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Entamée le 26 août, la campagne électorale pour les élections du 8 septembre bat son plein. Les partis tentent de convaincre sur le terrain. Ambiance.
Les Marocains sont appelés ce mercredi 8 septembre aux urnes pour des élections législatives et locales aux multiples enjeux.
« La plupart sont sceptiques et les plus optimistes sont membres d’un parti politique ou connaissent quelqu’un qui connaît quelqu’un à la recherche d’un maximum de voix pour être élu, résume Ibtissam, pharmacienne. Je ne voterais pas, pour tout vous dire, lâche-t-elle.
*Un test électoral inédit
Pour la première fois, près de 18 millions de Marocains sont appelés à voter le même jour pour élire les 395 députés de la Chambre des représentants et plus de 31 000 élus communaux et régionaux.
Cette réforme vise à augmenter le taux de participation, qui avait plafonné à 43 % lors du scrutin législatif de 2016. C’est également la première fois depuis la tenue des premières élections au Maroc en 1960 que la répartition des sièges à la Chambre des représentants sera calculée sur la base du nombre des électeurs inscrits et non des votants. Ce nouveau mode de calcul devrait handicaper les grands partis, au profit des petites formations, mais seul le PJD s’y est opposé, s’estimant « lésé ». En effet, au Maroc, il est difficile de prévoir qui sortira vainqueur des urnes, l’institution monarchique et les prérogatives du roi Mohammed VI étant ce qu’elles sont, les partis politiques ne s’affrontent pas pour prendre le pouvoir, mais pour y participer.
Quels que soient les résultats des urnes au soir du 8 septembre, l’ensemble des partis politiques est censé adopter une charte, découlant du « nouveau modèle de développement », qui préfigure une « nouvelle génération de réformes et de projets », comme l’a indiqué récemment Mohammed VI. Ce modèle, conçu par une commission nommée par le roi, esquisse plusieurs pistes pour réduire les profondes disparités sociales du pays et doubler le PIB par habitant. La nouvelle Constitution, adoptée en 2011, a certes conféré de larges prérogatives au Parlement et au gouvernement. Dans les faits, les grandes décisions dans les domaines stratégiques comme l’agriculture, les énergies ou encore l’industrie émanent du monarque, indépendamment des changements au sein de l’exécutif. Comme l’a encore montré la crise sanitaire. « Je compte voter si et seulement si ce ne sont pas les mêmes visages qui chaque fois font des promesses sans les tenir », nous dit Imrane, sexagénaire, retraité. « S’il y a des jeunes compétents, ils méritent d’être encouragés et méritent surtout ma confiance et ma voix », poursuit-il.
Mais le plus manifeste dans la volonté de la rue marocaine, c’est l’abstention. « Je ne crois pas du tout à la politique dans ce pays. D’ailleurs, je n’ai jamais voté. Je n’ai jamais vu de mon vivant un programme électoral voir le jour. Je vous mets au défi de me trouver quelqu’un pour me démontrer le contraire. Ce quelqu’un n’existe pas encore », nous dit d’un ton grave Jamal, homme d’affaires, la quarantaine.
Un avis que semble partager Nivine, 25 ans, qui dirige sa petite entreprise de traiteur et d’organisatrice de mariages. « Qu’est-ce que voter après tout ? Choisir ceux qui vont défendre nos intérêts et se pencher sur nos problèmes. Mes fils sont au chômage et le secteur dans lequel je travaille est en arrêt depuis des mois. Est-ce qu’une main charitable s’est tendue vers moi ? Pas du tout ! Ces élections doivent être annulées car leur budget pourrait être utile en termes d’aide sociale », s’indigne-t-elle presque en pleurs.
Désintérêt de la vie politique, méconnaissance des institutions, des enjeux : les jeunes rencontrés par Le Point ne sont pas les seuls. « Je vote depuis que j’ai le droit de le faire. Aujourd’hui, j’ai 58 ans et j’ai totalement perdu le peu de confiance qui me restait dans les politiciens du pays », nous confie Mahfoudh, un quinquagénaire.
*Les partis devront tirer leur épingle du jeu
Et pourtant, sur le terrain, les candidats battent campagne, et ce, malgré le contexte sanitaire particulier. Des chiffres relatifs aux candidatures ont été rendus publics par le ministère de l’Intérieur. Officiellement, 1 704 listes comprenant 6 815 candidatures ont été reçues, soit une moyenne nationale de plus de 17 candidatures pour chaque siège parlementaire.
Elles se répartissent sur 5 046 candidates et candidats pour les listes locales et 1 769 candidates et candidats pour les listes régionales.
En termes de répartition par genre, l’Intérieur note que les candidatures féminines enregistrées pour l’élection des membres de la Chambre des représentants, s’élèvent à 2 329 au total, soit 34,17 % du nombre total de candidatures, avant d’ajouter que 97 listes de candidatures soumises pour les circonscriptions électorales locales sont dirigées par des candidates en qualité de mandataires de listes.
Dans le même sillage, et concernant le profil professionnel des prétendants, on apprend que 225 candidates et candidats sont des parlementaires exerçant actuellement leurs fonctions, dont 206 député(e)s et 19 conseiller(e)s. En nombre de candidatures, le RNI est en tête avec 25 492 candidats, soit 16,18 %.
Il est suivi par le PAM (21 187 candidats, 13,45 %), l’Istiqlal (19 845 candidats, 12,59 %), l’USFP (8,22 %), le PPS (7,76 %), l’UC (5,53 %) et le PJD (8 681 candidats, soit 5,51 %). Quant aux candidats sans affiliation politique, les indépendants, leur nombre ne dépasse pas 1 002 candidats, précise-t-on.
Le département d’Abdelouafi Laftit informe aussi que le PJD, le PAM, l’Istiqlal et le RNI ont déposé, chacun, 92 listes avec 305 candidatures pour les circonscriptions locales et 12 listes avec 90 candidatures pour les circonscriptions régionales.
*L’avenir des islamistes au pouvoir en jeu
Pour ce qui est des programmes électoraux de chaque parti, le PJD qui joue son maintien au pouvoir, son programme électoral s’articule dans un document de 86 pages, en arabe, non traduit en d’autres langues. Pour le slogan de sa campagne, le PJD prône « crédibilité, démocratie et développement ». Sur le plan économique et dans un contexte de crise, le parti de la Lampe promet une croissance moyenne de 4,5 % par an. Il promet également de ramener le déficit budgétaire à moins de 4 % et l’endettement du Trésor, à moins 70 %. En termes d’emploi, l’objectif est d’atteindre 160 000 créations d’emploi par an et un taux de chômage de moins de 9 %. « Très, très, très ambitieux programme ! » commente avec ironie un politologue marocain du PAM, ayant requis l’anonymat.
Le Parti Authenticité et Modernité, dit le parti du Tracteur, a fait ses calculs et promet un taux de croissance de 6 %, et annuellement 175 000 nouvelles opportunités d’emplois. Ces engagements font partie d’une myriade d’autres promesses : l’accès pour tous à une école publique forte, une meilleure accessibilité des citoyens aux soins, l’accès pour tous à un logement décent ainsi qu’un soutien à l’épanouissement de la jeunesse marocaine, etc. « C’est faisable, mais il vous faudra toute une vie », commente à son tour avec sarcasme Ridwan, tête de liste Istiqlali.
Justement, l’Istiqlal, parti de la Balance, a fait une déclaration de taille : il promet de sortir 1 million de Marocains de la pauvreté. Aussi, dans l’une de ses allocutions, le secrétaire général du parti, Nizar Baraka, a plaidé pour le soutien de la jeunesse, en s’engageant à leur faciliter l’accès au marché de l’emploi et à l’entrepreneuriat. Idem pour leur participation à la gestion des affaires publiques. Autre engagement purement social : une prise en charge complète de l’hospitalisation des enfants de 5 ans et moins, des personnes âgées et des personnes en situation de handicap.
*Le RNI, en embuscade
Lorsqu’on parle au Maroc du RNI, les visages semblent plus sérieux. C’est premièrement l’un des partis historiques du royaume. Créé en 1978 par des personnes sans appartenance politique dites à l’époque « indépendantes ». Deuxièmement, le parti a été présidé par Ahmed Osman, ancien Premier ministre et beau-frère de feu Hassan II, père de l’actuel roi Mohammed VI. Il est de ce fait appelé depuis bien longtemps le « parti administratif ».
Mais, avec le temps, le RNI a su effacer cette étiquette handicapante. Le parti a d’ailleurs participé au gouvernement d’alternance en 1998 et continue d’occuper des postes ministériels au sein de l’actuel gouvernement. Son président Aziz Akhenouch est d’ailleurs l’actuel ministre de l’Agriculture, un ministère qui compte tout autant que celui de l’Intérieur ou de l’Éducation nationale ou encore celui des Affaires islamiques. Rappelons que le secteur de l’agriculture génère 14 % du PIB et assure 38 % des emplois au Maroc.
De plus, ce parti centre droit de la Colombe, compte à lui seul sept portefeuilles ministériels. « Aziz Akhenouch est en campagne électorale depuis son arrivée à la tête du parti en 2016, nous explique un sympathisant et membre du RNI. Il a toujours fait en sorte de faire des promesses qu’il sait pouvoir honorer. En tenant toujours parole, il a pu tisser un grand réseau autour de son parti. Rien qu’en 2015 aux élections locales, il a pu mobiliser près de 900 000 électeurs ! Aujourd’hui, Akhenouch a énormément de sympathisants qui sont de jeunes entrepreneurs, mais il a aussi des fans dans le monde rural grâce au plan Maroc vert de son ministère qui a permis à plusieurs familles de sortir de l’ornière et de lancer leur business », explique un analyste à l’intérieur du parti.
Pour la plupart des observateurs, le RNI va faire des ravages lors de ces élections puisque, en plus de son programme qui parle à la majorité des Marocains, le parti travaille sur la récupération des sympathisants déçus des autres partis politiques. Pour ce qui est du programme du parti de la Colombe, « il semble sérieux, réaliste et alléchant… en tout cas pas aussi rêveur que celui des autres partis », nous révèle une tête de liste du RNI.
Aziz Akhenouch promet avant tout la création d’un million de postes d’emploi. Depuis son lancement, le plan Maroc vert a généré à lui seul 300 000 emplois. Le RNI a aussi prévu une carte de soins pour tous les Marocains, une pension mensuelle viagère de 1 000 DH pour tous les Marocains âgés de 65 ans en plus d’une allocation sociale de 300 dirhams marocains par mois pour chaque enfant scolarisé, limitée à trois enfants. Le RNI compte aussi relever le salaire de démarrage des enseignants du primaire à 7 500 DH. « Un programme électoral en totale rupture avec le discours des partis populistes qui a prédominé tout au long des élections précédentes. », conclut et fait remarquer un ex-PJDiste reconverti au RNI.
(Le Point)