Les conditions du succès des transitions politiques: – Quel modèle de régime politique?: Risque de confiance contre risque de défiance

Le forum  international de Réalités dont les travaux ont essayé de cerner les enjeux nés de la Révolution du 14 janvier 2011, a consacré lors de sa première journée un panel  sur une thématique de grand intérêt : Les conditions du succès des transitions politiques: – Quel modèle de régime politique ?  Ce panel présidé par Mme Elizabeth Guigou a eu le mérite de faire un croisement intelligent entre plusieurs expériences démocratiques, en permettant à des personnalités de différents bords d’apporter des éclairages utiles sur des processus inédits où partis politiques et société civile ont grandement contribué à l’émergence d’expériences démocratiques dans la région.

En effet, à la faveur de l’échange d’idées et d’expériences, une idée force a dominé le débat à savoir que dans cette région, confluent de toutes les civilisations, il sera possible tôt au tard de parvenir à un projet qui réunira les deux rives de la Méditerranée et à construire par la volonté des peuples de la région, une zone de développement, de prospérité et de stabilité. Même si le socle des valeurs est extrêmement sensible, dangereux,  on garde  un certain optimisme.

L’expérience libyenne revêt à cet égard une importance cruciale. En dépit du chaos qui perdure et des périls qui existent, certains avancent que le drame libyen a été nourri par une certaine incompréhension des réalités de ce pays et par l’interférence de forces extérieures.

Cet avis est partagé par M Oussama Asaad, qui affirme qu’il existe dans le cas d’espèce, un véritable paradoxe, puisque à l’extérieur on a l’impression qu’on ne connait pas bien la Libye et à l’intérieur, les libyens se connaissent mal, ou très peu. La région est, précise-t-il, « se méfie beaucoup de la région ouest et, dans une même région, la méfiance entre les différentes tribus  est vivace et se nourrit d’une peur et une inquiétude de l’avenir ». Le chaos libyen trouve son explication dans plusieurs facteurs, d’abord l’incapacité, de la classe politique après la révolution de 2011, à présenter aux Libyens un projet national. Malgré cela, estime Asaad,  «tout le monde est prêt pour le dialogue, même les islamistes radicaux comme Ansar Charia ou le conseil de la Choura de Benghazi ». La raison est simple, tout le monde est fatigué par un conflit, tout le monde exprime un désir ardent de l’arrêter, mais personne ne sait comment faire.   Pour Asaad, la jeunesse libyenne ne refuse pas la démocratie, bien au contraire, elle veut améliorer son niveau de vie, apprendre, s’ouvrir, mais elle demeure inquiète. Le dialogue qui se déroule actuellement au Maroc pour trouver une solution politique à cette crise, estime-t-on, ne peut aboutir à un projet durable que s’il est accompagné en Libye même, d’un dialogue social. Cela est possible, il suffit de comprendre la mentalité libyenne avant de la juger et de ne pas prendre les choses sous le prisme tribal et de le considérer comme un obstacle. Bien au contraire, conclut M Asaad, il faut savoir utiliser les tribus pour créer un intérêt commun entre elles mêmes et entre les régions.

Une mutation contre le sens de l’histoire

Traitant du cas spécifique de la transition politique en Tunisie, Mme Héle Béji a fait une analyse profonde de cette mutation qui s’est opérée depuis le 14 janvier 2011 en Tunisie. Pour elle, la grande difficulté, ce n’est pas tant le passage d’un système autoritaire à un système, démocratique, mais plutôt d’un système où la représentation religieuse était interdite sur le plan politique, à un système où elle a droit de cité. C’est dans cette mutation politique, estime Mme Béji « qui va à l’encontre du sens de l’histoire, où le religieux a un statut légitime dans la société  que va se jouer l’avenir de l’histoire récente de la Tunisie ». En effet, la Révolution du 14 janvier 2011 a bouleversé ce schéma classique selon lequel on doit se libérer de la religion pour fonder la liberté.  Mme Béji explique que «  chez nous le droit religieux a pris possession de cette liberté de manière totalement logique. Le religieux s’est fait admettre une représentation politique ». ce qu’a inscrit la Révolution tunisienne dans l’histoire du monde, c’est l’inversion de l’esprit auquel on a été accoutumé, d’où le choc entre l’Islam et la philosophie moderne.

L’expérience de l’accès des islamistes tunisiens au pouvoir ne manque pas d’enseignements. Le prosélytisme violent a choqué tout le monde et le peuple a été vite habité par une sorte de psychose. Hélé Béji, explique cette situation en disant «  qu’ils se cachent derrière le masque démocratique pour assassiner la démocratie ». Il a est résulté que les citoyens et les croyants se sont offusqués que le livre saint soit utilisé « comme un levier d’ascension politique et en même temps d’incurie gouvernementale ». pour cette raison la désillusion a été brutale dans la mesure où l’exercice de la chose publique constitue avant tout une rude école de responsabilité. Ce qui est important, relève Mme Béji,  c’est que « les islamistes ont accepté leur défaite, encaissé cet échec et consenti à leur disgrâce. Ce qui n’est pas du tout facile. Ils se sont résignés à lâcher le pouvoir avant même que les électeurs ne les fasse chuter ».  La raison est toute simple, « ils ont négligé l’histoire et quand on néglige l’histoire on est puni ».  Les islamistes d’Ennahdha,  ont, en effet, sous estimé la fibre patriotique des Tunisiens qui a rassemblé beaucoup plus de citoyens que le parti islamiste n’a pu le faire.

Les évolutions récentes survenues sur la scène politique tunisienne après les élections de 2014 est un bel exemple de realpolitik. « il faut oser le risque de la confiance qui est moins dangereux que le risque de défiance. L’esprit de la Révolution du 14 janvier a fait estime Mme Béji «  que la démocratie tunisienne ne s’est pas vidée de la religion ».  En Tunisie, la liberté existe, elle est semblable à celle qui existe dans les pays européens, mais elle est différente sur un seul point ; elle ne peut avoir aucune réalité pour la majorité des Tunisiens sans l’existence de Dieu.

La Tunisie est bien partie

Mme Elizabeth Guigou , présidente de séance qui a clôturé ce panel a exprimé son optimisme et son intérêt pour les expériences présentées. Pour elle, il a été possible de mieux saisir la complexité de la situation qui prévaut en Libye. Malgré le chaos, ce qui est intéressant c’est l’existence de responsables qui réfléchissent pour rejoindre l’expérience de la Tunisie. Elle s’est déclarée impressionnée par la présence de la femme tunisienne,  «  les femmes tunisiennes, c’est quelque chose, dit-elle ».  Elles n’ont pas fait toutes seules ce parcours, parce que souvent derrière elles, des hommes pour les aider et les soutenir. Si en Europe la séparation entre le temporel et le spirituel avait été consommée depuis des siècles, elle a estimé que le débat  sur l’islam dans les sociétés maghrébines, ne peut être conduit et résolu qu’au sein de ces sociétés et par le respect des volontés des peuples. Dans tous les cas de figure, dans ce processus vers la démocratie, « la Tunisie est bien partie », conclut Mme Guigou.

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