Les révolutions du printemps arabe ont offert au cours de la décennie passée une occasion historique afin de changer le régime politique hérité de la modernisation autoritaire post-coloniale. Si les expériences nationales ont réussi à moderniser les systèmes politiques arabes, et facilité la sortie des régimes patriarcaux, la construction d’institutions modernes basées sur la loi, la séparation des pouvoirs et la mise en place de contrats sociaux, elles ont rapidement reculé sur ces principes pour retomber dans l’autoritarisme et renouer avec le despotisme oriental.
La plupart des pays arabes ont vécu à partir des années 1970 sous des régimes politiques marqués par l’Etat fort et centralisateur avec une dérive autoritaire. Ainsi, on a connu un recul du pluralisme et des rêves de la modernité politique. Nos pays vont devenir le théâtre des procès politiques pour les opposants et un espace de domination des partis uniques et des leaders incontestés.
L’autoritarisme et le recul sur les libertés fondamentales vont s’accompagner d’une montée de la corruption et du népotisme liés aux grands lobbys financiers.
Cette trajectoire politique des pays arabes et cette forte connexion entre le despotisme et la corruption dans la fin de la légitimité de l’Etat national vont conduire à la montée des luttes de la société civile et des mouvements de l’opposition en faveur de la démocratisation des systèmes politiques. Ces oppositions vont regrouper des forces politiques de divers horizons idéologiques et politiques des forces centristes, aux partis de gauche et les mouvements de l’islam politique. Parallèlement à ces oppositions, les pays arabes vont également connaître des révoltes contre les programmes d’austérité mis en place par les différents gouvernements sous la houlette du FMI et des organisations financières internationales.
Ces oppositions et ces révoltes vont participer à l’essoufflement et à la crise des contrats sociaux autoritaires mis en place par les régimes politiques qui ont obligé les citoyens à céder leurs droits politiques et sociaux en contrepartie des bénéfices de l’Etat-providence.
Les révolutions des printemps arabes vont ouvrir à partir de 2011 une nouvelle page dans le système politique arabe qui rompt avec le despotisme et l’autoritarisme et entamer de grandes réformes politiques qui ont mis la région sur la voie des transitions démocratiques. Mais, moins d’une décennie plus tard, le projet de révolution politique contre l’ordre ancien a perdu de son attirance et de la confiance quant à sa capacité à ouvrir de nouvelles perspectives dans l’ordre politique arabe. Les guerres destructrices en Syrie, au Yémen et en Libye ont contribué à l’extinction de ce rêve et son recul.
La plupart des pays arabes connaissent le retour de l’autoritarisme et des régimes forts sous différentes formes. L’échec des expériences de transition démocratique et les tentatives de construction de régimes politiques ouverts ont contribué aux restaurations autoritaires en cours et à cette nostalgie des populations envers les Etats forts. Ces développements sont au cœur du désarroi au niveau politique et de cette forte hésitation entre le rêve démocratique et la recherche de l’ordre et de la stabilité.
L’économie rentière, la corruption et la crise de développement
Parallèlement au niveau politique, le monde arabe vit également sur le rythme de ces hésitations dans le domaine économique. Ainsi, on a assisté au recul des projets de diversification économique et à l’échec des tentatives de sortie du régime rentier à travers la construction de nouveaux modèles de développement portés par les industries, la modernisation du secteur agricole et les nouveaux services. Cet échec a contribué au recul de la compétitivité des économies arabes et à leur marginalisation dans l’économie et leur incapacité à devenir de nouvelles puissances économiques émergentes.
Le monde arabe connaît depuis quelques années une importante crise économique en dépit du maintien de certains pays d’un niveau de croissance élevé, particulièrement pour les pays exportateurs de pétrole.
Mais, cette croissance ne saurait cacher l’essoufflement et l’échec du projet de modernité économique arabe à travers la diversification des structures économiques héritées de la colonisation.
Les pays arabes indépendants ont hérité des régimes économiques fortement dépendants des métropoles coloniales et qui jouaient un double rôle : l’exportation des matières premières vers les entreprises du centre colonial et l’ouverture de leurs marchés aux exportations des pays coloniaux. Au moment des indépendances, ces pays ont cherché à rompre avec ces régimes économiques hérités de la période coloniale à travers une large modernisation de leurs structures économiques et leur diversification en accélérant l’industrialisation, la modernisation de l’agriculture et le développement des autres secteurs. Cette dynamique a permis à la plupart des pays arabes de connaître une grande dynamique de développement économique qui a contribué à la structuration du contrat social et au développement de l’Etat-providence.
Mais, ce projet va connaître d’importantes crises depuis le début des années 1980 avec la crise de la dette et va perdre au fil des années sa dynamique. Ces échecs seront à l’origine du retour des régimes rentiers et de leur renforcement dans la plupart des pays arabes, particulièrement l’extraction des matières premières et leur transfert ou le faible coût de la main-d’œuvre locale. Avec l’accroissement des difficultés économiques et l’essoufflement du projet de modernisation économique, on va assister au développement de la corruption et du népotisme qui vont remettre en cause la légitimité des régimes arabes.
La pandémie de la Covid-19 va renforcer les difficultés des économies qui vont connaître les plus grandes récessions de leurs histoires économiques modernes en 2020. Mais, les pays arabes ne vont pas connaître le rebond de croissance que la plupart des pays ont connu au cours des deux dernières années. Si la moyenne de la croissance des pays de la région ne dépassera pas 3,7%, plusieurs pays seront nettement en dessous.
En dépit de ces défis et de ces crises, les pays arabes n’ont pas été en mesure de définir de nouvelles visions et de nouveaux projets économiques capables de mettre la région sur la voie des réformes, et de la sortie de l’économie de rente et de la construction d’une dynamique de développement durable et inclusif.