Après trois semaines d’une campagne électorale monotone, qui n’a retenu l’attention du public, ni par son aspect festif ni par le débat qu’elle a suscité, les Tunisiens se sont dirigés le 6 mai aux urnes peu enthousiastes et indécis pour élire leurs premiers conseils municipaux post-révolution. Manifestement, un tel constat était attendu et la réaction timide des électeurs, les jeunes parmi eux notamment, n’a pas surpris outre mesure. Malgré les efforts déployés par l’ISIE et ses appels continus à l’importance de la participation, la timidité du taux de participation était prévisible, voire même attendue. Déçus et désenchantés, les électeurs ont cherché, à travers le choix qu’ils ont pris et l’attitude qu’ils ont choisie, à adresser un message fort à une classe politique qui n’a jamais su être au rendez-vous. Une classe politique qui n’a pas pu se défaire de ses égoïsmes, de sa quête du pouvoir à n’importe quel prix, marquer une rupture avec le passé et se présenter comme une alternative démocratique crédible.
Un sentiment de dépit qui traduit en fait un manque de maturité politique chez les Tunisiens et ne concourt en aucune façon au renforcement de l’édifice démocratique et de l’esprit citoyen. L’absentéisme ne sert en fait qu’à faire perdurer le statu quo. Il n’est pas une punition, parce qu’il est contre-productif dans un pays qui a besoin d’ancrer la pratique démocratique et la participation effective des citoyens à la chose publique. Pour conduire le changement et donner une chance à une nouvelle classe politique d’émerger et de prendre le relais à un jeu partisan en désuétude, en déphasage avec les ambitions d’une population dans l’expectative, il n’existe pas d’autre alternative à la participation.
A l’évidence, ce sentiment d’inachevé et de désappointement ressenti qui habite de nombreux Tunisiens, est imputable en partie à l’amateurisme de l’organisme en charge des élections, l’ISIE et la HAICA ( Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle) qui, en croyant bien faire, n’ont pas hésité à mettre partout des verrous asphyxiant, sans le vouloir, tout débat public de qualité et condamnant la plupart des médias à accorder à ce rendez-vous historique un traitement de seconde zone. En se cachant derrière sa recherche de l’équité entre toutes les listes en lice, la HAICA, la seule à être ébahie par le professionnalisme des journalistes, a frustré les médias et aussi l’opinion publique d’une information mieux traitée, plus complète et mieux ciblée.
Il faut avouer également que ces élections ne sont pas venues au bon moment, nonobstant leur report répété. Elles surviennent à un moment où le pays est secoué par une grave crise politique, économique et sociale qui a polarisé l’attention de l’opinion publique par ses rebondissements inattendus, sa complexité et surtout la guerre ouverte déclenchée par l’UGTT contre le gouvernement d’union nationale dont elle était l’un des forts appuis. Quelle mobilisation peut-on espérer, quand tous les projecteurs ont été constamment braqués sur la chute annoncée à tous les meetings de la centrale ouvrière du gouvernement, sur l’éventualité d’une année blanche dans le secteur de l’enseignement ou sur les difficultés éprouvées pour servir les pensions des retraités ?
Le plus important réside dans le fait que cette échéance, que certaines parties ont tout fait pour saboter et dont elles ont indéfiniment repoussé l’organisation, a eu lieu et qu’elle marquera malgré tout un tournant dans le processus de mise en place des pouvoirs locaux et de la consécration de la décentralisation dans notre pays.
Des élections libres qui se sont déroulées sans grands accrocs, dans la transparence et un climat démocratique. Malgré toutes les imperfections qu’on a tendance parfois à surestimer, c’est la périodicité et la régularité de ces consultations populaires et les messages qu’elles véhiculent qui participent le plus et le mieux au renforcement de l’expérience démocratique tunisienne. Une expérience certes fragile, mais inédite, qui se nourrit de la conscience des Tunisiens, de leur courage et de leur aptitude à participer, à choisir et à faire bouger les choses dans notre pays tout en transcendant leurs déceptions et leurs colères.