"La lutte contre l’impunité consiste juridiquement à poursuivre les criminels, quelle que soit leur position socioprofessionnelle ou politique et à traiter toutes les violations sur un pied d’égalité, se positionnant ainsi au-dessus de toute influence, dans le cadre d’un système juridique indépendant et protégé de toute pression», nous a affirmé Maître Charfeddine Kellil, ex-membre de la commission d’enquête sur les événements de Siliana en 2012.
Intégrer le dossier des victimes des tirs à la chevrotine à Siliana dans le processus de la justice transitionnelle ainsi que dans la feuille de route du Dialogue national, telles ont été les revendications des participants à une conférence sur l’impunité après le 14 janvier, organisée le 9 avril à Siliana, conjointement par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES) et d’autres organisations de Droits de l’Homme.
Justice «transiliannelle»
«Les mécanismes de la justice transitionnelle doivent être appliqués également sur les cas des victimes des événements de la chevrotine de Siliana. Et les responsables des crimes, commis avant et après le 14 janvier, doivent rendre compte», nous a affirmé Abdessatar Benmoussa, président de la Ligue tunisienne pour la défense des Droits de l’Homme (LTDH) et membre du Dialogue national, réclamant une commission indépendante d’enquête sur les événements de Siliana.
Des participants à ladite conférence ont réclamé une intégration des victimes de Siliana dans le dossier des «Martyrs et blessés de la Révolution». Tandis qu’une deuxième partie, représentée par le Front populaire, a exigé, quatre jours après, un retrait de l’affaire des «martyrs et blessés de la Révolution» des tribunaux militaires pour la soumettre, «dans l’immédiat», aux juridictions civiles. Si les premiers prennent le dossier des martyrs et blessés de la Révolution comme un exemple, le Front populaire et ses partisans remettent en cause toute la procédure. Cependant, les deux parties réclament la constitution d’une commission indépendante formée d’ONG.
La justice transitionnelle va-t-elle s’occuper de ces cas ? Se sont demandés plusieurs acteurs. «C’est bien que nous ayons déjà une loi régissant la justice transitionnelle. Mais ses lacunes ne permettent pas d’atteindre une justice équitable pour tous», nous a fait savoir Maître Amor Safraoui, avocat à la Cour de cassation. D’après M. Safraoui, la composition de la commission de dépouillement, selon l’article 83, mettra l’instance vérité-dignité sur une ligne politique de la majorité, ce qui pourrait avoir un impact non souhaitable après les élections. Selon la loi, les décisions de la commission ne sont susceptibles d’aucune voie de recours (Article 85). Le choix des membres est donc définitf.
La loi est également problématique quant à la question du deuxième degré. Autrement dit, la loi a institué des chambres spécialisées auprès des tribunaux de première instance, mais elle n’en a pas fait de même pour la Cour de cassation. «Le processus a trop tardé. Aujourd’hui, nous voulons que la loi soit modifiée en faveur non seulement des martyrs et blessés de la Révolution, mais également pour les victimes de Siliana», a-t-il poursuivi.
Dialogue national VS ANC
Certains participants estiment que le rôle du Quartet et du tribunal administratif (TA) est décisif dans le processus de «réconciliation» avec les victimes de Siliana. «Nous sommes d’abord entrés en négociation avec l’Assemblée nationale constituante (ANC), mais nous nous sommes orientés par la suite, le 26 février, vers le tribunal administratif. Nous avons déposé un premier recours par voie incidente afin d’annuler la décision d’ouverture des candidatures» a souligné Safraoui. Avant d’ajouter «à l’issue de cette manifestation, nous adresserons un télégramme à l’ANC pour arrêter les travaux de dépouillement et soumettre cette loi à un comité d’experts.»
Pour sa part, Ahmed Souab (TA) a répondu favorablement aux demandes des intervenants, réclamant une plainte en urgence, pour résoudre la question de règlement des factures de déplacement et l’achat de médicaments. Cependant, d’autres intervenants pensent que la société civile est la seule à pouvoir traiter efficacement cette situation. D’après Maître Charfeddine Kellil, ex-membre de la commission d’enquête sur les événements de Siliana 2012, le plus grand travail est celui de la société civile parce qu’elle est la seule à contrebalancer toute forme de pouvoir.
Nadia Chaabane, députée représentant le parti Al-Massar, a conditionné la constitution d’une commission d’enquête ayant de larges prérogatives au sein de l’ANC à la modification de son règlement intérieur. «la configuration actuelle de l’ANC ne laisse pas passer cette affaire comme priorité. Aujourd’hui la loi électorale et la commission de contrôle de la constitutionnalité des lois sont, raisonnablement, sur la liste des priorités de l’Assemblée». L’ANC doit se maintenir jusqu’aux élections. Ce sont les futures Assemblées qui auront à batir de nouvelles traditions et un nouveau réglement intérieur. En tant qu’élue, je veux être dans cette commission de suivi avec la société civile», poursuit-elle, la qualifiant de «cadre le plus efficace.»
Chaïmae Bouazzaoui