Irriguer avec l’eau usée non traitée sacrifie la santé publique sur l’autel du profit machiavélique. Ainsi progresse, en toute impunité, le côté non-dit et caché de la « Société nationale de cellulose et de papier alfa ». A sa face arrière, l’usine déverse dans l’oued un volume énorme et continu d’eau chargée de substances cancérigènes. Un militant local, d’une association protectrice de l’environnement, mène campagne contre l’aberration. De part et d’autre de l’oued, les agriculteurs irriguent des légumes expédiés au marché. Le vaillant militant adresse des critiques aux monstrueux contrevenants. A sa troisième apparition, l’un des irrigants le menace avec son fusil de chasse et lui dit : « La prochaine fois, gare à toi ».
Avec l’équipe multidisciplinaire du bureau d’études SERAH, j’ai participé à l’enquête où furent collectées ces informations circonstanciées. Ces indications sont transmises au CRDA, autrement dit au ministère de l’Agriculture. Cependant, rien n’a changé jusqu’à présent.
Pour l’argent, maints garnements tuent impunément et cette observation figure au cœur d’une plus ample interrogation. Comment procéder à la production et à la circulation sans diffuser la pollution ? Les voitures électriques répliquent à une part de la question. Mais bien d’autres malappris répandent, partout, leur sinistre muflerie. Le 2 février, j’occupe la place du mort et Nabil Daboussi conduit.
Il m’indique un camion branlant et sans plaque d’immatriculation : « Regarde, il va déposer son chargement de gravats au même endroit. Je l’ai surpris plus d’une fois ». Nabil ralentit pour suivre l’indélicat et celui-ci vide les déchets à l’endroit prohibé. Nabil poursuit : « Nous, gens du Sud, nous accordons autant d’importance au pays qu’à nos familles. Ici, les gens ne respectent rien et ne croient plus en Dieu ». Ce propos, entaché de religiosité mais subtil, cligne vers la critique adressée par la campagne à la ville. A ce sujet, nous parlons de « progrès de façon parfois imbécile. Car cette notion, léguée par la philosophie de l’histoire, perpétue la vision controversée d’Auguste Comte. Sa « Loi des trois états » pervertit le débat.
Il sous-titre son ouvrage « Ordre et Progrès ». Sa théorie évolutionniste implique une dynamique orientée vers un but défini à l’avance et valorisé. L’erreur introduit les jugements de valeur. Quel progrès ?
De nos jours, la compétition pour la puissance mène l’univers aux abords de la Grande Guerre.
Occident et « Sud global » exhibent les armes de la destruction massive et les pays peu outillés, semblables à la Tunisie, arborent l’air de spectateurs partagés entre l’indifférence, la peur et l’impuissance. Pour cette raison, les uns portent l’accent sur l’impératif de recourir à l’étranger pour obtenir les prêts à l’instant même où d’autres en appellent à l’exigence de privilégier la « souveraineté ».
D’où proviendrait l’ambiguïté ?
Jean Pierre Faye verse au dossier une idée : « Devant la situation d’aujourd’hui, qui frappe d’exclusion d’importantes masses urbaines et rurales au Maghreb, en Afrique, en France, dans toute l’Europe et dans tous les continents, il est possible de méditer sur une longue solidarité de pensée qui a été fondatrice de civilisation pour toute l’aire de la Méditerranée occidentale : Maghreb et Europe réunis par la médiation andalouse. C’est dans cette fondation commune, cette source d’une féconde bifurcation que peut se découvrir et se renouer l’alliance initiale, à partir de laquelle les perspectives de l’à venir seront à repenser et se feront pensables. Là est le point d’appui pour un nouveau prospect que nous définirons, avec les grands peintres de l’âge classique, par « la distance entre l’œil et l’objet ». Le passé peut inspirer le futur par l’entremise de l’actualité. Pour l’instant, deux larrons, l’Angleterre et les États-Unis actualisent le passé colonial pour massacrer les Palestiniens bombardés par les crétins. Dans ces conditions, la férocité occupe les territoires évacués par la solidarité rêvée par Jean Pierre Faye. Celui-ci réplique ainsi : Ce n’est donc pas une rétrospective, mais un prospect rétrospectif où peut et doit se ressourcer une observation du présent, singulièrement dans ces espaces urbains qui se trouvent, au moins en apparence, comme dévastés ou menacés par le futur. Cette mesure d’une distance —entre notre œil prospectif et ses objets sociaux— est aussi une mesure de la survie. Pour les deux bords de la Méditerranée. Fleuve qui recèle les victimes de la lutte initiale et initiatrice entre Carthage et Rome, celles aussi des « croisades » diverses et du « djihad », non sans se rappeler que la première unité du monde a été effectuée et pensée précisément par l’effet de cette lutte géante entre Hannibal et Rome, sans laquelle il n’y a pas d’interaction gréco-romaine au futur. C’est beau. Mais quel futur, inspiré par le présent, pourrait suggérer le génocide israélien poursuivi en dépit de la CPI ?
Une même horreur unit les massacreurs extérieurs aux empoisonneurs intérieurs. Sur les deux fronts, le combat ne cessera qu’avec la disparition des colons et la mise au pas des vendeurs sans foi ni loi.
Bourguiba lutta contre les colonisateurs et les renégats de l’intérieur. Cela exigea une volonté de fer déployée sans répit ni peur. Le passé peut inspirer le présent pour sauvegarder le futur espéré. Ainsi parlait Jean Pierre Faye.
Les pensées approfondies outrepassent le temps et l’espace. Pour l’instant, les agressions américaines de l’Irak et de la Syrie, à l’heure où ces deux pays exigent, depuis longtemps, le départ des occupants, confortent la résistance palestinienne, yéménite, libanaise, irakienne, syrienne et iranienne. Les attachés à une libre disposition des peuples par eux-mêmes, suivent la piste orientée vers la juste haine de l’oppression impérialiste. Chine, Corée du Nord et Russie dérangent, elles aussi, l’hégémonie des Etats-Unis, solidaires des génocidaires.