Les chèvres de Monsieur Seguin

Le Tunisien est, on le sait, un sacré boute-en-train et indécrottable bon vivant. S’il est ronchonneur, insupportable, égoïste et même vulgaire de jour, le soir il redevient, avenant, généreux et de bonne société. Une espèce de docteur Jekyll et Mr Hyde à l’envers.

Ce fantasque personnage, qui s’est approprié chemin faisant, une révolution aussi fantasque que lui, vient de découvrir que les révolutions ont un prix. Et que d’abord les révolutionnaires, quand ça se trouve, s’ils réussissent à prendre la rue, chasser l’usurpateur présumé et libérer le peuple, se soucient fort peu de ce que serait la vie après la libération.

Et il y a eu, justement, une vie, inattendue, inédite.

Une vie qui sent le soufre et la mort, dans une totale atomisation de l’Etat et de ses institutions.

Le Tunisien prit donc rendez-vous avec la terreur et se familiarisa avec l’acte brutal. Mais tel Blanquette, la chèvre de monsieur Seguin, il paraît jouir d’une insouciance parfaite et semble ne pas être concerné par les risques et les enjeux. On s’acclimate et on s’adapte au pire et on se remet, comme dans le conte de Daudet, à brouter goulûment l’herbe, cependant que le loup se prépare à un nouvel assaut.

Cette morale caprine s’adapte aussi à ces politiciens aveugles et sourds, qui ouvrent notre marche devenant de plus en plus funèbre. Ces politiciens qui « gambadent » impunément et qui broutent l’herbe tendre que leur offre l’avantage de la fonction, sans se soucier outre mesure de l’urgence et du glas qui semble avoir sonné il y a belle lurette.

Partout dans le monde arabe, et surtout dans les pays touchés par la grâce printanière, l’islam politique éprouve de plus en plus de difficultés à maintenir sa morgue des premières et courtes années de gloire. Un vent de franche fronde annonce un avenir sombre pour les frères. Cependant que chez nous, les suppôts de l’islamisme continuent à nous narguer sur nos écrans et même, au sein de l’Assemblée du peuple.  Quand la raison et les exigences de la modernité commandent que le pouvoir brise définitivement ses liens avec les sornettes de droit divin hérités du moyen-âge, on continue à disserter sur les bienfaits d’un intégrisme éclairé, dont on a vu le résultat et mesuré la démesure de son absurdité et des méfaits qui en découlent. Seul l’Etat, dans son expression séculière, pour ne pas dire laïque, possède les attributs de la souveraineté et du droit. C’est à cette condition que notre marche vers le salut pourrait être entamée, car déraciner le spirituel du terreau politique est la plus urgente des priorités.

La conscience religieuse ne sera plus alors affaire de communauté mais d’individu, et c’est à proportion d’un tel acte d’audace, que l’avenir nous appartiendrait. Mais cet acte souverain, audacieux et patriote est-il dans les cordes de notre classe dirigeante ? Il est à craindre que les cordes ténues et bien fragiles, ne seraient pas en mesure de contenir nos espoirs.

Parce que le 14 janvier, n’a pas été généré -et n’a pas généré- un courant de pensée, un mouvement ou une école, allant dans le sens d’une réforme absolue, d’une refonte, d’une révolution pour le progrès.

Il a au contraire, mis à nu nos contradictions, nos tiraillements et les a exacerbés.  Il ne sert plus à rien maintenant, d’accuser les Américains ou les Martiens d’avoir fomenté et monté cette révolution « satanique ». C’est fait et nous sommes dans le devoir d’opposer la parade, si on est en mesure de le faire. Comme dans une partie d’échecs, nous pouvons encore déployer une stratégie face aux « fous » et contre attaquer subtilement.

Mais notre « tour » ressemble dramatiquement à celle de Babel. Nous sommes effectivement dans Babylone, la cité de la « confusion ». La confusion des langues et des intérêts. Ce qui a laissé le champ libre aux excès les plus absurdes et à la dissolution de la morale politique, ou ce qu’il en reste.

Nous ne pouvons en aucune manière reprocher au Coran le fait d’avoir omis de révéler une sourate explicite sur la démocratie représentative et une autre nous éclairant sur des questions que dicte l’urgence contemporaine. Le texte est peut-être sacré dans ce qu’il a annoncé, mais pourrait-il l’être dans ce qu’il n’a jamais abordé, et même soupçonné ? A moins de l’amener par l’exercice de contorsions exégétiques à se soumettre aux contingences et aléas de la demande et de l’exigence présentes et souvent imprévisibles. Ce sera à notre avis, nuire à l’essence sacrée et dénaturer l’esprit de la révélation telle qu’elle est perçue par le bon sens collectif de la communauté. Amené sur le terrain du profane, le sacré divise plus qu’il n’unit, et c’est pour cette raison qu’il faudrait, par respect, l’éloigner des querelles et des divergences qui pervertiraient immanquablement un substrat ineffable qui s’inscrit dans un absolu de référence.

Face à l’hésitation et au flou qui caractérisent et pénalisent l’action politique, face aux louches alliances et au complot qui récidive, on en appelle à l’action citoyenne, à la société civile, pour dénoncer la manigance, discréditer l’irresponsabilité d’où qu’elle provienne  et dévoiler la collaboration et toute forme d’intelligence avérée avec n’importe quelle partie étrangère qui permet et autorise la terreur chez nous. La citoyenneté est une culture, le patriotisme découle du sentiment d’appartenance et notre pays ne pourra supporter davantage l’humiliation de la soumission à des pays et des intérêts tiers, car notre histoire, orgueilleuse et hautaine, nous interdit la génuflexion.

 

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