Si vous consultez les pages de certains journaux tunisiens en langue arabe, ou si vous zappez sur quelques chaines TV, vous tomberez sur une catégorie de petites annonces qui vous promettent la chance, la guérison, un mariage heureux, des pratiques magiques pour éloigner le mauvais œil et autres balivernes qui vont jusqu’à soigner le cancer ou bien faire marcher les paralysés. Et si ces charlatans existent, c’est qu’il y a une clientèle potentielle qui croit en leurs pouvoirs.
Plongée dans un monde étrange, celui des superstitions, de la magie noire et du mauvais œil, avec des histoires incroyables, des témoignages surprenants, mais aussi des arnaques bien ficelées…
Ce que l’on constate d’emblée en consultant ces annonces dans les journaux ou les spots TV, c’est que le métier de charlatan est pratiqué aussi bien par les hommes que par les femmes. Et c’est avec l’une d’elles, Hajja C., que nous avons entamé notre enquête. Elle se confie à nous à cœur ouvert, à condition de rester anonyme. « Il y a une dizaine d’années, j’étais secrétaire dans une administration, avec un salaire très modeste. Et puis un jour, j’ai fais la connaissance d’une femme marocaine et j’ai eu comme une révélation… »
Les ficelles du métier
Hajja C. va accompagner cette dame au Maroc, où elle va apprendre les ficelles du métier et les mots qui permettent de gagner la confiance des hommes et des femmes qui se laissent embarquer dans le bateau ivre des superstitions. « Il y a des ingrédients essentiels : beaucoup d’encens, une lumière assez faible, un fond de Coran psalmodié et un tête à tête, un huis-clos, pour faciliter les aveux, les confessions. Et puis il y a ce chapelet de phrases qui riment et que j’ai apprises par cœur, et que j’adapte à chaque client ou cliente… »
Aujourd’hui Hajja C. gagne bien sa vie, car ses visiteurs se comptent par dizaines chaque jour. Elle refusera de nous donner des chiffres, mais vu les nombreux bijoux dont elle se pare, elle doit gagner des centaines de dinars par mois… Selon certaines clientes, les dépenses varient de cinquante à quatre cents dinars, selon le type de consultation et la voracité de ces charlatans…
Melle S. habite dans un petit village du sahel où les croyances en des forces occultes sont très présentes. Elle n’avait que 18 ans quand une amie à elle l’a entrainée dans le « cabinet » d’un « ârraf », sorte de mage qui devait l’aider à trouver un mari. Fascinée par la lumière tamisée des bougies et par l’odeur de l’encens, elle va revenir seule visiter ce charlatan. Elle raconte : « prétextant m’enlever de la magie, il m’a enlevé mes vêtements et m’a violée me faisant perdre ma virginité. Au lieu de m’aider à trouver un mari, il m’a condamnée, car dans notre village, une fille doit se marier vierge pour ne pas provoquer de scandale familial. J’avais trop honte pour pouvoir porter plainte et ce traumatisme m’a plongée dans une profonde dépression. »
Il faut savoir qu’à l’instar de cette jeune fille, on nous inculque nombre de superstitions dès l’enfance, surtout dans les milieux populaires et qui souvent défient toute logique. Cela a commencé dès son enfance avec la superstition des chaussures retournées, signe d’un départ imminent vers un lieu lointain ou même vers l’autre monde. Il y avait aussi le fait de jeter du sel dans le canoun pour éloigner le mauvais œil ou encore l’obligation de ne pas balayer la nuit ce qui risque de faire partir la baraka de la maison.
Mais il y avait aussi des superstitions porte bonheur, comme lorsque le café turc déborde, lorsqu’un papillon de nuit entre dans la maison, signifiant qu’un visiteur ami allait venir à l’improviste. La tortue est également considérée comme un porte-bonheur car elle protège du mauvais œil. Sans oublier l’eau que l’on verse derrière le parent qui part pour une destination lointaine, afin qu’il revienne sain et sauf !
Sinouj et main de Fatma
Plusieurs techniques se sont donc développées au fil des siècles afin de contrer les méfaits de la magie et du mauvais œil. Il y a le Herz, sorte d’amulette avec un petit papier plié sur lequel sont tracées des extraits du Coran ou encore des graines porte bonheur comme le sinouj. Ce Herz est porté à l’intérieur des vêtements avec une épingle à nourrice. La main de fatma est un moyen très usité par nos ancêtres pour éloigner le mauvais œil et on la retrouve souvent dans les articles de l’artisanat, sur les portes des maisons des anciennes médinas, sous forme de bijoux…
Ce qui a changé aujourd’hui, c’est que ces « Ârrafa » ont pignon sur rue et utilisent les techniques de communication modernes pour attirer des personnes crédules dans leurs filets pernicieux. Certains, comme ce Cheikh M., Om I. ou Haj A. prétendent soigner toutes les maladies avec le Coran. Ils assurent en vrac qu’ils peuvent éloigner les djinns, faire revenir une femme divorcée dans son foyer, faire disparaître l’obésité, éliminer les rhumatismes ou la calvitie…
Leurs photos ont été spécialement conçues pour créer la confusion entre la religion et la médecine, puisqu’ils se présentent souvent avec un livre de Coran entre les mains, avec une mosquée en fond ou carrément dans les Lieux Saints, notamment la Mecque. Certains prétendent avoir fait des études en Allemagne, les femmes annoncent une formation au Maroc, mais la palme d’or revient à cet énergumène qui prétend être docteur en astrologie, comme si c’était une science !
On se demande d’ailleurs comment l’ordre des médecins et des pharmaciens permet ce laisser-aller et ne cherche pas à condamner ces médecins charlatans qui promettent parfois des guérisons miraculeuses. Ils assurent pouvoir guérir l’épilepsie, annuler la ménopause et l’impuissance, résoudre les problèmes de la stérilité ou encore des règles douloureuses. Ils prétendent aussi aider les élèves à réussir brillamment leurs études et les hommes d’affaires à s’enrichir encore plus et à créer de nouveaux projets.
Et à propos d’hommes d’affaires, Nous avons été étonnés par le nombre de superstitions qu’ils accumulent et auxquelles ils croient dur comme fer. Hamadi est vendeur de chaussures et il nous confie des tics assez déroutants : « tous les matins, je lis quelques verset du Coran avant d’ouvrir la porte de mon magasin. Puis j’entre dans ma boutique le pied droit devant, car le pied gauche porte malheur. Là, je mets un CD de psalmodies du Coran pendant un quart d’heure, puis je prends mon café et je commence à travailler. Et Hamdoullah, grâce à ce rituel, ça marche bien depuis des années… »
Plus étonnant encore : l’histoire d’un PDG d’une grande société qui bat tous les records de superstitions. C’est son ex-épouse qui l’a « dénoncé », nous assurant qu’il « se promène avec plusieurs Herz dissimulées dans ses vêtements, de l’encens et de l’eau de Zemzem rapportés des Lieux Saints, des amulettes africaines cachées dans les tiroirs de son bureau,… Une panoplie d’objets censés repousser les esprits malfaisants et le maintenir à son poste obtenu grâce à des moyens plus ou moins honnêtes. Mais la Révolution est passée par là et ses gris-gris ne lui ont servi à rien, puisqu’il a été viré de son poste. »
Yasser Maârouf