Les litanies du Kef : Les oubliés

Par Alix Martin

 

Combien de discours, combien de textes ont prôné le développement économique et la promotion touristique de l’Ouest, dit défavorisé, alors qu’il n’est qu’abandonné ?

Et pourtant, où sont les actions, où sont les résultats ? Citons quelques exemples de réalisations faciles à mettre en œuvre, qui ne l’ont jamais été.Combien de discours, combien de textes ont prôné le développement économique et la promotion touristique de l’Ouest, dit défavorisé, alors qu’il n’est qu’abandonné ?

La couche K / T

La « coupe » de la piste de Hamma Mellèg, située à 7 kilomètres environ au sud-ouest du Kef, à proximité du village d’El Haria, constitue une référence mondiale de la limite Crétacé – Tertiaire (K / T), par sa forte teneur en iridium, métal rare sur terre mais très fréquent dans les météorites. Cette strate sédimentaire justifiera la disparition des dinosaures à la fin de l’ère secondaire en raison d’un heurt cataclysmique de la terre par un énorme météorite.

Tous les chercheurs sont unanimes à déclarer que cette coupe est (était) la plus intéressante du monde. Elle a (avait) été classée : « Global stratotype section and point (G.S.S.P.) » par l’Union internationale de géologie et par la Commission internationale de stratigraphie.

Depuis 1987, les géologues tunisiens avaient demandé que le site soit protégé de l’érosion pluviale. Depuis 2 ans, nous avons écrit pour alerter le gouvernement tunisien des risques évidents de voir disparaître le site. Nous n’avons même pas bénéficié d’un accusé de réception. Depuis, il a plu, et la coupe du Kef a disparu ! Pourtant, elle suscitait l’intérêt d’étudiants et de chercheurs qui venaient du monde entier.

Rien que les deux manifestations internationales organisées en Tunisie, en 1992 et 1998, avaient réuni plus de 200 personnes.

A l’heure où on se gargarise de tourisme alternatif, de géotourisme, on ne peut qu’être surpris par le silence, l’indifférence, l’inaction des Autorités. Serait-ce parce que le site est dans l’ouest : une région abandonnée ?

La réserve du jebel saadine

La Réserve nationale du Jebel Saadine de 2600 hectares, clôturée en 2000, est située à une dizaine de kilomètres au sud-ouest du Kef, le long de la route N° 5 menant à Sakiet Sidi Youssef. Son aménagement et la construction de son écomusée ont été réalisés dans le cadre d’une coopération tuniso-japonaise.

La Réserve du Jebel Saadine est originale parce qu’elle présente trois microclimats méditerranéens. Elle s’étend sur trois collines perpendiculaires, aux vents humides venus du nord-ouest, aussi est-elle moins arrosée du nord au sud et les versants exposés aux vents humides reçoivent-ils moins de pluie que les versants sud. Elle présente donc trois types de biotopes. Au nord, un haut maquis planté de pins d’Alep associés au genévrier de Phénicie, à l’olivier sauvage et à de rares pistachiers. Plus au sud, le maquis bas est constitué d’oliviers sauvages et surtout de buissons. La dernière colline est couverte d’un maquis dégradé que parsèment les espèces résistantes à la sécheresse telles que l’alfa et le jujubier.

Madame Emna Charfi avait fait aménager l’écomusée de façon remarquable. Des sentiers de randonnée plus ou moins longs avaient été tracés.

Quel visiteur de la région du Kef entend parler de cette réserve dont la faune recèle l’aigle royal et le plus gros prédateur du pays : la hyène rayée, endémique de l’Afrique du Nord ? Qui permettra l’accès à la Réserve, la découverte des sentiers de randonnée et la visite de l’écomusée ? Personne parmi les « responsables » n’a entendu parler de « tourisme vert », « d’écotourisme » ? C’est dommage !

Le site paléolithique de Sidi Zin

Ce site paléolithique, le plus important du pays, est situé le long de la route N° 5 à quelques kilomètres du Kef. Il est constitué de 4 niveaux archéologiques superposés qui ont livré un outillage très riche. Il a été très partiellement fouillé par le Docteur Gobert avant 1950 et, depuis, seuls quelques sondages y avaient été effectués.

Etant situé sur une propriété privée, à flanc d’oued, il, est attaqué non seulement par l’érosion mais aussi par les labours du cultivateur.

Devant notre crainte d’une dégradation importante, nous avons informé les ministres du tourisme et de la culture. Nous étions d’autant plus inquiets que nous avions vu disparaître une station mégalithique de Koudiat Soltane, considérée en 1985 par le prédécesseur de l’Institut du patrimoine comme la plus importante de la région. Elle était située à quelques centaines de mètres d’un poste de la Garde nationale ! Pourtant, tous les dolmens ont disparu !

A la suite de notre lettre du 14 Mai 2012, nous avions eu une réunion en présence du Gouverneur du Kef. Un plan d’action avait été ébauché. Nous devions nous revoir pour continuer. Et … plus rien ! Plus de réunion ! Aucun travail sur le site ! L’abandon complet !

Aujourd’hui, on apprend qu’il est question d’ouvrir une carrière de sable sur l’emplacement du site ! Le silence, l’atonie ou l’inertie des Autorités masquaient-elles des tractations commerciales qui permettraient de perpétrer un crime contre le patrimoine national ? Nous n’osons le penser ! Nous croyons que seules l’ignorance et l’inculture sont responsables de ce qui pourrait être une grave atteinte à l’Histoire universelle de l’Homme, à celle de la Tunisie et du Maghreb et au développement touristico-économique de la région au Kef.

Nous avions proposé que la protection du site soit suivie d’un Séminaire de niveau universitaire. Un musée aurait pu présenter l’histoire de la terre avec la couche K / T d’El Haria et les calcaires récifaux de Jérissa et les diapirs (dômes de sel) de la région ainsi que l’histoire des Hommes avec le site de Sidi Zin et « les escargotières » préhistoriques qui parsèment la région.

Nous pensons que ces propositions auraient engendré des postes de travail et des retombées économiques dans la région. Last but not least !

Le retour des cendres de Jugurtha

Nous avons décidé, il y a quelques mois, de rapatrier symboliquement les « cendres » de Jugurtha : illustre enfant du pays qui a lutté, opiniâtrement, mais en vain, contre l’impérialisme romain.

Il est surprenant, pour le moins, de constater que pratiquement aucune avenue prestigieuse, aucune grande place, aucun monument, pas même une stèle commémorative dans sa capitale Le Kef / Cirta ne rappelle sa mémoire.

Comme les vestiges de la prison romaine, où il fut mis à mort, existent toujours, nous avons pensé aller récupérer une poignée de terre de cette prison, la ramener en Tunisie et l’inhumer dignement dans un petit monument construit au Kef ou à Kalaat Esnan au pied de la célèbre « Table de Jugurtha ».

Voilà des mois que nous essayons d’avoir un contact avec les ministres concernés à qui nous avons écrit. Cela n’intéresse personne.

Nous sommes persuadés qu’une telle opération puis l’existence du « tombeau de Jugurtha » drainera des visiteurs vers la région. Nous sommes certains qu’un nouveau « séminaire Jugurtha » traitant de l’histoire et de la géographie de la région et du Maghreb, qui pourrait être relié au Colloque international sur l’histoire des steppes tunisiennes qui se tient à Sbeïtla, serait bénéfique à tout le Haut Tell et à la Tunisie.

Peut-on espérer que cette « bouteille à la mer » des « Oubliés de l’ouest » soit recueillie par des gens « responsables » et dotés d’Autorité ?

S’ « Il n’est pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre », « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer », en hommage à la « Maison d’Orange » !

A.M

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