Avec sa première audition en direct, l’Instance Vérité Dignité a voulu se montrer à la hauteur de cette soirée du 17 novembre 2016, avec des témoignages poignants des victimes de violations des droits de l’homme pendant le règne de l’ancien régime. La séance a tout même été perturbée par de nombreux incidents techniques, qui ont obligé les téléspectateurs à subir des temps d’attente parfois longs. « L’IVD constitue le couronnement de la révolution et de la dignité. Nous vivons un moment historique, un événement important, non seulement pour la Tunisie, mais aussi pour le monde entier », a commencé Sihem Ben Sedrine, présidente de l’Instance.
Elle a souligné, par ailleurs, l’importance de bâtir une justice équitable et de donner la parole à celles et ceux qui ne l’ont pas eue avant le 14 janvier 2011. « Aucune voix ne saurait se superposer sur celles des victimes. Nos héros, sont ces victimes. Écoutons-les pour empêcher les abus dont elles étaient victimes de se reproduire », a-t-elle déclaré.
Des témoignages poignants
Abus de pouvoir, violation de la dignité humaine, mensonges, tortures … Tels sont les principaux points soulevés, avec une grande émotion, par les personnes auditionnées en direct par l’IVD.
Ourida Kadouss, mère du martyr Raouf Kaddous, mort à Sidi Bouzid le 9 janvier 2011, a été la première a avoir été entendue. Long et fervent a été son témoignage. « Notre fils est mort. Nous ne serons satisfaits que lorsque les causes pour lesquelles il a été tué seront prises en considérations : les objectifs de la révolution », a-t-elle répété à plusieurs reprises.
De nombreuses piques, destinées aux politiques, ont été lancées par la mère du martyr. « Nos enfants ont donné leurs vies et leurs sangs pour que vous puissiez occuper vos confortables postes actuels. Les politiques ont complètement délaissé ceux qui ont fait la révolution ! Je peux comprendre que certains soient trop vieux et fatigués pour se déplacer, mais ils peuvent envoyer quelqu’un pour venir nous voir ! Je souhaite, surtout, que le Tribunal militaire se désengage du dossier de mon fils et que l’affaire soit transférée aux tribunaux spécialisés », a-t-elle dit.
A l’ancien président de la République Zine Abidine Ben Ali, Ourida Kadouss a déclaré qu’il ferait mieux de faire don de l’argent qu’il dépense pour son avocat Mounir Ben Salha. « Vous devriez [Ben Ali] plutôt vous repentir et demander pardon à Dieu. Je peux comprendre que ce sont les Trabelsi qui vous ont induit en erreur par moment », a-t-elle souligné.
L’intervention de Fatma Farhani, mère d’Anis Farhani, mortellement blessé par balle par un policier le 13 janvier 2011, constituait l’un des moments forts de la séance d’audition en direct de l’IVD. Son indignation était totale, notamment lorsqu’elle avait évoqué l’impunité du policier qui avait mis fin aux jours de son fils. « Ce ne sont pas tous les sécuritaires et les militaires qui sont mauvais. Néanmoins, il faut veiller à punir les mauvais ! Personne n’a été à nos côtés : ni le gouvernement, ni les partis politiques ! « , a-t-elle lancé, devant l’assistance d’une voix tremblante d’émotion.
Le témoignage de la mère et de l’épouse de Kamel Matmati, dont la mort a été dissimulée par la police pendant 18 ans, montre également la souffrance dont ont été victimes certaines familles avant le 14 janvier 2011. « Kamel travaillait à la STEG, jusqu’à ce qu’un jour, deux agents sont venus le chercher pour l’emmener, sans raison. Il a été maltraité tué sans que nous ne le sachions […]. A l’heure actuelle, nous ne connaissons même pas l’endroit où il a été enterré ! », a confié la veuve, les yeux embués, dont les propos ont été renchéris par le discours de sa belle-mère.
L’intellectuel Sami Brahem a, par ailleurs, été l’une des victimes ayant témoigné le soir du 17 novembre 2016. Notons que son intervention a duré bien plus longtemps que celles des autres victimes. L’intellectuel a surtout dénoncé la torture dont il avait fait l’objet durant l’ancien régime.
L’audition a été conclue avec le témoignage de Gilbert Naccache, intellectuel et écrivain, qui est longuement revenu sur les abus de l’ancien régime en matière de liberté de conscience et d’opinion. « La police ne connaissait qu’une méthode de travail à l’époque : la torture », a-t-il déclaré. « J’ai séjourné trois fois en prison et pendant ces trois fois, j’ai subi la torture. Les tortionnaires ont été sélectionnés dans le seul but de torturer, sans même savoir ce qu’ils devaient faire avouer. Une bonne partie d’entre-eux pratiquaient ce métier pour gagner leurs pains, selon eux », a-t-il encore ajouté.
C’est tard dans la nuit que l’audition en direct de l’IVD s’est achevée. La première soirée fut riche en émotions et en révélations fracassantes.