Les anciens et les nouveaux amis

L’invitation de la Tunisie à participer au récent G7 en Italie interpelle à plus d’un titre. Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter?
De prime abord, il y a lieu de saluer le retour de la Tunisie dans le giron des plus grandes puissances occidentales, espace dans lequel la Tunisie bénéficiait d’un crédit et d’un statut de partenaire privilégié pendant des décennies, depuis son indépendance. Il s’agit bien d’un retour après plusieurs mois de froid insidieux sur les relations bilatérales et multilatérales après le coup de force du 25 juillet 2021 qui avait suscité des inquiétudes chez les soutiens inconditionnels du Printemps arabe et des formations politiques qui en ont été les acteurs, le parti islamiste Ennahdha en tête.
Américains, surtout, et Européens ont soutenu aveuglément, sans broncher, la transition démocratique enclenchée après la révolution de 2011 et la chute de Ben Ali, malgré les ravages du terrorisme et l’explosion de la corruption à tous les niveaux, particulièrement au sein de l’Etat. Les dirigeants des lendemains de la « révolution de la dignité » avaient « réussi » à amplifier les maux du pays contre lesquels les Tunisiens s’étaient révoltés.
La Tunisie au G7, donc. Pourquoi ? Le timing et les nouvelles orientations de la Tunisie en matière de politique économique peuvent en être l’explication. Au programme officiel de la réunion du G7 : l’Ukraine, la Chine, l’Iran et d’autres sujets d’actualité brûlante, tels que le conflit au Proche-Orient et l’immigration. Si la Tunisie n’est pas directement impliquée dans la décision d’octroyer une nouvelle aide financière à l’Ukraine (50 milliards de dollars), elle est concernée par ses relations avec la Russie, l’Iran et la Chine et par la question migratoire.
Le timing. La guerre en Ukraine évolue en sa défaveur, la Russie réalise des avancées tandis que l’Ukraine demande encore davantage d’aides financières et militaires de ses protecteurs occidentaux.  Les sanctions américaines et européennes continuent de tomber sur la Russie depuis son agression contre l’Ukraine en février 2022, mais pour les pays occidentaux, il faut encore plus pour stopper la Russie qui avance simultanément en Ukraine et en Afrique, notamment en tentant de l’isoler de ses alliés arabes et africains. Suite à un nouvel accord céréalier conclu en décembre 2023, la Tunisie a amélioré ses échanges commerciaux avec la Russie d’où elle importe désormais l’essentiel de ses besoins en blé, à prix abordables. Mais pas que. Lancement de satellites, transition numérique et nouvelles technologies ont, aussi, fait partie de l’accord.
Mais la véritable sonnette d’alarme a retenti en Occident en mai dernier. Les relations tuniso-russes ont donné des soucis à l’administration Biden qui a vu un éventuel virage pro-russe de la Tunisie dans un article, étonnant, publié par le journal italien « La Repubblica » faisant état de la présence d’avions militaires russes dans l’île de Djerba. Tunis et Moscou ont fermement démenti, mais le coup est parti. La Tunisie s’est historiquement placée du côté du camp occidental mais rien ne l’empêche de nouer de nouvelles relations à l’Est pour servir ses intérêts. La Tunisie l’a bien fait entendre à maintes occasions en prônant la souveraineté nationale et le refus de l’ingérence étrangère. Un discours que les médias, français notamment, ont qualifié d’anti-Occident et suffisant pour lancer une campagne médiatique hostile contre le locataire du Palais de Carthage et toutes les décisions prises dans le cadre du processus du 25 juillet.
Aujourd’hui, la Tunisie a de grands soucis économiques, il lui incombe de chercher des solutions là où elles peuvent être disponibles. Kaïs Saïed en a trouvé, aussi, en Chine où il vient d’effectuer une visite d’Etat qui a été soldée par la signature d’un accord de partenariat stratégique entre les deux pays. L’orientation vers la Chine a été mûrement réfléchie et des projets économiques avec le pays de Xi Jiping en ont résulté.
L’Iran, pour sa part, n’est pas considéré comme un pays ennemi par le président Kaïs Saïed. Les tensions Iran-Israël-Occident qui ont atteint leur plus haut niveau avec le génocide israélien à Gaza placent la Tunisie et l’Iran du même côté, soutenant la cause et la résistance palestiniennes et le droit des Palestiniens à un Etat indépendant. Un fort témoignage de rapprochement entre les deux pays vient d’être acté avec l’annulation du visa pour les Iraniens qui souhaitent visiter la Tunisie, tout comme les Irakiens, d’ailleurs. Avant cela, Kaïs Saïed s’était déplacé en Iran pour participer aux funérailles de l’ancien président Ebrahim Raïssi qu’il avait rencontré trois mois plus tôt à Alger, lors d’un forum consacré aux plus grands exportateurs de gaz (mars 2024).
Peu de chefs d’Etat arabes avaient fait le déplacement à Téhéran. Au cours de sa visite inédite en Iran, qui vient 59 ans après celle de Bourguiba (en 1965) où il avait alors rencontré le Chah d’Iran, Kaïs Saïed a eu un entretien avec le Guide suprême iranien, l’Ayatollah Ali Khamenei. Pays historiquement apaisé et modéré sur le plan religieux, la Tunisie, dirigeants et peuple, ne cautionne pas les tensions entre sunnites et chiites. Or, l’Iran fournit des armes à la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine, les Occidentaux ne peuvent donc pas cautionner le rapprochement tuniso-iranien et pourraient le faire savoir au Chef du gouvernement Ahmed Hachani dépêché en Italie par le chef d’Etat pour le représenter au G7.
Pour ce qui concerne la participation de la Tunisie à la réunion du G7 en Italie, l’occasion a été pour le Chef du gouvernement de rappeler la position de principe de la Tunisie quant à son soutien inconditionnel à la cause palestinienne pointant le silence « condamnable » face au génocide à Gaza qui peut lui-même être assimilé à un « crime ». Ahmed Hachani a, également, mis l’accent dans son discours sur les défis climatiques, énergétiques et sécuritaires (migration clandestine, terrorisme) auxquels est confrontée la Tunisie et qui nécessitent des actions urgentes. Des domaines qui engagent « l’avenir commun de la région méditerranéenne et de l’Afrique », ce qui appelle à « une intensification de la coopération bilatérale et multilatérale ». Sur le plan économique, la Tunisie n’a nullement l’intention de se détourner de ses partenaires traditionnels occidentaux, en l’occurrence européens, mais aspire à de « nouvelles approches » en matière de partenariat économique qui se basent sur le principe gagnant-gagnant et sur la responsabilité partagée. Donc, économie, rien que de l’économie, rien de quoi s’inquiéter.

Related posts

Le danger et la désinvolture 

Changer de paradigmes

El Amra et Jebeniana