Les constats amers du discours du Chef de l’Etat

Le Chef de l’Etat, Béji Caïd Essebsi, lors de son discours à l’occasion de la fête de l’Indépendance ce 20 mars 2018, a décidé de prendre de la hauteur et revenir sur la conjoncture du pays, marquée, selon lui, par le désespoir des tunisiens. « 79,9% des tunisiens sont désespérés et les jeunes aussi », a-t-il commencé pour donner le ton à son allocution, durant laquelle les dossiers économiques, sociaux et institutionnels ont été abordés.

Au prestigieux Palais de Carthage, le président de la République a rappelé les fondements de la jeune démocratie tunisienne, à savoir la liberté d’expression, de la presse et l’Etat de Droit. Un Etat qui, selon lui, n’est pas celui de la coercition, mais plutôt de la justice. « D’où l’invitation de toutes les sensibilités politiques à cette fête, malgré l’absence de quelques uns », a-t-il noté, mentionnant, sans le nommer, le Front Populaire (FP).
Béji Caïd Essebsi a évoqué un décalage entre l’image de la Tunisie à l’étranger et celle que les tunisiens ont de leur pays. « A l’étranger, comme en témoignent les lettres envoyées par mes homologues, la Tunisie jouit d’une excellente réputation, mais pas en son propre sein. C’est une équation à résoudre », a-t-il déclaré.

La Tunisie avant et après 2011
Sur le plan économique, le Chef de l’Etat a dressé un bilan comparatif entre l’avant et l’après 2011. « La dette publique représentait 40% du PIB en 2010, contre 70% en 2017. La masse salariale dans le secteur public, pour sa part, pesait 7 milliards de dinars sur le budget de l’Etat en 2010, contre 14,75 milliards de dinars, en 2017,«  a-t-il dit. Sur ce dernier point, note Béji Caïd Essebsi, les institutions internationales blâment la Tunisie non sur l’importance de la masse salariale, mais plutôt sur la faiblesse de la productivité.
Autres chiffres énumérés par le Chef de de l’Etat : le classement de la Tunisie par le Forum économique Mondial de Davos. En 2011, rappelle-t-il, nous étions 32ème, alors que 7 ans plus tard, la Tunisie s’est retrouvée 95ème. Le tourisme a, pour sa part, était impacté par les attentats terroristes, mais la reprise est là selon le Chef de l’Etat. « Pourquoi tout cela ? La Tunisie est un petit pays aux faibles ressources naturelles, mais nous avons néanmoins du gaz, du pétrole et des phosphates. On nous demande où est le pétrole (par allusion à la campagne « Winou el pétrole »), il est dans le sous-sol tunisien. Notre production annuelle de de phosphate durant les 7 années qui ont précédé 2011, était de 8,1 millions de tonnes. Après 2011, nous sommes passés à 3,1 millions de tonnes par an. La reprise de la production est en marche, mais la Tunisie ne supportera plus de blocages », a-t-il encore expliqué.

Pas de changement de régime ni d’amendement de la Constitution
Sur le volet politique, le président de la République est revenu sur les critiques qui lui ont été adressées sur sa présumée volonté de changer de régime. « Je ne présenterai aucune initiative pour changer la Constitution. J’ai le devoir de faire respecter cette Constitution, malgré ses lacunes », a-t-il assuré. Le Front Populaire, soulignons-le-, a critiqué dans un communiqué publié ce 20 mars la volonté du Chef de l’Etat de restaurer un régime présidentialiste. Or, ce point n’a même pas été mentionné une seule fois dans le discours de ce 20 mars 2018. Le Front s’est trouvé une nouvelle fois en position d’hors jeu. Dommage.
Revenant sur le régime actuel, Béj Caïd Essebsi a rappelé que c’est la souveraineté du peuple qui est en place. « Certaines sensibilités politiques pensent qu’elles n’ont pas eu leur chance dans la participation à la vie politique. D’où la mise en place du gouvernement d’union nationale et du Pacte de Carthage. Ceux qui se sont retirés du Document ont tort, car la Tunisie a besoin de tout le monde. Il faut savoir, dans ce même contexte, que sans l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), on ne peut élaborer de politiques réussies », a soutenu Béji Caïd Essebsi.
Tant qu’il est là, poursuit-il, il veillera à cette unité. D’ailleurs, avec une pointe d’humour, il a abordé la question de son âge. « Je ne suis pas un artiste pour cacher mon âge ! Qu’arrivera-t-il dans les 20 prochains mois ? Dieu seul le sait, mais tant que l’on a l’énergie pour servir son pays, il faut continuer », a-t-il dit.
Les échéances électorales, poursuit par ailleurs Béji Caïd Essebsi, doivent être respectées et que « le meilleur gagne ». « Il y a ceux qui ont affirmé que nous étions les chefs de la mafia. En somme, nos électeurs font partie de la mafia ? Je préfère prendre cela pour une « faute de frappe ». La situation est difficile, certes, et nous en sommes tous responsables », a-t-il dit, envoyant une pique aux députés Samia Abou et Ammar Amroussia qui ont plus d’une fois évoqué la mafia de la « famille présidentielle » sous la couple de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP).

La Cour Constitutionnelle doit être instaurée
Sur le plan institutionnel, Béji Caïd Essebsi a regretté le retard accusé dans l’institution de la Cour Constitutionnelle. « La Constitution n’est pas totalement respectée, puisque la Cour Constitutionnelle n’est pas encore finalisée. Certains affirment que le président craint cette Cour car elle serait capable de le destituer. Eh bien soit ! Qu’elle soit mise en place pour que l’on puisse enfin se reposer ! », a-t-il dit, non sans ironie, et exprimant son espoir de voir l’ARP trancher sur l’élection des membres de la Cour Constitutionnelle durant la plénière du mercredi 21 mars 2018.
Concernant le code électoral, le président de la République a affirmé que sa révision avant les prochaines échéances électorales est souhaitable. D’ailleurs, c’est un point, souligne-t-il, qui a été soulevée par les constitutionnalistes qu’il a rencontrés et qui ont affirmé qu’il s’agit, justement, de la priorité.
Vers la fin de son discours, le Chef de l’Etat a brièvement réagi aux derniers « rapports » publiés par l’Instance Vérité et Dignité (IVD), relatifs à l’exploitation des ressources naturelles de la Tunisie par la France, sans nommer l’Instance de Ben Sedrine. « Je ne réponds pas à cela. Les experts s’en chargeront. Et puis, en discutant avec eux, ils m’ont assuré que l’indépendance de la Tunisie est complète ! », a-t-il souligné, souhaitant, à la fin, que le moral des tunisiens sera en bien meilleur état prochainement.
A travers son discours, le président de la République semble avoir voulu sortir la carte de l’équilibriste et la politique de la main tendue à tout le monde, y compris à l’opposition : presse, partis politiques, organisations nationales, sociétés civiles, et, surtout au peuple tunisien.
Comment ce dernier a-t-il perçu le discours du Chef de l’Etat ? Béji Caïd Essebsi a, au début de son discours, évoquer le décalage entre une Tunisie vue de l’extérieure et une autre vue de l’intérieur, par son propre peuple. Cependant, cette problématique risque d’être difficile à résoudre, puisque comme le dit le vieux dicton tunisien : « seuls ceux qui se trouvent au-dessus du feu en ressentent la chaleur »

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