Dans son livre « Petit manuel de survie démocratique », Alain Chouraqui avertissait : «Lorsque le populisme agissant accède au pouvoir… il s’appuie sur la perte généralisée des repères pour attaquer et ébranler les institutions «. Ce petit paragraphe semble avoir été écrit à partir de l’exemple tunisien tant il décrit parfaitement ce que nous vivons après la diffusion de la fameuse vidéo de la dernière rencontre entre le président de la République Kaïs Saïed et le Chef du gouvernement Hichem Mechichi. Quand on ouvre trop vite la boîte de Pandore, il arrive qu’elle vous explose à la figure! Les dents du populisme sont en train de repousser pendant que la jeune et vulnérable démocratie perd ses attraits et ce ne sont pas quelques discours si bien prononcés en arabe classique soient-ils, qui retourneront le vent de l’histoire. À l’heure où notre pays, auto-immolé sur l’autel de la décadence totale, retrouve les plaisirs sombres de l’autoflagellation et se délite rapidement, sa classe politique tombe dans les abysses des fantasmes populistes. C’est une recette pour une politique instable et versatile, sujette aux caprices des foules, dans laquelle lobbyistes et agents d’influence règnent en maîtres. Cette politique entre dans le cadre d’une tendance croissante de notre Président, qui offre désormais aux émotions une place de choix dans la vie publique. L’usage du registre émotionnel comme cause ou effet politique n’est certes pas chose nouvelle. Kaïs Saïed sait très bien que le totalitarisme n’aurait pu naître et se maintenir sans l’instrumentalisation de puissantes pulsions. C’est sa politique depuis son arrivée au pouvoir mais «le grand art, c’est de changer pendant la bataille. Malheur au Général qui arrive au combat avec un système», a dit Napoléon Bonaparte. Que le Président sache que la politique est affaire de mouvement. Le fond de l’air est devenu très lourd, comme avant les grandes catastrophes ! C’est «l’anarchie spontanée «, écrivait l’historien Ibn Abi Dhief, une formule reprise par le philosophe et l’historien français Hippolyte Taine. Ayant raté sa pédagogie, en balançant de petites phrases blessantes, le Président a perdu la bataille de la communication. Se croyant encore dans l’ère du temps «révolutionnaire» , il a mis le feu aux moissons. Son comportement a quelque chose de suicidaire : aux yeux de l’opinion publique, il apparaît désormais, à tort ou à raison, comme une petite frappe du cynisme. Il ne fait plus de doute qu’il existe un lien entre le populisme et l’endossement de la théorie du complot, élément clé dans les discours et les déclarations du Président ; ils paraissent constituer le catalyseur idéal du passage à l’affrontement politique, car ils offrent un récit qui permet à la fois de justifier cet affrontement par l’indignation et de suggérer qu’il n’y a pas d’autres moyens, étant donné la puissance «des forces du mal «, que de recourir à des discours musclés ! Nous voici désormais comme «ces vers de la farine qui s’empoisonnent à distance dans le sac qui les enferme bien avant que la nourriture ne commence à leur manquer». Le populisme, c’est comme la dictature, il ressemble au supplice du pal : il commence bien et finit très mal. Ses adeptes ont un système global d’interprétation du monde et sont persuadés de détenir les clés de la marche de l’Histoire. Ils ne cessent d’en appeler à un «changement radical». Certains sont fascinés par des spiritualités diffuses qui ramènent chaque citoyen à un «pouvoir en soi»! Et voilà que l’État est marginalisé, ridiculisé. Le constat dans nos contrées n’est pas nouveau ; il est plus vrai chaque jour depuis presque dix ans et les Tunisiens ont souvent fini par s’habituer au pire. Mais les plus à plaindre, dans cette situation, sont les lanceurs d’alerte, qui ont été systématiquement bâillonnés, ostracisés, calomniés. Reste que l’antidote à ce dysfonctionnement se trouve dans le travail patient et obstiné pour adapter notre nation, en fonction de son histoire, de ses moyens matériels et humains et de sa culture, aux grandes transformations dans le monde.