Le 11 mars, au souk El Attarine, Souad Chater acquiert une robe tricolore, et l’artisan-commerçant, en mal de clients, consent une sérieuse remise au point de brader l’habit à quasi moitié prix. Intrigué par l’excès de bienveillance en ces mauvais temps de marasme et de malchance et par malice provocatrice, je lui demande si les affaires prospèrent. Il répond, sans façons : «Les touristes restent chez eux et pour nous, les vendeurs issinnines tith7ak wil 9alb yibki ».
Relayée par la guerre ukrainienne, la pandémie prolonge l’agonie et conforte les ravages engendrés par la paralysie des voyages.
Pour la relance touristique, dans ces conditions drastiques, ni l’univers balnéaire, ni la rubrique archéologique, ni les gites ruraux ne sont de trop. A ce propos, le balayage des pratiques mises à l’œuvre par les accapareurs des nourritures terrestres aurait à inspirer le nettoyage des catégories de pensée. A Carthage, trois citoyens, penchés sur les thermes d’Antonin, lorgnent avec dédain ces vestiges romains : « mouch imta3na, koffars ».
Autrement dit, pourquoi prendre soin de ces machins ? Les ruines mal aimées clignent vers les maillots de bain jugés indécents, provocateurs et malsains. « La yajouz », décrétaient les barbus du FIS algérien, le cousin germain de notre œcuménique «Tendance islamique ». Pour la bande à Ghannouchi-Bhiri, les touristes aux seins nus, du côté d’Hammamet, et aux belles cuisses dénudées sur le souk El Attarine, si près de la mémorable mosquée, portent atteinte à la pudeur et l’identité.
Munies de leurs bâtons, les Ligues protectrices de la contre-révolution corrigèrent ces malfaçons. L’armée secrète n’est guère une élucubration de gauchistes impénitents à la recherche d’inventions dénuées de fondement. Aujourd’hui, dédouaner ces curés engage sur la route réservée à la mémoire courte. Et maintenant, les enturbannés, même congelés, perpétuent leur propagande nimbée de méfaits. Ils perçoivent le monde social à travers le prisme de leur superstition profonde, à l’instant même où ils exhibent leur soi-disant mutation. Désormais, nous sommes un parti comme les autres. Hélas, le Mouvement de la tendance islamique et son inspiration première, leur collent aux fesses machiavéliques. Par euphémisme, les âmes charitables proclament le fou « comme les autres » dits normaux et, par ce jeu de mots, mènent le monde en bateau.
Outre les comportements frauduleux appliqués aux denrées de première nécessité, l’esprit gagnerait lui aussi à encaisser un bon coup de balai. D’ici, j’entends Bourguiba distinguer le petit et le grand combat. Celui-ci, bien plus malaisé, a trait aux catégories de pensée. Comment dialoguer avec des curés ?
Affronter les dispositions subjectives inculquées par les « écoles coraniques » dès la prime enfance, définit « al jihad al akbar », enseignait à juste titre le grand timonier.
Sa vision éclaire l’actualité sans cesse renouvelée. Nos revanchards montrèrent de quel bois ils osaient réchauffer leur soif du pouvoir. Les assassinats politiques hantent la mémoire et cela explique pourquoi les autorités excellent dans l’art de tout barricader. A la Kasbah, jadis espace ouvert où les gavroches jouaient en toute liberté, les grillages, barrages et multiples fourgons policiers suggèrent l’état de guerre. La concentration des moyens sécuritaires dresse un bouclier contre la haine sectaire. Blottis dans l’ombre et incrustés dans les pores de la société, les nahdhaouis guettent le moment du grand chambardement.
Pour l’instant, le sabotage, les débrayages et les revendications auraient à laminer l’énergie de l’ennemi avec l’espoir du retour au Bardo, à la Kasbah et à Carthage.
Inconscients de l’enjeu principal, dirait Lénine, à la façon du grand combattant, deux économistes gauchistes crachent sur les négociations avec le FMI.
Pourtant, aucune société n’est réductible à la comptabilité, car « toutes les sociétés sont interdépendantes » et la guerre ukrainienne suffit à le montrer.
Aujourd’hui, Tabboune, ce fils de l’Algérie, prescrit une leçon tirée de la rengaine ukrainienne. Voltaire écrivait : « Cultivons notre jardin ! »
Le voisin de la Tunisie sèmera la mitidja et pour sabrer l’importation, fabriquera sa tabouna.