« Le journalisme, c’est le contact et la distance », soutient Hubert Beuve-Méry. Cela renseigne fort sur la difficulté du travail des journalistes, appelés en permanence à concilier des exigences contradictoires dans les relations qu’ils entretiennent avec les hommes politiques.
Ce qui se passe actuellement sur la scène politique et médiatique en cette période électorale tumultueuse, où les règles de déontologie sont foulées au pied et où le jeu de connivence entre les hommes politiques et les journalistes est devenu criard, renvoie un message plus qu’inquiétant. Le plus précieux des acquis de la Révolution de 2011 est en train d’être dilapidé par l’inconscience des uns, l’immaturité des autres et l’obstination de certains à asservir les journalistes et à hypothéquer la liberté d’expression.
Dans l’anarchie qui a accompagné le démarrage de la campagne électorale, la grande conclusion qui se dégage est le manque de responsabilité notoire qui anime l’action des différents acteurs, sans distinction aucune, l’absence de perception du sens de l’Etat et la volonté de nuire à la démocratie tunisienne, plus que jamais menacée.
Au moment où les Tunisiens sont infantilisés par les dérapages graves des hommes politiques obnubilés par le pouvoir et instrumentalisant à volonté de nombreux médias qui sont tombés vite dans leur piège, ce qui a polarisé l’attention, ce sont les invectives, les scandales, l’échange d’accusations et les opérations de lynchage entre les concurrents à la magistrature suprême, non la qualité des programmes, ni la profondeur des débats. Dans le magma provoqué par cette course où toutes les règles du jeu démocratique ont été bafouées, toute éthique piétinée, il n’est pas exclu que la campagne finisse par enfanter des monstres. En sacrifiant le rêve et l’espoir, au profit des calculs étriqués, des ego démesurés et des pratiques malsaines, les 26 candidats en course n’ont pas réussi, dans leur majorité, à interpeller les électeurs ou à vaincre le pessimisme qui les habite.
Dans ces combats de coqs entre des candidats qui ne présentent rien et qui ont choisi la voie la moins sûre, le flou n’a fait que s’épaissir et il devient de plus en plus ardu pour tout électeur de choisir sereinement, en se basant sur des critères objectifs, le meilleur candidat possible. Par leur impertinence, leur inexpérience et leur inaptitude, les prétendants à la magistrature suprême se sont lancés dans un chemin sinueux, accidenté et sans issue. Ils ont préféré s’entredéchirer au lieu de séduire, décevoir au lieu de convaincre et de présenter des alternatives. Ils ont opté volontairement pour la diffamation, le dénigrement, la calomnie et la diffusion de contrevérités à travers des médias soumis à leur bon vouloir, réceptifs aux ordres et manquant terriblement de professionnalisme.
En dépit de ce dérapage insoutenable, de la désillusion qui habite les Tunisiens, il ne faut pas perdre de vue un impératif stratégique. Manifestement, la participation massive à la réussite de ce rendez-vous électoral est un impératif et une exigence de survie pour cette expérience démocratique inédite dans la région. En s’inscrivant massivement sur les listes électorales, les Tunisiens ont fait la moitié du chemin. Ils sont appelés le 15 septembre à donner un sens à l’autre moitié. Leur participation servira la démocratie, ancrera le sentiment citoyen et renforcera le modèle sociétal auquel la majorité s’agrippe et les libertés dont on tire fierté. Partant, leur participation est le meilleur exercice qui prémunira ce processus et la meilleure arme pour exclure du système politique ceux dont la présence est incompatible avec le renforcement des fondements de l’Etat civil, des libertés et des droits.
Participer, c’est avant tout l’expression d’un sursaut citoyen, un moyen pour ne pas céder au fatalisme, et une opportunité pour ne pas laisser le terrain propice à la résurgence des forces obscurantistes et passéistes.
Participer pour permettre aux Tunisiens de rêver, d’espérer et de restaurer leur confiance en l’avenir.
Tous les abus constatés, les campagnes de dénigrement orchestrées, de stigmatisation, les révélations fracassantes concoctées à des fins sordides et les rumeurs infondées, le doute qu’on cherche à faire prévaloir sur la neutralité de l’Administration et des institutions de l’Etat, ne doivent en aucune façon conduire les Tunisiens à s’inscrire aux abonnés absents. Pour transcender toutes les difficultés et surtout chasser tous les démons qui sont à l’origine du blocage de la conduite de tout changement, il faut que tous les Tunisiens, les véritables arbitres de ce scrutin, assument leur responsabilité et s’acquittent de leur devoir.
C’est de leurs choix que dépendront la préservation des acquis du pays, du modèle sociétal, le renforcement de l’unité nationale, des libertés, l’enracinement de la démocratie et la capacité de relever les grands défis qui pointent à l’horizon.