Alors qu’on prédisait dans les différents sondages politiques – souvent décriés mais paradoxalement bien suivis – le pire, en termes de participation pour les prochaines échéances électorales, l’on s’est rendu compte, une fois le seuil atteint par le nombre d’inscrits sur les listes électorales annoncé, de l’apparition d’enjeux qui risquent de brouiller les cartes de la classe politique.
Plus d’un million de nouveaux électeurs, soit un corps électoral comptant plus de 6,8 millions, seront potentiellement présents aux urnes à partir d’octobre prochain. La prorogation, jusqu’au 15 juin 2019 de l’inscription sur les listes électorales, décidée par l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE), vraisemblablement sous la pression de certains partis politiques dont Ennahdha, devrait permettre de gonfler encore ce chiffre, où les jeunes occupent, pour une fois, les premières places.
Cette nouvelle donne suscite à la fois optimisme et un tantinet de sentiment d’interrogation. Après des Municipales où le taux de participation a été des plus faibles et où les jeunes électeurs ont préféré bouder les urnes, plutôt que cautionner une élite politique dans laquelle ils ne se reconnaissent pas, l’on s’apostrophe sur les motifs qui ont poussé, enfin, cette catégorie à revenir en force et à chercher à faire entendre sa voix.
Si l’on prend le verre à moitié plein, l’on ne peut que se féliciter du nombre d’inscrits sur les listes électorales et reconnaître l’effort déployé par l’ISIE qui a choisi une démarche de proximité qui s’est avérée somme tout fructueuse.
Ce processus annonce-t-il un engagement citoyen du corps électoral, notamment des jeunes, qui viendrait fausser les prédictions des instituts de sondage, qui s’attendent à un absentéisme record, comme ce fut le cas en mai 2018 lors des premières Municipales post révolution, et une prise de conscience salutaire de l’impératif de participation à la vie publique comme levier pour renforcer les fondements de cette démocratie jeune, en butte à des vents contraires aussi bien au niveau national que régional ?
Il faut attendre pour apprécier la traduction effective sur le terrain de cette vague intéressante d’inscription sur les listes électorales et, surtout, la réaction de ces nouveaux électeurs aux discours et programmes des partis politiques ou des représentants qui se déclarent indépendants, se réclament de plus en plus de la société civile et du tissu associatif et qui défendent chacun à sa manière les idées progressistes, socio-démocrates ou centristes.
Dans ce brouhaha, la question qui interpelle consiste à savoir si tout ce beau monde sera au rendez-vous et en nombre suffisant en octobre prochain. A priori, rien n’est sûr et tout pronostic relève de la pure spéculation.
Si l’on voit le verre à moitié vide, l’on peut se demander si tous ces nouveaux électeurs – que la plupart des partis politiques cherchent à canaliser ou à en tirer profit tout en ignorant leurs vraies intentions – vont provoquer un changement qui n’a pas eu lieu, et adresser une sévère correction à une classe politique qui, depuis 2011, a failli lamentablement à ses missions en agissant à contresens, berçant les Tunisiens de fausses illusions et versant, parfois, dans un populisme assassin et dans des surenchères stériles ayant eu raison de leur patience et de leur confiance.
La grande question qui reste entourée d’un nuage opaque, se réfère au profil des nouveaux électeurs. Leur mobilisation pour l’inscription est-elle un prélude à leurs aspirations à changer la donne, à mettre un terme au cercle vicieux dans lequel le pays s’est trouvé prisonnier depuis plus de huit ans et à l’incompétence notoire d’une élite politique, plutôt obnubilée par le pouvoir que par une volonté sincère de servir le pays ? Vers quelles formations vont-ils se pencher, pour quels programmes vont- ils voter et quelles personnalités vont- ils propulser ?
Il s’agit d’une grande inconnue qui perturbe la plupart des partis politiques dont Ennahdha, Nidaa Tounes et bien d’autres. Tous ou presque s’affairent aujourd’hui, tant bien que mal, à sceller des alliances factices, à étudier de probables fusions de circonstance ou tout simplement à revoir, dans une insoutenable légèreté, leurs discours ou leur mode de communication pour échapper à la sentence des urnes et au désaveu d’électeurs qu’ils connaissent d’avance désabusés et déçus.
Le mérite du gonflement du nombre des électeurs est peut-être d’avoir brouillé les cartes à nouveau et de remettre en question certaines certitudes. L’extrême nervosité affichée par certains partis politiques et le manque d’arguments qu’ils présentent trahissent une peur, une crainte et surtout une réaction inattendue de ces nouveaux électeurs, qui n’avaient pas pu s’exprimer lors des précédentes échéances.
Avec des partis politiques dont le discours et les programmes sont presque inexistants, la résurgence d’un discours populiste qui n’a aucun lien avec la sphère réelle, la multiplication des manœuvres électoralistes dont les visées ne peuvent plus tromper personne, il y a de quoi prendre des précautions et se faire des soucis quand les jeux sont loin d’être faits à l’avance !