Les JCC, les paillettes, la résistance et l’amour de la vie

Le 21 novembre le clap d’ouverture a été donné pour les Journées cinématographiques. L’avenue Habib Bourguiba ou l’Avenue, tout simplement comme les Tunisois aiment appeler leur grande avenue, témoin des grands moments de l’histoire de notre pays dont le début des révolutions arabes, un certain 14 janvier, s’était couverte de ses plus belles tenues d’apparat. L’avenue était fermée à la circulation comme pour les grands évènements et le tapis rouge avait été déroulé pour les stars qui arrivaient au compte-gouttes pour traverser l’avenue et accéder au vieux théâtre municipal, autre témoin des plus belles heures des grandes manifestations culturelles de notre pays depuis des lustres, où devait se dérouler la cérémonie d’ouverture. Et, puis plein de jeunes autour pour saluer les stars, les interpeller et pourquoi pas essayer d’avoir une photo ou un selfie avec eux. Nos paillettes à nous ! Avec des stars habillées parfois légèrement en dépit des températures hivernales dont les photos ont circulé sur les réseaux sociaux et qui nous ont permis de rêver. Et, même si d’habitude, je suis persuadé que les JCC se distinguent des festivals à paillettes et se sont inscrites dès leur apparition dans un cinéma plus intimiste pour ne pas dire militant, j’ai aimé cette montée des marches à la sauce tunisoise et tiers-mondiste. Une montée des marches et des paillettes qui nous permettaient d’échapper à la morosité ambiante et à ce désenchantement devant l’atermoiement de notre Révolution et la montée du danger terroriste. Sortir, s’habiller et déambuler sur l’Avenue devient aussi une forme de résistance pour les Tunisiens afin de montrer cette folle envie de vivre libre. Une nonchalance qui nous permet d’échapper à la peur et de transgresser les lendemains qui déchantent.
D’ailleurs le cinéma et particulièrement les JCC ont toujours été pour les Tunisiens un moment d’évasion et de liberté, particulièrement face à la dérive de la post-colonie et l’autoritarisme d’un autre âge que le régime tunisien a imposés à notre pays pour près de trois décennies. Devant la fermeture de l’espace public et la volonté de l’autoritarisme d’en faire un espace dominé par le régime, la création culturelle et particulièrement le monde du cinéma sont devenus le lieu privilégié d’expression de la diversité, de la pluralité et une certaine idée de la modernité. Ainsi, des générations entières de militants de tous les horizons, d’activistes culturels et parfois de doux rêveurs en quête de liberté ont fréquenté les mouvements cinématographiques tunisiens et y ont trouvé des espaces bienveillants pour accueillir leurs rêves et leurs utopies. Pendant de longues années, les jeunes Tunisiens assoiffés de liberté et porteurs d’une révolte par rapport aux ordres établis ont trouvé dans le monde du cinéma le seul endroit ouvert à la dissidence et au rêve.
Dès l’ouverture de cette session des JCC et comme toutes celles qui l’ont précédée depuis la création de cet « autre » festival du cinéma qui avait misé sur le Sud pour nourrir l’utopie globale, les salles ont été prises d’assaut par des milliers de jeunes sortis de nulle part. Des jeunes qui ont envahi les salles de cinéma, l’Avenue et les rues adjacentes, les cafés et les restaurants par milliers une seule idée en tête, poursuivre leurs rêves et leurs utopies dans la pénombre des salles obscures. La ville était en fête et l’amour de la vie l’emportait sur la morosité et la grisaille au moins pour les jours du festival.
C’est cette joie et cette quête de bonheur que les terroristes ont voulu tuer dans l’œuf, quelques heures seulement après l’ouverture du festival en s’attaquant au bus de la Garde présidentielle. Un attentat lâche qui a fait douze martyrs et plusieurs blessés. Une attaque sans précédent qui s’est fixée pour objectif de renforcer la peur et le doute des Tunisiens et d’entamer leur confiance dans l’avenir. Cette attaque a visé deux symboles importants de notre pays. Le premier est celui des forces qui défendent et protègent la plus haute instance de notre République à savoir la Présidence et aussi l’ensemble des hauts responsables ainsi que tous ceux qui sont protégés des attaques terroristes. Le second symbole concerne le lieu visé par cette attaque qui est le centre de la ville de Tunis à quelques encablures du ministère de l’Intérieur. Comme si les terroristes voulaient nous envoyer un message clair et sans ambiguïtés qu’ils pouvaient attaquer tous ceux qu’ils voulaient et où ils voulaient. Et en définitive, entamer notre confiance dans nos forces de sécurité et dans l’Etat à leur répondre et à nous protéger.
Mais, une fois passé le moment de deuil et de la tristesse, les Tunisiens sont revenus par des actes simples exprimer leur amour de la vie et leur volonté de résistance à tous les apprentis djihadistes et autres marchands de la mort. Et, qui plus que le cinéma et les JCC pour exprimer cet amour effréné de la vie. Le gouvernement et les responsables du festival ont annoncé rapidement la décision de poursuivre le festival et de défier les terroristes. La réponse ne s’est pas fait attendre, car dès le lendemain, c’est de nouveau en milliers qu’ils sont revenus envahir les rues et faire la queue de manière patiente devant les salles pour prendre part à la fête non seulement du cinéma mais aussi de la vie. Des milliers de citoyens ont voulu envoyer un message d’espoir, de rêve et de détermination à celui de la peur et de la haine que les terroristes ont cherché à faire répandre par leur attentat. Et, le festival s’est poursuivi dans une grande ferveur militante et dans un happening festif dans lequel même les paillettes étaient présentes lors de la cérémonie de clôture.
Ainsi, le fameux adage « lorsqu’on aime la vie on va au cinéma » n’a jamais été aussi pertinent que lors de ces JCC et face aux attaques terroristes. Les paillettes, les salles sombres et combles, les milliers de sourire et de rêve dans l’avenir ont été les réponses des citoyens à la peur et à la violence du terrorisme.

Related posts

Le danger et la désinvolture 

Changer de paradigmes

El Amra et Jebeniana