Les médias dans le collimateur

La condamnation de notre confrère Nizar Bahloul à quatre mois de prison ferme pour son édito publié sur le portail Businessnews, il y a de cela presque un an et demi, donne le signal de départ à une campagne de dénigrement bien orchestrée contre le secteur des médias. Le pire est que notre confrère n’a pas reçu de convocation pour assister à l’audience et que c’est un verdict par contumace qui a été prononcé à son encontre. Heureusement qu’un confrère l’en a averti, sinon il aurait pu être arrêté comme un bandit ou un criminel !

Il va sans dire que la liberté d’expression peut paraître aujourd’hui comme le seul acquis incontestable après la Révolution du 14 janvier. Un acquis considérable qui s’est réalisé, ou presque. Toutefois, le prix à payer pour recouvrer cette liberté, tant souhaitée, semble être très cher. «L’affaire» Nizar Bahloul, fondateur du site Businessnews, premier portail en ligne en Tunisie, représente un épisode dans un long feuilleton d’intimidation et de harcèlement. On se rappelle d’ailleurs la guerre sans merci, menée par Lotfi Zitoun, conseiller politique du gouvernement contre Nizar Bahloul à la suite de la diffusion par businessnews d’informations indiquant que l’enfant chéri de Rached Ghannouchi était propriétaire de la chaîne télévisée Zitouna. La réaction de M. Zitoun a été spectaculaire et ne s’est pas fait attendre puisqu’il a appelé “les jeunes de la Révolution” à “semer la peur chez ces corrompus” (NDLR les médias).

Les responsables qui nous gouvernent sont, hélas, fidèles à l’ancien réflexe de diabolisation des journalistes. Les tentatives de confisquer la liberté ne manquent certes pas et ils ne s’épargnent pas un effort pour mettre le domaine des médias sous tutelle afin d’en faire un secteur muselé et soumis. Ce gouvernement, animé par un sentiment très profond de persécution et qui se vit toujours comme la cible privilégiée de la critique, ne veut plus d’une presse libre et émancipée. Bien au contraire, il veut faire des journalistes, des agents dociles et des porte-parole prenant fait et cause pour leurs positions.

Cette hostilité du régime en place à l’égard de la presse est manifeste. Les responsables du pays ne cachent pas leur gêne vis-à-vis des “médias qui les ont empêchés de réaliser les objectifs de la Révolution”, selon les dires du leader d’Ennahdha, Rached Ghannouchi.

Lutter contre le quatrième pouvoir est donc, désormais, un défi majeur à entreprendre et juguler les médias fait partie de toute une stratégie visant à reproduire une nouvelle dictature idéologique ne supportant pas la différence.

Faut-il signaler aussi que l’apparition et le développement d’un genre journalistique toujours marginalisé et délaissé par nos médias, en l’occurrence le journalisme d’investigation, commencent à gêner en Tunisie ? L’investigation journalistique, qui permet de découvrir la vérité et de mettre à nu toutes les pratiques illicites qui nuisent à l’intérêt général, est perçue d’un mauvais œil par nos gouvernants qui préfèrent travailler dans le flou total et cultiver l’ambiguïté. La preuve en est que la blogueuse Olfa Riahi, qui a mis en cause la probité du ministre des Affaires étrangères, Rafik Abdessalem, risque de payer cher son courage et son audace, elle, qui a été à l’origine de cette affaire, rebaptisée “Sheratongate”, est frappée par une interdiction de quitter le territoire.

Dans le même registre, la convocation de notre confrère Saber Mekacher devant le juge d’instruction du tribunal de première instance de Tunis à la suite de la publication d’informations en relation avec l’affaire Fathi Dammak représente une nouvelle atteinte à la liberté de la presse.

La volonté des jeunes journalistes d’exercer ce genre journalistique “nouveau” risque d’être contrecarrée par cette campagne acharnée menée tambour battant.

Le métier est encore une fois sur la sellette. Les médias sont dans le collimateur. Il faut reconnaître que la relation entre les deux “pouvoirs” reste toujours conflictuelle et c’est la nature des choses. La différence idéologique et l’esprit critique ne justifient en aucun cas cet acharnement.

 

Par Mohamed Ali Ben Sghaïer

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