Je suis parfois gagné par la perplexité en écoutant des «intellectuels» m’expliquer que nous devons continuer de faire avec une mentalité qui n’a pas notablement évolué depuis des décennies ! En critiquant mon article de la semaine dernière : «Notre avenir sera culturel ou ne le sera pas» (Réalités numéro 2012, du 22 au 28 août 2024), ils m’accusent de tirer sur le collier pour que le fil casse et que nos «traditions culturelles», jusqu’ici impeccablement alignées, s’éparpillent et rebondissent dans toutes les directions. Ils n’ont simplement pas compris que notre combat doit avoir une autre dimension dans ce domaine. Ils vivent fenêtres closes dans la crainte des courants d’air. C’est faire preuve, me semble-t-il, d’inconséquence, étant donné le contexte mondial dans lequel on se situe, qui est celui d’une pression forte sur le principe même de l’État souverain. «Il ne suffit pas d’être inutile. Encore faut-il être odieux», disait le très populaire humoriste français Francis Blanche. Pourtant, je comprends que certaines de mes analyses à propos de la culture puissent susciter des réserves, voire une levée de boucliers, dans une scène en pleine crise de reconnaissance.
Par ces temps de radicalisation tous azimuts et d’instrumentalisation identitaire misérablement naïve qui fait feu de tout bois depuis des années, faire tranquillement triompher une voie réformiste en échappant aux brouillards de l’incertitude est un exploit en soi.
Il ne faut jamais cesser de répéter une vérité : faute d’intégration dans les changements qui se produisent perpétuellement dans le monde, on risque de faire tout simplement fausse route et de rester sur le bord du chemin. Ne pas réaliser une insertion harmonieuse dans la nouvelle hiérarchisation mondiale, c’est rester sur la touche. C’est un immense défi que chaque nation doit relever en y apportant son génie propre pour bâtir ensemble un monde plus juste et plus solidaire, seule voie de l’avenir même si un même niveau de développement pour tous reste une utopie. Mais comment y parvenir lorsqu’on sait aujourd’hui que la question de l’identité culturelle est toujours d’une actualité brûlante ? L’identité culturelle qui est une composante essentielle de la souveraineté nationale, a une dimension beaucoup plus importante que celle qui la confine dans les sentiers battus des traditions figées et des clichés paralysants qui ne mènent jamais loin la réflexion. Perpétuer son identité culturelle, c’est avoir foi en ses capacités créatrices. C’est être capable d’apporter quelque chose de neuf à la culture universelle. C’est tirer le meilleur parti de l’ensemble des acquisitions de notre pays, trois fois millénaire, carrefour de civilisations successives, de prouesses inscrites dans l’histoire de l’humanité, de divers mouvements réformistes, d’autant plus que la nouvelle hiérarchisation prend de plus en plus d’ampleur. Elle est semblable au temps qui avance inexorablement sans jamais revenir en arrière. Tel un rouleau compresseur, rien n’arrête son inflexible progression. Le protectionnisme et le repli sur soi n’y peuvent rien. Il nous faudrait donc une approche réaliste du phénomène qui, analysé de près, montre que cette vague est aussi porteuse de chances d’émancipation, des chances qu’il faut savoir saisir. C’est par une nouvelle approche culturelle qu’il faut procéder. L’originalité, c’est être différent, authentique et libre et en même temps ouvert sur le monde et non recroquevillé sur soi et aveuglément attaché à une vision étriquée et désespérément suspendue à un protectionnisme illusoire.
C’est à nous de tirer le meilleur parti de ces possibilités pour développer notre culture et pour ne pas rester à la périphérie des acquis civilisationnels, notamment les plus dynamiques et les plus fiables.