Les fleurs américaines, exposition conçue par Élodie Royer et Yoann Gourmel au Fonds régional d’Art contemporain, pose bien des questions.
Subdivisée en trois parties, elle propose de revenir sur l’histoire de l’art moderne, de ses origines au début du 20e siècle jusqu’à sa reconnaissance dans les années 1950, comme sur un récit d’invention.
Aucune des œuvres exposées n’est un original. Il y a bien des toiles aux airs de Malévitch ou de Mondrian… Il n’est pas besoin de s’approcher pour s’assurer que ce sont des copies aux couleurs approximatives, réalisées sans soin et sans considération du format original. Les cartels annoncent des dates improbables.
En début de parcours, une citation informe aimablement le visiteur «Les artefacts présentés dans cette exposition ne sont pas des œuvres d’art. Ce sont plutôt des souvenirs, des échantillons prélevés de notre mémoire collective.»
Elle est signée Walter Benjamin, auteur de l’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique et mort en 1940.
D’emblée, l’exposition annonce une intention, sonder les fondements de l’art moderne en jouant du faux manifeste et en court-circuitant les critères d’originalité et d’authenticité.
Première section, autobiographie d’Alice B. Toklas
En 1903, Léo Stein et sa sœur Gertrude aménagent au 27 rue de Fleurus à Paris et constituent une collection d’art moderne où se mêlent postimpressionnistes, fauves et cubistes. L’adresse devient le lieu de rencontre des artistes d’avant-garde et des jeunes écrivains. Dans la tradition des salons du grand siècle, ils les reçoivent tous les samedis à 21 heures.
On vient y voir les œuvres de Matisse et Picasso, Cézanne, Renoir ou Gauguin et on y croise Braque, Apollinaire, Picabia, Duchamp, Man Ray, Gris, Laurencin, Masson, Hemingway, Fitzgerald…
Gertrude, brouillée avec Léo, a raconté l’aventure de la collection dans ses mémoires sous le titre Autobiographie d’Alice B. Toklas, du nom de la secrétaire de son frère devenue sa propre secrétaire et aussi cuisinière, confidente, muse et amante.
C’est ce lieu qui, avec quelques meubles anciens, des tapis colorés, un téléphone en bakélite, un fond musical d’époque et aux murs des approximations des tableaux acquis par les Stein, est évoqué.
Parmi eux, inévitablement, le portrait de Gertrude par Picasso. Il obligea le peintre et le modèle à de nombreuses séances de pose, une centaine dit-on. Il devient ici une sorte d’icône russe ratatinée. Les baigneuses de Cézanne ont l’air de bibelots chinois et les toiles cubistes se sont travesties en petites vieilleries sépia à l’encadrement rococo.
Ni reconstitution, ni installation, mais plutôt recréation bizarre où rien n’est tout à fait ce qu’il semble être, on devine que le Salon ainsi revisité est une invitation à retrouver les bases intimes de la création du premier centre d’art moderne.
Deuxième section, le Museum of Modern Art (MoMA) de New York
En 1930, le fondateur du MoMA, Alfred Barr Jr., se rendit rue de Fleurus pour constater que Cézanne, Picasso, Matisse pouvaient se côtoyer et entendre G. Stein expliquant que l’expression musée moderne est une contradiction dans les termes.
Jusqu’alors dominaient les principes de présentation par ordre chronologique et par écoles nationales que Vivant Denon avait adoptées au Louvre et qui restaient la norme au Musée des artistes vivants du Luxembourg.
En rupture avec cette conception ancienne, les deux premières grandes expositions du MoMA (Cubism and Abstract Art et Fantastic Art, Dada and Surrealism) vont introduire au milieu des années 30 l’idée des mouvements internationaux en art.
Les œuvres sont regroupées par affinités et tendances : cette nouvelle manière de faire va à son tour dominer la muséographie.
À cette occasion, Barr trace un diagramme servant à la fois d’affiche, de communiqué de presse, de couverture de catalogue où l’évolution de l’art est condensée dans une arborescence sans légende.
Au Musée d’Art Moderne du Plateau, le même diagramme est reproduit, mais l’échelle de temps va jusqu’à 2035 : le plan d’accrochage d’Alfred Barr est respecté, mais il aligne ici des peintures de peintures, des peintures de pages de catalogues et des dessins d’article de presse contemporains de la fondation MoMA.
Troisième section, 50 Ans d’Art aux États-Unis
La dernière partie de l’exposition se rapporte à la manifestation itinérante 50 Ans d’Art aux États-Unis, présentée par Dorothy Miller au musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1955.
D. Miller, conservatrice du MoMA, a inventé la fonction de commissaire d’exposition. Avec le talent d’un imprésario, elle montait les vernissages comme des shows dramatiques gardant secrets les noms des artistes jusqu’à la dernière minute.
Dans la dernière salle du FRAC, toutes les toiles abstraites sont reproduites en noir et blanc et sans signature.
Ces Fleurs américaines sont une chose conceptuelle, d’un genre unique, ni esthétique, ni documentaire, ni historique.
Certes, l’exposition joue des catégories établies ; certes encore, elle articule les moments forts de la construction de l’art moderne et évoque le rôle des commissaires et des collectionneurs ; certes enfin, elle n’affecte pas d’être une exposition d’art moderne. Cependant, tout y demeure assemblage de références.
Dans quelques jours, à Ménilmontant, à quelques rues du FRAC donc, une galerie proposera sous le titre : Les grands maîtres revisités, le travail d’un collectif qui invite à parcourir «cette époque si magique ou l’art avait une parole et des noms tels que Egon Schiele, John Milton, Peter Paul Rubens, Clovis Trouille et bien d’autres…»
Il devrait aussi y être question de références. La manifestation aurait du se tenir en même temps que les Fleurs américaines, mais le calendrier de la galerie a été contrarié par une effraction.
Aucune œuvre n’a été dérobée, seulement des matériaux, des outils, de la peinture.
Par Robert Santo-Martino (de Paris pour Réalités)
*Les fleurs américaines
Le Plateau-FRAC Ile de France, Paris, en collaboration avec le Salon de Fleurus, New York et le Museum of American Art, Berlin, jusqu’au 17 février 2013.