Besoin d’ouverture, exigence de transparence ou nouvelle stratégie communicationnelle ? Quelle que soit la réponse, l’initiative est à saluer et à plus d’un titre. On parle ici de la rencontre à laquelle le ministre des Affaires étrangères a convié plusieurs responsables d’entreprises de presse. Et qui prouve, si besoin est, un changement d’approche au niveau du fond et de la forme dans la démarche adoptée par le département des AE et par le ministre lui-même. Ce qui en a fait une première du genre et un autre visage de la diplomatie tunisienne.
La rencontre avec Nabil Ammar qui recevait des journalistes renouait, en fait, avec une tradition perdue ces dernières années pour de multiples raisons et qui consistait à organiser des rencontres avec les représentants des différents médias. Et c’est de bon augure. C’est un ministre d’un autre genre qui se présentait, rompant avec ce qui était convenu et reconnu comme codes de la diplomatie de l’après-janvier 2011, notamment celle des trois dernières années ayant précédé sa nomination. Point donc de tabous ni de cachoteries et encore moins d’esquives, avec une grande franchise, le ministre a répondu à toutes les questions qui lui étaient posées sans en élaguer aucune.
Autre fait marquant de cette rencontre, la présence d’une douzaine de directeurs généraux du ministère. Le message est on ne peut plus clair. Désormais, c’est le travail d’équipe qui prévaut et la réussite ne peut être que collective. Une sorte de rupture avec les pratiques de son prédécesseur à qui il était reproché de ne pas faire participer suffisamment les cadres du département. Ce qui n’a pas manqué d’affecter la bonne marche du ministère. Ceci dit, l’on apprend que les trois dernières années étaient la pire période de toute l’histoire de la diplomatie tunisienne.
C’est une diplomatie avec des habits neufs qui est présentée. Une diplomatie qui ne taira rien, qui dira tout haut tout ce qu’on disait, voire pensait, précédemment, très bas. Une diplomatie qui ne reculera devant rien pour défendre les intérêts de la Tunisie et ses positions de principe.
« Les temps ont changé et les us et usages diplomatiques aussi. Nous prônons une diplomatie nouvelle où les relations entre Etats sont d’égal à égal dans le respect de la souveraineté », affirmait le ministre.
Désormais, c’est à une diplomatie représentative d’une Tunisie qui se démarque, qui s’assume et assume ses décisions, qui dit non à toute ingérence dans ses affaires, qui a le courage de voter contre ou de s’abstenir et d’émettre des réserves quand cela s’impose, qu’on aura affaire.
L’exemple en a été donné sur la question de la situation en Palestine occupée et l’action génocidaire menée par l’Etat sioniste dans la bande de Gaza.
L’engagement de la Tunisie aux côtés des Palestiniens ne souffrant aucun doute, la diplomatie nouvelle s’est faite le reflet de cette position de notre pays de toujours défendre cette cause, sa cause, partout et à tout moment et notamment devant les instances internationales et régionales. Les réserves émises sur la déclaration finale du dernier sommet des pays arabes et islamiques tenu à Riyadh à l’exception des trois points que la Tunisie y a inscrits, à savoir la cessation immédiate de l’agression sauvage israélienne, l’apport immédiat d’une aide humanitaire urgente et suffisante au peuple palestinien et la levée du siège imposé à la bande de Gaza et dans tous les territoires palestiniens. Idem pour la déclaration du sommet de la Ligue arabe ou encore l’abstention lors du vote de la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU. La facture à payer pourra être très lourde et la Tunisie accepte de la payer. « On l’accepte, quoi qu’il en coûte ». On croit entendre le président de la République.
Explication de Nabil Ammar : la Tunisie n’a jamais privilégié ses intérêts propres par rapport à la juste cause palestinienne.
Il semble toutefois que le Chef du département des AE avait un message précis à passer : « Face aux campagnes féroces lancées par les médias occidentaux défendant aveuglément Israël et ignorant le drame palestinien, critiquant les positions de pays comme la Tunisie, le rôle des médias nationaux est déterminant pour dénoncer, expliquer, argumenter et convaincre une opinion publique internationale dont on veut détourner le regard sur un peuple colonisé subissant les pires exactions de la vérité des atrocités israéliennes sur terrain ». Ceci n’a pas déplu aux journalistes présents, d’autant que le ministre ajoute que « le ministère des Affaires étrangères est la 1ère ligne de défense de la Tunisie, et nous comptons beaucoup sur vous pour cela ».
Dans ce cadre, il rappelle que quand il faut cadrer certaines attitudes pour préserver les intérêts du pays il n’y a aucune hésitation.
C’est le cas de la polémique née autour du projet de loi sur la « criminalisation de la normalisation avec Israël ». Nabil Ammar a précisé avoir répondu par écrit aux sollicitations du Parlement, ne manquant pas de rappeler que les autres départements comme le Tourisme, le Commerce, l’Industrie… doivent formuler leur point de vue en raison des conséquences catastrophiques qui peuvent affecter le pays au cas où une telle loi devrait passer. Il est clair qu’aujourd’hui, un certain nombre de députés sont en train de faire de la surenchère avec un dessein non avoué.
Les mêmes députés n’ont pas manqué d’appeler au renvoi d’un certain nombre d’ambassadeurs occidentaux pour leur soutien à Israël, faisant fi des intérêts vitaux de la Tunisie. Ils oublient qu’avec la nouvelle Constitution, les Affaires étrangères restent du domaine réservé au chef de l’Etat.
“Les temps ont changé et les us et usages diplomatiques aussi. Nous prônons une diplomatie nouvelle où les relations entre États sont d’égal à égal dans le respect de la souveraineté.” Et c’est à ce niveau aussi qu’il y a changement et c’est justement pour cela que l’heure est à la responsabilisation des antennes diplomatiques qui doivent être réactives et défendre les positions tunisiennes sur les plans national et international. « C’est le SMIG qu’on leur demande ». C’est la fin de la diplomatie feutrée dans les bureaux. Le tout dans le respect des grandes lignes tracées par le président de la République.
Il faut qu’elles développent leurs relationnels et qu’elles soient opérationnelles, en plus bien sûr de leur mission classique.
« Malgré la faiblesse des moyens, environ 0,6% du budget de l’Etat, d’ici au premier trimestre, tous les chefs de postes prendront leurs fonctions », annonce le ministre.
« Nous nous sommes engagés dans un vaste programme pour rendre l’action du ministère plus efficace. Il s’agit de moderniser l’outil », assure-t-il, précisant qu’avec le démarrage prochain de l’Académie diplomatique, construite grâce à la coopération chinoise, le niveau des futurs diplomates sera relevé. Un directeur vient d’être nommé, il prépare déjà son organigramme.
Y-a-t-il crise avec l’Union européenne et la France ?
Nabil Ammar dément sans hésitation aucune. Le partenariat avec l’UE est essentiel pour la Tunisie. Il est appelé à répondre davantage aux besoins spécifiques de la Tunisie dans une relation d’égal à égal. « Nos relations sont bonnes, mais elles peuvent être meilleures. Il faut que l’Europe nous comprenne mieux. C’est à eux de faire un effort supplémentaire, et changer de logiciel qui devient obsolète », dit-il, avant d’ajouter que « notre pays n’est pas pauvre. Nous avons besoin de partenaires, mais nous ne demandons pas la charité. On ne veut pas de l’assistance, mais du partenariat ». Quant au blocage de la mise en œuvre du Mémorandum d’entente sur un partenariat stratégique et global signé entre la Tunisie et l’Europe sur la migration irrégulière, il reste d’actualité mais « ce sont eux qui ont dévié du processus. Nous ne l’avons pas mis en panne et nous sommes prêts à le reprendre. Le problème est le leur et intrinsèque à eux. Et dès qu’ils résoudront leurs problèmes et leurs différends, on sera prêts à reprendre ».
Loin est donc l’ancienne approche de partenariat dont la logique est l’allégeance. La Tunisie, faut-il le rappeler, a eu le courage de renvoyer une aide financière alors qu’elle en avait besoin en cette période de tarissement de ses ressources. Sa souveraineté est une ligne rouge.
Et si la Tunisie tient à préserver des relations d’amitié et respectueuses avec tous les pays, dont ceux d’Europe, cela ne l’empêchera pas, avec la nouvelle donne géopolitique mondiale, de diversifier son partenariat, en particulier avec les pays asiatiques notamment la Chine, la Corée du Sud ou l’Indonésie.
« Nous sommes sollicités par de nombreux pays qui veulent renforcer leur coopération avec nous. Nos alliances et relations historiques classiques ne doivent pas nous empêcher de nous ouvrir à d’autres régions dans le monde ou entraver d’autres partenariats qui peuvent beaucoup apporter au pays ». C’est ce que pense Nabil Ammar qui estime nécessaire le redéploiement de la diplomatie Tunisienne « On y pense actuellement », malgré la faiblesse des moyens financiers.
L’un des axes importants pour le développement du pays est la mise en place d’une diplomatie économique efficace qui devrait être rattachée aux MAE pour rationaliser notre action et assurer la coordination avec les différents ministères économiques. En un mot, arrêter le saupoudrage pour une meilleure efficacité.
« Le ministère des Affaires étrangères n’a jamais failli quant à son rôle important dans la dynamisation des relations économiques de la Tunisie à l’international. Nous avons toujours été présents ».
Concernant le Maghreb, notamment les relations avec le Maroc, Nabil Ammar annonce qu’elles seront normalisées dans un prochain avenir, tout en rappelant que les relations commerciales entre les deux pays sont normales.
Les nouveaux codes de la diplomatie tunisienne sont ainsi définis. Nabil Ammar en est convaincu. La ligne de conduite est tracée par le chef de l’Etat.