesque. On vit de l’intérieur l’horreur de l’agonie d’une grande brûlée, son indignation devant l’indifférence et surtout son refus du pardon.

Un livre magnifique, éblouissant, un livre coup-de-poing que je conseille à tous.

Farouk Bahri

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