Quand un groupe qui existe depuis plus de quarante ans sur le marché et réalise un chiffre d’affaires annuel de près de 200 millions de dinars a du mal à se financer, il faut se poser la question du rapport complexe banque-entreprise.
Les trois dernières années après la Révolution verront la disparition de plusieurs entreprises. N’arrivant pas à trouver de financement, elles ont mis la clé sous la porte et d’autres suivront. Le manque de financement participe à 70% du taux de casse des entreprises. Celles qui se rendent à la banque pour obtenir le financement d’un projet doivent soumettre un épais dossier de crédit. Ce n’est pas la qualité du projet économique qui fera que le dossier de crédit sera accepté, mais plutôt ce que l’entreprise pourra présenter comme biens pour le garantir. Les banques n’accordant presque plus de financement sans garantie. Les tous derniers chiffres indiquent que l’insuffisance de garanties participe à 95% au refus du crédit. Les créances douteuses qui dépassent les normes obligent les banques à se méfier et à exiger des garanties. Laurent Gonnet, expert à la Banque mondiale, a pointé du doigt le manque de transparence qui caractérise les entreprises tunisiennes, soulignant que le taux de créances douteuses s’élève en Tunisie à 24%, contre 5% seulement au Maroc. Ainsi, selon lui, le déficit de transparence incite les banques à faire preuve de sévérité dans l’octroi des crédits.
Banque-entreprise, l’éternel conflit
L’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE) a réuni lors des Journées de l’Entreprise 2013, des experts, des économistes, des banquiers et des chefs d’entreprises pour débattre de la problématique du durcissement des conditions d’accès aux crédits pour les PME. Certes, le sujet à débattre est classique, mais selon les organisateurs le choix du sujet est le résultat d’une consultation auprès des entreprises tunisiennes qui trouvaient que le financement de leurs projets était d’une actualité brûlante, sachant que les besoins de financement des entreprises se sont accrus ces trois dernières années. «Il y a deux ans j’ai parlé de ce même sujet et j’ai appelé à un Bing Bang dans le secteur financier et au niveau des entreprises, mais rien ne s’est passé» a regretté Mustapha Kamel Nabli, ancien Gouverneur de la BCT. Depuis toujours on débat de la relation compliquée entre la banque et l’entreprise et on n’a pas bougé d’un iota. Les banques pensent que l’entreprise n’est pas transparente et manque terriblement de bonne gouvernance et l’entreprise pense que la banque l’a toujours lâchée. Les deux parties se rejettent mutuellement la responsabilité, pourtant, la solution ne se fera que si elles ont une vision commune.
Fragilités
La pérennité des entreprises tunisiennes est toute relative. L’entreprise tunisienne ne dispose pas d’une assise financière solide durant les dix premières années de sa création. Les dix premières années sont cruciales pour sa pérennité. C’est là où le problème de financement se pose. C’est là où la banque ne suit plus l’entreprise, car elle trouve sa rentabilité auprès des grandes entreprises. Les PME et TPE ne sont pas une niche de croissance pour les banques. Et c’est entre autres pour cette raison qu’il n’existe pas en Tunisie un grand nombre de grandes entreprises (10% du tissu entrepreneurial soit 250 entreprises). Selon Kamel Nabli, le tissu entrepreneurial national est composé exclusivement de petites et de très petites entreprises. En absence de dynamique de croissance, ces entreprises ne se développent guère, voire elles disparaissent. Il existe des entreprises qui arrivent à avoir accès au financement, mais celles-ci sont accusées de ne pas créer d’emplois qualifiés ni de la richesse, alors à quoi bon les financer ? Les PME doivent faire preuve de transparence et honorer leurs engagements financiers avec les banques a conclu M. Nabli. Il faut noter que plus de 99% du tissu entrepreneurial tunisien est de type PME-PMI. Selon M. Jalloul Ayed, 15% des crédits accordés vont aux PME, ce qui explique que le tissu entrepreneurial est formé essentiellement de celles-ci. Selon les statistiques officielles, il existe 350.000 TPE, mais la réalité est toute autre, puisque le nombre des TPE dans l’informel est de près de 750.000. Par ailleurs, trop de petites banques, banques sous-capitalisées, manquent de concurrence entre banques et manquent de liquidité. La situation du secteur bancaire laisse à désirer. La principale source de financement de l’économie tunisienne est en crise (73,2% du PIB). Une restructuration est jugée indispensable. Le gouvernement a déjà commencé à reformer le secteur par un audit sur trois banques publiques. La fusion de celles-ci est une mesure réformiste.
Y a–t-il d’autres sources de financement ?
La Bourse, le Private Equity, la microfinance, le marché obligataire et la finance islamique, sont aussi des moyens de financement pour les PME, bien que les banques représentent la principale source de financement de l’économie tunisienne (73,2% du PIB). Pour le marché financier, à savoir la Bourse, le handicap essentiel des entreprises c’est le manque de transparence. Une fois introduites en Bourse, les entreprises sont obligées de publier leurs états financiers régulièrement. Pour ce qui reste des autres solutions de financement, le manque de cadre législatif et de compétences humaines empêchent celle-ci de se développer.
La finance islamique, un problème de nomenclature ?
Pourquoi la finance islamique suscite-t-elle le débat alors que, selon certains, ce n’est qu’une source de financement de plus pour les entreprises ? Quelle utilité de savoir si ce système est venu pour répondre à un besoin déjà existant, ou si c’est ce système qui a créé le besoin ? Ces interrogations émanent-elles d’une crainte des entreprises quant au futur politique et culturel du pays ?. Le panel sur la finance islamique, lors des journées de l’entreprise, a viré au ridicule. Un homme d’affaires algérien a même posé la question de savoir si une entreprise non musulmane pourrait se financer par ce système, comme s’il existait des entreprises musulmanes et d’autres non musulmanes ? En fait les entreprises se distinguent par leur activité et non leur croyance. Contrairement aux banques conventionnelles, les banques islamiques ont de l’appétit aux risques. Ces banques sont prêtes à soutenir les entreprises par le préfinancement et les besoins en expansion mais avec des conditions particulières. Actuellement, la finance islamique participe à hauteur de 2% dans le financement de l’économie nationale. Selon Qamar Saleem, spécialiste dans le financement bancaire des PME à la SFI (Société financière internationale), dans une étude réalisée par son institution, 48% des entreprises tunisiennes veulent se financer par la finance islamique et 18% désirent basculer de la finance conventionnelle vers la finance islamique. Mais la difficulté par rapport à ce système, c’est sa bonne application. Les techniques et les compétences humaines demeurent une condition sinéquanone pour la réussite de ce système qui peut attirer de grands investissements de l’étranger. Christine Lagarde, DG du FMI, s’attend à 100 millions d’euros sur la place de Paris venant de la finance islamique. Bien que ses critères se soient inspirés du Coran et de la Sunna, la finance islamique est un système et pas une croyance. Un système différent de la finance classique dans ses conditions, mais l’objectif est commun : le financement des PME.
Étude : accès au financement des PME tunisiennes, obstacles et disparités
66% des PME tunisiennes estiment que les conditions de financement en Tunisie, sont de plus en plus difficiles, selon une étude réalisée par l’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE),présentée lors de la 28e édition des Journées de l’Entreprise. Cette étude, effectuée en novembre dernier, auprès d’un échantillon de 164 responsables d’entreprises, a relevé que le financement constitue le premier problème qui entrave le développement des PME en Tunisie. À cet égard, 28% seulement des demandes de financement déposées par les PME auprès des banques sont satisfaites, 29% sont refusées en raison des conditions non acceptées et 14% sont rejetées catégoriquement. Ce sont les entreprises de petite taille (mois de 20 employés) qui souffrent le plus d’exclusion financière. Par ailleurs, l’étude a montré des disparités en ce qui concerne l’accès au financement entre les régions. Il existe un déficit d’institutions financières dans les régions intérieures du pays avec des problèmes de gouvernance. L’étude recommande la création des structures publiques d’appui aux PME (sous forme de guichet unique), la refonte de la réglementation bancaire relative au financement des PME, l’assouplissement des conditions de tarification des services financiers pour les banques, la mise en place de banques régionales et le renforcement du «reporting» sur les conditions de financement des PME. D’un autre côté, et selon l’étude réalisée sur 82 responsables bancaires, 95% du refus des demandes de financement est dû à l’insuffisance de garanties.
Par Najeh Jaouadi