Par Hatem bourial
La commémoration du 78e anniversaire de l’Union générale tunisienne du travail a été pour son Secrétaire général, Noureddine Taboubi, une occasion de réitérer que la Centrale syndicale demeurait une force de proposition et aussi de médiation.
Les syndicalistes de la place M’hamed Ali faisaient-ils profil bas dans la crainte de subir les foudres des autorités ? Avaient-ils opté pour une solution de repli devant la tournure prise par la vie politique ? S’étaient-ils décidés à se consacrer exclusivement aux dossiers les plus importants en matière de négociations syndicales ?
Quid du projet de dialogue national rebaptisé «La Tunisie de l’avenir» ?
Ces trois questions sont souvent revenues dans les analyses des observateurs de la scène nationale, unanimes à considérer que la Centrale syndicale avait adopté une posture attentiste, évitant de prendre parti sur de nombreux dossiers politiques et économiques. Certains observateurs avancent même que l’UGTT entendait mettre en sourdine certaines revendications tout en gardant une position de soutien critique à l’égard du processus du 25 juillet.
Toutes ces interrogations ont été bousculées par le discours prononcé par Noureddine Taboubi, samedi 20 janvier, lors de la commémoration du 78e anniversaire de la Centrale syndicale qui, soit dit en passant, reste la plus ancienne organisation militante en Tunisie.
Ce discours de Taboubi et l’interview accordée dans la foulée à Radio Mosaïque sont-ils une simple rhétorique rendue nécessaire par la solennité de la commémoration ? En d’autres termes, les syndicalistes vont-ils revenir à leurs moutons ou bien comptent-ils s’impliquer et peser davantage sur la vie publique ?
L’UGTT pour une justice indépendante et équitable
Il est difficile de répondre à cette question, même si les prochains jours pourraient apporter de nouveaux éclairages. Dans cette optique, la proximité d’une autre commémoration, celle du Jeudi noir du 26 janvier 1978, devrait suggérer la posture à venir de la Centrale syndicale. Pour mémoire, cette date rappelle la répression subie par l’UGTT après une grève générale émaillée d’un bilan sanglant. Les prises de parole des membres du Bureau exécutif seront scrutées à cette occasion et pourraient indiquer si les positions de la Centrale syndicale par rapport au pouvoir exécutif vont évoluer vers une attitude différente. Car pour le moment, alors que l’opinion publique attend de l’UGTT une fonction de contrepoids, rien n’indique que les syndicalistes acceptent d’endosser ce rôle de manière frontale.
Ce fait a d’ailleurs pu être constaté à diverses reprises. D’abord, lorsque l’UGTT a emboîté le pas à la sphère exécutive en adoptant le même discours en termes de souveraineté économique, de soutien aux classes sociales les plus fragiles et de lutte contre la corruption. Ensuite, en rebond par rapport aux questions des entreprises publiques ou de la compensation des produits de base, deux dossiers dans lesquels la ligne Saïed est similaire à celle des syndicats.
Enfin, lorsque récemment, après un appel des prisonniers dans l’affaire dite du complot contre la sûreté de l’État, l’UGTT avait donné une réponse de Gascon, affirmant qu’elle veillait sur l’état des libertés tout en s’interdisant de s’ingérer dans les affaires de la Justice, ajoutant que cette justice se devait d’être indépendante et équitable.
Repli tactique et stratégie de l’expectative
Dans cet esprit, un autre fait remarquable a été enregistré la semaine dernière lorsque le Secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), a considéré Abir Moussi comme une prisonnière politique, selon ses déclarations sur les ondes de Mosaïque FM. Ces propos du patron de la Centrale syndicale sont intervenus quelques heures après que l’UGTT eut décidé de retirer sa plainte déposée contre la présidente du Parti destourien libre. Cette plainte, qui date du mois de mai 2023, accusait Abir Moussi d’avoir tenu un rassemblement avec un groupe de ses partisans devant le siège de l’UGTT et d’avoir envahi sa cour et perturbé l’avancement des travaux. Est-ce à dire qu’un rapprochement pourrait voir le jour entre destouriens et syndicalistes à l’horizon de l’élection présidentielle prévue à l’automne prochain ?
Hormis quelques grèves dont la plus récente a eu lieu le 18 janvier à Mdhilla, dans le bassin minier, les bases syndicales ont été plutôt discrètes, alors que le discours ambiant était à l’apaisement et surtout à la consolidation de l’indépendance syndicale. Malgré les turbulences de la rentrée scolaire et souvent, la résolution du ministère des Affaires sociales à faire front face aux revendications syndicales, le ton n’est jamais monté de manière conséquente. Cette accalmie a d’ailleurs été l’une des principales données politiques des derniers mois. Car si certains observateurs s’attendaient à une radicalisation syndicale, il n’en a rien été puisque la pondération et le repli tactique étaient clairement à l’ordre du jour.
Une plateforme de convergence au seuil d’une année électorale ?
Depuis ce discours du 20 janvier, la situation a-t-elle changé ? Pas vraiment, sommes-nous tentés de répondre car il était clair que l’UGTT avait adopté la stratégie de l’expectative, jugeant qu’il n’y avait rien à gagner pour personne en optant pour un esprit de confrontation. Malgré la polémique sur les détachements de fonctionnaires pour des missions syndicales ou les sous-entendus sur l’éventualité pour les pouvoirs publics de peser sur les cotisations des fonctionnaires, la Centrale syndicale n’a presque pas bronché, laissant passer les orages tout en restant ferme sur les grands dossiers.
C’est d’ailleurs cette ligne que Noureddine Taboubi a martelée une nouvelle fois. En étant explicite sur les refus de l’UGTT, en appelant au dialogue social et en se posant en défenseur des libertés publiques, Taboubi a réitéré la vocation de la place M’hamed Ali à être aussi bien un pôle syndical qu’une force de proposition et un médiateur respecté.
Est-ce à dire que la Centrale syndicale s’apprêterait à remettre sur la table, sa proposition de Dialogue national inclusif ? Cette initiative qui a été rebaptisée «La Tunisie de l’avenir» n’a en fait jamais été abandonnée même si son volet politique divise profondément et met en contradiction les syndicalistes et le pouvoir exécutif. De plus, aux yeux de certains opposants, elle pourrait même constituer les soubassements d’une plateforme de convergence au seuil d’une année dominée par le scrutin présidentiel.
Les prochaines semaines devraient indiquer les évolutions potentielles de la position de l’UGTT qui reste en négociation avec le gouvernement sur les promesses à tenir et les ajustements à venir. En tout état de cause, le discours de Noureddine Taboubi, samedi dernier, est certainement annonciateur de manœuvres politiques plus vastes et de postures en mouvement dans les partis politiques agissants qui ont enregistré avec satisfaction, l’analyse du patron de la Centrale syndicale.