Les citadelles des corsaires

 

Par Alix Martin

Souhaitons que toute la nation célèbre, avec ferveur, l’anniversaire du 20 mars 1956 qui vit le pays accéder à l’Indépendance sous la conduite du Président Habib Bourguiba.

Cette année, nous avons pensé faire une promenade nostalgique dans des sites célèbres et glorieux, d’où partaient les « corsaires barbaresques », affrontant les marines européennes dans le cadre de la rivalité opposant les Ottomans à l’Empire espagnol à partir du XVe siècle.

Prologue

Au XVe siècle, les découvertes maritimes portugaises ont aiguisé l’appétit impérialiste de l’Espagne. L’histoire des forteresses du Nord-Est tunisien s’explique par sa rivalité avec les Ottomans, le déclin des Hafsides en Ifriqiya et sans doute, le désir de revanche des Andalous chassés d’Espagne en 1610.

Dès le XIVe siècle, les premiers corsaires maghrébins attaquent. Les Républiques italiennes puis l’Espagne contre-attaquent. Mais, en 1453, les Turcs prennent Constantinople et élèvent la « Course » à la hauteur d’une institution.

Benzart / bizerte

Dès le début du XVIe siècle, les corsaires bizertins livrent, au large de Jerba, des combats contre des Français. Le 13 juillet 1534, Khair-Eddine mouille devant Benzart et s’empare de Tunis. L’année suivante Charles Quint s’empare de Benzart qui est pillée.

Il semble que le premier « fort d’Espagne » ait été bâti par les Espagnols en 1557, sans doute, sur l’emplacement d’un ancien Ribat. Il occupe une position très avantageuse : il surveille la ville construite à ses pieds, le port et la rade.

Mais, cette citadelle ne résiste pas au retour des Turcs qui reprennent Benzart en 1572, même si Don Juan, le vainqueur de la bataille de Lépante, la reconquiert l’année suivante. La ville sera définitivement perdue lors de la prise de Tunis par Sinan Pacha en 1574.

Le plus important ouvrage fortifié de Benzart semble avoir été construit à la demande d’Eulj Ali, Beylerbey. Il affecte la forme d’un polygone à treize côtés bâti en grande partie en terre pilonnée, qui résiste mieux aux impacts des boulets de canon, avec un parement extérieur en pierres de taille. L’unique porte, surmontée d’un « assommoir », donne accès à une cour occupée par des casemates qui ont été très remaniées par la suite.

L’œuvre originale de l’architecte turc : Caïd Farhat fut transformée sous le règne d’Ali Pacha après un bombardement français de 1740. Au polygone étoilé à quatre branches, aux murs épais d’une vingtaine de mètres, fut ajoutée, au Nord, une large plate-forme à canons.

Le port de Benzart est protégé par une véritable petite ville fortifiée : la kasbah construite sur les vestiges de la ville antique et aghlabide. Toute l’enceinte, excepté le bastion Sud-Est, a été bâtie par les Ottomans à partir de 1574. Les courtines en terre pilonnée enserrée de deux murs en pierres ont 20 mètres d’épaisseur. Une unique porte à décrochement ouvre sur l’intérieur.

Le monument, appelé Borj El Hinni contrôle l’entrée du port, fermée par une chaine. Le bâtiment original, médiéval, a été très remanié par les Ottomans.

 

Ghar El Melh

Cette petite ville, fut ressuscitée en 1638 pour abriter les vaisseaux à fort tirant d’eau dans sa rade, profonde à l’époque. Elle doit son nom : « la grotte du sel » à des salines disparues.

Une population andalouse en majorité s’installe au XVIe siècle sur le site de Rusucmona antique. En 1541, la flotte de Charles Quint, venue attaquer Tunis, y fait escale.

Vers 1640, les installations maritimes et un arsenal sont construits à la demande du Sévillan Osta Moussa El Andaloussi. La passe d’entrée est gardée par deux bastions et les quais sont renforcés par un mur de soutènement percé de meurtrières. Mais, en 1654, l’amiral anglais Blake détruit la flotte de Hammouda Bey en ces lieux. Au XVIIe siècle, c’est une redoutable base de la course. Le fort Borj El Oustani construit en 1638-1640 est entouré d’un fossé.

L’arsenal et le bagne aux esclaves sont bâtis par le mouradite Ali Bey à la fin du XVIIe siècle. Borj Tounès est construit à l’extérieur de la ville en 1659 à la suite de l’attaque anglaise.

En 1837, Ahmed Bey rêve d’en faire un Toulon tunisien. Des palais et des casernes pour abriter 10.000 hommes y sont construits. Mais le lac s’ensablait inexorablement et la Goulette lui a été préférée bien que ses trois forts et son port soient encore redoutables. La nouvelle architecture morisque perce des embrasures à canon au ras du sol. Elle fait supporter le chemin de ronde par des voûtains, ouverts vers l’intérieur et percés de meurtrières équipées de canons. Ce procédé augmente l’élasticité des murs. Les bastions droits sont souvent remplacés par des « saillants » octogonaux.

 

La goulette

La Goulette

« Halk El Oued » ou « Foum El Oued » est appelée ainsi en raison du chenal creusé par Hassan Ibn Nooman au VIIe siècle. Il est défendu par un ouvrage : « Ksar El Amir », une tour carrée. Après s’être emparé de Tunis en 1531, Khair-Eddine consolide la petite tour carrée en la flanquant de bastions d’angle.

Après leur expédition de 1535, les Espagnols s’installent à la Goulette et construisent une forteresse englobant la première. Puis, Philippe II renforce cette citadelle : la Vieille Goulette en l’enveloppant d’une nouvelle enceinte à 6 bastions : la Nouvelle Goulette.

Après leur victoire en 1574, les Turcs détruisent la « Nouvelle Goulette » mais des vestiges de la « Vieille Goulette » subsistent jusqu’au XVIIe siècle.

En 1640, ce qu’il en reste est englobé dans un nouveau fort ainsi que le bastion Nord-Est qui s’était conservé.

A la fin du XVIIIe siècle, de grands travaux sont réalisés à la Goulette. Au XIXème siècle, la citadelle prend son aspect actuel sous le règne de Hammouda Pacha. Elle va servir de bagne aux esclaves puis de caserne coloniale.

L’îlot Chekly contrôle le canal reliant Tunis à la Goulette. Le fortin médiéval servit de soubassement à un fort édifié par Khair-Eddine en 1535 mais détruit par les Espagnols la même année.

Entre 1546 et 1550, le gouverneur espagnol de la Goulette le restaura et augmenta ses défenses. D’autres travaux y furent exécutés en 1574. Il fut le dernier refuge des armées des Habsbourg lors de la prise de Tunis par Sinan Pacha. D’abord abandonné, il est restauré en 1660 mais sa garnison est retirée par Hammouda Pacha. Transformé en lazaret puis laissé à l’abandon, il a été restauré, en partie, durant les années 80 et consacré aux oiseaux en tant que réserve ornithologique intégrale.

 

Suggestions

Qui s’intéresse encore à ces vestiges chargés d’anecdotes historiques prestigieuses. Quand on constate que les visiteurs se pressent sur tous les châteaux et toutes les villes fortifiées en Europe, on peut souhaiter que les forteresses tunisiennes ne soient pas délaissées.

La Goulette aurait vocation à être une escale pour les bateaux de croisière. Les visiteurs auront, à leur arrivée et à leur départ, la vision des courtines délabrées de la citadelle de la Goulette. Tant pis !

Pour terminer sur une note optimiste : quelle que soit l’origine et la fin de cette promenade et même l’étape intermédiaire : Ghar El Melh, les curieux seront récompensés à la Goulette ou aux alentours du vieux port de Bizerte ou à « Porto farina » par une délicieuse dégustation de poissons frais !

A.M.

 

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