Les méandres de la Medjerda


Par Alix Martin

Le matin du 9 Avril, les sociétaires de l’A.T.M.O.P.A. : décorés de l’Ordre des palmes académiques, se rassemblaient pour prendre un minibus. Au fait, qui se souvient parmi nos « jeunes », des manifestations sanglantes du 9 avril 1938, qui devraient conduire à l’Indépendance ? Pourquoi nos élites actuelles ne célèbrent-elles pas davantage cet anniversaire ? Nous sommes donc partis pour une longue promenade.

 

Testour

Chemin faisant, les blés bien verts, déjà hauts dans les champs émaillés de fleurs printanières promettaient d’abondantes récoltes. Au bout de l’autoroute, Sloughia, l’antique Chidibbia romaine, accrochée à la pente, offrait ses maisons blanches et, sa petite mosquée dont la décoration extérieure originale du minaret servit de modèle à bien d’autres sanctuaires célèbres dont la Mosquée de la Kasbah à Tunis. Les collines voisines exposent des techniques culturales : près et forêts au sommet, oliveraies soignées sur les versants, céréales au bas des pentes, légumes et arbres fruitiers au bord de l’eau, qui sont strictement identiques aux prescriptions de Magon, l’agronome carthaginois. Les « Andalous », installés là, les auraient-ils ramenées intactes, du lointain « royaume » espagnol d’Hamilcar Barca ?

La crête nue et découpée du Jebel Akrat, au pied duquel s’étendent l’énorme barrage de Sidi Salem et son lac de retenue, annonce La Medjerda et Testour.

Le plan de la ville, construite sur l’emplacement de l’antique Tichilla, semble avoir été conçu en une seule fois avec ses trois grandes avenues parallèles au fleuve, recoupées par de petites rues perpendiculaires. Après l’arrêt sur la place, embaumée par les fleurs des bigaradiers, le tour de la Grande Mosquée, bâtie par les Andalous chassés d’Espagne, est toujours l’occasion d’admirer l’adaptation locale du style mudéjar. Le niveau inférieur du minaret, de section carrée, est construit suivant un procédé classique à Tolède : des chaînages de coin en briques encadrent des pans de moellons. Les visiteurs ont suivi avec plaisir les explications du Président de l’Association de Sauvegarde de la Médina et ont organisé une collecte pour participer à la restauration en cours de cette mosquée.

Puis, nous avons découvert le Centre Cordoue d’éducation spécialisée et de réhabilitation des personnes avec handicap auditif et mental, élégant, bien décoré et soigné, où un délicieux « petit » déjeuner nous a retenu très – trop ! – longuement. Pour cause : lait, miel, huile vierge, tabouna chaude, café accompagnaient « gouta », fromage blanc et « réfissa ». Nous nous sommes promis de tenter de faciliter la commercialisation des produits artisanaux fabriqués par les pensionnaires. Après un coup d’œil désappointé à la zaouïa de Sidi Naceur El Garouachi dont nous connaissons tout l’intérêt et le charme, nous avons regretté que les toitures des salles attenantes ne soient pas restaurées d’urgence !

Dépassées les collines qui cernent Aïn Tounga / Thignica dont la grande forteresse byzantine et les vestiges d’un magnifique nymphée avaient, à eux seuls, engendré un long arrêt précédemment. L’approche des falaises cernant le Jebel Goraa et la descente en zigzags vers Thibar en ont préparé la visite.

Thibar

Le directeur et le maître de chaix de l’immense établissement agricole de Thibar nous ont reçus et accompagnés très aimablement. Ils ont répondu aux nombreuses questions que suscitaient la création et le fonctionnement de cette ferme, créée et gérée d’abord par les Pères Blancs puis par les autorités tunisiennes. L’agencement de la cour centrale, dominée par son ancien clocher au sommet duquel logent des cigognes et littéralement « illuminée » par un arbre couvert d’innombrables fleurettes rose indien, conserve le souvenir d’un calme monacal.

« Le jardin du couvent », parsemé des vestiges de l’antique site romain de Thibari, abrite encore certaines plantes telles que des framboisiers dont on aurait dû développer la culture depuis longtemps. Puis, la découverte du lycée sectoriel de formation professionnelle agricole a surpris tous les visiteurs. A proximité de l’établissement agricole mais masqué par les arbres, ce très beau bâtiment trône sur une éminence. On y a été longuement reçus et guidés par le directeur qui avait déserté la table familiale, et festive : un 9 avril !

Essayez d’imaginer, en pleine campagne, un grand bâtiment blanc, en forme de « H » dont le rez-de-chaussée précédé d’un préau aux arcades « mauresques » ocre, ouvert sur une immense cour gravillonnée et compartimentée par des parterres arborés et fleuris. Construit aussi par les Pères Blancs puis abritant un hôpital militaire à partir du printemps 43 et redevenu établissement d’enseignement, il est aussi beau à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il est spécialisé dans l’enseignement des techniques modernes des élevages bovin et ovin, dans une moindre mesure. Nous avons regretté, avec les cadres enseignants présents, qu’un tel établissement, capable de recevoir plus d’une centaine d’élèves, n’abrite actuellement que quelques dizaines de jeunes gens et de jeunes filles auxquelles se joignent parfois, pour un complément de formation, par modules, des groupes d’agriculteurs.

A l’heure où l’indépendance alimentaire est une stratégie économique, il est, pour le moins, surprenant d’apprendre que les « jeunes » n’apprécient guère la formation agricole au moment où un agriculteur est un « chef d’entreprise » au sens propre du terme ! Et enfin, tardivement, nous sommes « montés » vers Jebba.

JEBBA

« Ventre affamé n’a pas d’oreille » dit-on ! La petite route en lacet qui mène à Jebba, l’antique Thigiba bure n’a guère retenu l’attention des visiteurs à qui nous avons pourtant indiqué que ces grands bâtiments abandonnés étaient les vestiges d’une mine accrochée à un synclinal perché en calcaire nummulitique.

Mais le somptueux, délicieux et très copieux couscous, accompagné d’un « raïeb » frais, servis à l’entrée du bourg, à l’extrême bord d’un replat dominant la vallée, laissera un souvenir impérissable. Quel repas ! Quelle viande d’agneau ! Quels légumes savoureux ! Quel panorama : du Jebel Hairech dominant, à l’Ouest, Jendouba jusqu’aux collines à l’Est de Thibar en passant par la chaine du mont Bou Goutrane, premiers contreforts de la Khroumirie, les méandres de la Medjerda serpentaient à nos pieds. Le vert des céréales « lavaient » les fonds de la vallée tandis que les fleurettes blanches des « zaarour », les cognaciers en fleurs et les figuiers déjà couverts de « boulettes » prometteuses bien que, encore dépourvus de feuilles, escaladaient les pentes.

Et enfin, l’heure avançant mais hélas, le soleil encore chaud et le couscous n’aidant pas, nous sommes allés vers les falaises ocre du Jebel. L’ombre de la grotte et une grande cascade alimentée par les dernières pluies, ont ragaillardi les marcheurs dont la file s’était étirée tout le long des escaliers d’accès.

Certains « courageux » ont emprunté l’antique sentier, réservé au bétail ou aux fuyards en cas d’attaque pour arriver jusque sur le haut des falaises. Ils y ont dérangé un couple de petits faucons crécerelles qui ont profité des courants d’air chauds ascendants pour effectuer des vols stationnaires en « Saint Esprit », à petits coups d’ailes rapides et très fréquents. Au retour dans le car, la fatigue et la mélancolie d’un bel après-midi qui se referme sur un éventail de souvenirs pendant que le soleil rougissant décline sur les monts de l’Ouest, déjà nimbés de brume légère, ont engendré une délicate ambiance silencieuse.

Nous nous sommes quittés en nous promettant : « A la prochaine », en félicitant l’organisateur de la « journée » !

 

A.M.

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