Dotée d'un Code de statut personnel exceptionnel, dans l'aire arabo-musulmane, bénéficiant d'une politique de promotion par le leader Habib Bourguiba, la Tunisie constitue une exception. Suite à l'exigence de la société civile et à l'opposition démocrate, l'assemblée Constituante a dû abandonner la formulation ségrégationniste de "la femme complément de l'homme" et occulter les demandes de ceux qui veulent instituer la charia. Grâce à cette lever de bouclier et au consensus imposé par la feuille de route, initié par le quartet, la Tunisie a été dotée d'une constitution libérale, confirmant les acquis de l'ère bourguibienne. Les prochaines élections vont-elles traduire, dans les faits cette situation privilégiée et consacrer cette égalité de genre ?
Une inégalité subtile. L'égalité électorale est en principe instituée par la loi de parité. Mais les possibilités de réussite dépendent, dans une large mesure, de la position au sein des listes électorales, qui offre bien plus de chances aux têtes de listes, les leaders effectifs. De ce point de vue, l'inégalité est évidente : 11% seulement de femmes sont têtes de listes.
% des têtes de listes par genres, selon les circonscriptions
Circonscriptions | Total | Hommes | Femmes | % |
Tunis 1 | 46 | 37 | 9 | 19 |
Tunis 2 | 50 | 38 | 12 | 24 |
Sfax 1 | 42 | 38 | 4 | 9 |
Beja | 44 | 39 | 5 | 11 |
Sidi Bouzid | 64 | 60 | 4 | 6 |
Kairouan | 60 | 59 | 1 | 1 |
Tozeur | 42 | 41 | 2 | 2 |
Total général de toutes les circonscriptions |
1319 |
1171 |
148 |
11 |
Source : Chawki Gaddas, 12 septembre 2014
Remarquons cependant que la géographie ne suffit pas à expliquer la répartition différentielle entre les genres. Le Sahel enregistre une participation plus grande des femmes têtes de listes (14 % à Sousse, 13 % à Mahdia et 11 % à Monastir). Il est dépassé par le Cap Bon (28% à Nabeul 1 et 15 % à Nabeul 2). Les régions du Sud et du Centre ont volontiers moins de têtes de listes (% à Tataouine, 5 % à Gafsa, 6 % à Sidi Bouzid). Mais ce pourcentage monte à 9 à Mednine et à 11 à Kebili et Gabes. Ce qui montre l'existence des engagements volontaires, qui transgressent la donne territoriale.
Est-ce que les spécificités des partis et leurs positions à l'égard des femmes peuvent déterminer la répartition des têtes de listes par genres.
Répartition des têtes de listes par partis
Partis | Total | Hommes | Femmes |
Union Pour la Tunisie |
27 |
17 |
10 |
CPR | 33 | 27 | 6 |
Afak Tounis | 30 | 25 | 5 |
Al-joumhouri | 33 | 28 | 5 |
Front Populaire | 33 | 28 | 5 |
Attakattoul | 33 | 28 | 5 |
Al-Moubadara | 31 | 27 | 4 |
Nida Tounis | 33 | 30 | 3 |
En-Nahdha | 33 | 30 | 3 |
Alliance démocratique |
28 |
25 |
3 |
Mouvement destourien |
28 |
26 |
2 |
Source : Analyse personnelle d'après les listes présentées, 30 août 2014.
Nous nous rendons compte que les listes des différents partis, aussi bien celles des partis, en principe, favorables à l'émancipation des femmes que celles des partis plutôt partisans d'une limitation de champs de leurs libertés, réservent une place symbolique aux femmes, comme têtes de listes. Ce qui traduit la participation limitée des femmes à la direction des partis, malgré leurs engagements dans la lutte au sein de la société civile (deux partis sur plus de 190 sont dirigés par des femmes). Rappelons que la participation massive des femmes, le 13 août 2013, a été certainement déterminante pour la démission du deuxième gouvernement de la troïka et l'adoption d'une constitution égalitaire.
En ce qui concerne les élections présidentielles, il y eut seulement cinq candidates sur 70 : la présidente du parti du mouvement démocrate pour la réforme et la construction et une ancienne présidente de l'Association des magistrats tunisiens (AMT). En ce qui les parrainages, qui révèlent bien entendu, les prédispositions des électeurs tunisiens, elles ont recueilli chacune près de 15 mille parrainages. Fait important, le droit des femmes à l'élection présidentielle est confirmé dans la pratique. Des surprises peuvent-elles assurer l'élection de l'une ou l'autre des candidates, en dépit de leurs faibles assises populaires. Mais la mobilisation en leurs faveurs de militants, peut conforter la promotion féminine, en Tunisie et transgresser la pesanteur sociale.
Bien entendu, il est exclu de voter par genre. Citoyenne à part entière, la femme tunisienne est appelée à déterminer son choix, selon les programmes, les visions et les projets de société. Mais la faible participation de la femme, sinon à la vie politique mais à la direction des partis, montre qu'elle doit réviser ses comportements politiques et se faire valoir comme acteur, sur la scène nationale. Ce qui conforte son statut, contribue à la révision de ses conditions sociales et ratifie les luttes qu'elle a engagées, pour corriger le "printemps tunisien", mettre fin à la dérive ségrégationniste et promouvoir les acquis du régime bourguibien.
Souad Chater