De la prostitution en milieu estudiantin
En septembre, des bachelières encore heureuses de leur succès, arrivent en nombre dans les grandes villes pour entamer l’année universitaire. Issues de petits villages, certaines d’entre elles arrivent sur la terre promise avec seulement quelques dinars en poche. Elles réalisent un rêve qui les habite depuis leur plus tendre enfance.
Sonia, 25 ans est arrivée dans la capitale il y a cinq ans pour finir ses études. Son bac, elle l’a obtenu dans un petit village aux environs de Béja et elle est venue à Tunis pour étudier l’informatique. Sa première année de vie estudiantine était un vrai calvaire. Issue d’une famille très modeste, Sonia est arrivée à Tunis avec tout juste de quoi payer le foyer universitaire et son père lui envoyait 40 dinars par mois. «Il m’était impossible de vivre avec cette somme, je me débrouillais, je ne payais jamais les transports publics »
Un parcours semé d’embûches pour Sonia qui ne voulait pas décevoir sa famille et appréhendait le regard de ses voisins, qui étaient impressionnés par cette brillante élève. Il fallait selon elle trouver une solution pour survivre, réussir, travailler, rentrer au village bien habillée. C’était sa plus grande ambition, mais il est difficile de trouver du travail en parallèle avec ses études. Sonia a donc commencé à fréquenter des hommes mariés. Le premier était banquier, il travaillait à l’agence tout près du foyer.
Survivre grâce à ses charmes
«On allait environ une fois par semaine dans un appartement qu’il louait à la journée à Ennasr, quand il pouvait trouver un moment libre. Il disait à sa femme qu’il allait prendre un café avec des amis. On faisait l’amour et il me donnait à chaque fois entre vingt et trente dinars. Il me payait aussi le taxi pour rentrer. Puis j’ai fait ça avec des amis à lui dans des appartements à Lafayette, loués à la journée. Ça m’a permis d’avoir plus d’argent, de pouvoir m’habiller, sortir, manger à ma faim…. Par contre, la vie au foyer commençait à me déranger. Il y avait des heures fixes pour rentrer et le regard du gardien était pesant, quand il ne faisait pas d’allusions plus ou moins claires. C’était presque du harcèlement… »
Sonia a donc choisi la colocation avec trois autres étudiantes. Chacune d’entre elle payait cent dinars par mois, un argent qu’elle arrivait à trouver grâce à ses ébats devenus de plus en plus réguliers. Sonia s’est fait inviter à plusieurs reprises par une bande d’hommes qui voulaient aller faire la fête dans un restaurant chic de la banlieue nord. Un restaurant où les rencontres « sexuelles » ne sont pas rares. C’est en effet dans l’une de ces soirées que Sonia a rencontré « J ».
Ce tunisien qui vit entre Paris et Tunis est tombé sous le charme de Sonia.
Homme d’affaires, il vient en moyenne tous les deux mois et passe tout l’été en Tunisie. Il a commencé par l’inviter dans l’appartement qu’il loue à la Marsa. Puis, petit à petit, « J » a proposé à Sonia de vivre dans cet appartement en échange de faveurs sexuelles quand il rentre au bercail, loin des yeux de son épouse, restée en France. « J » envoie à Sonia chaque mois l’équivalent de trois cent dinars en espèces et plein de petits cadeaux. Mais cela ne suffit pas à Sonia, qui nous a confié qu’elle avait un amant de son âge qu’elle reçoit dans cet appartement quand « J » était à Paris et qui participe à ses dépenses…
« Mes parents ne se doutent de rien, je leur ai dit que je travaillais le soir dans un centre d’appel d’où les cadeaux que j’apporte à toute la famille chaque fois que je rentre chez moi ».
Selon le sociologue Larbi Béchir, le cas de Sonia n’est pas un cas isolé. Bon nombre d’étudiantes issues de villages se prostituent quand elles arrivent dans de grandes villes. Et contrairement aux idées reçues, les causes ne sont pas toujours matérielles.
« En effet, le manque de moyens peut justifier que ces filles s’adonnent à ces pratiques. Il ne faut pas oublier qu’elles subissent à leur arrivée un choc culturel. Ce sont toutes leurs traditions, leur éducation, leurs normes et modes de vie qui s’en trouvent bouleversés. Dans certains villages, une fille ne peut même pas se permettre de sortir seule, de parler à un camarade de classe, d’avoir des amis garçons. En arrivant dans les grandes villes, les relations libérées entre filles et garçons qu’elles découvrent, provoquent en elle un déséquilibre psychologique important. Elles n’ont plus de limites. Toutes les barrières tombent. C’est souvent aussi le résultat de grandes frustrations. D’autres enfin le font aussi pour s’intégrer, pour gravir l’échelle sociale, s’habiller « comme à la télé » ou comme leurs camarades riches, acheter du maquillage de marque, être à la mode... »
Pour quelques dinars de Light
Les nouvelles technologies, que même leurs créateurs n’ont pas prévus les nouveaux usages, favorisent d’autres formes de prostitution. Sur les réseaux sociaux, il y a celles qui ajoutent les hommes d’un certain âge, qui semblent avoir une bonne situation. Elles sont jeunes et proposent des discussions chaudes tarifées. Une photo de leurs parties intimes ou même une rencontre chaude sur skype … Des tarifs qui vont de 3 jusqu’à 10 ou 15 dinars pour les grandes professionnelles. Cela dépend de ce que souhaite leur client.
Comment les payer ? C’est simple, elles vous offrent leurs services pour une carte téléphonique, contre quelques « dinars light » sur leur téléphone.
« Bar restaurant : une fille en sus »
Un certain bar restaurant de la banlieue nord, de renommée internationale, est le lieu culte de rencontres entre celles que l’on surnomme « les poules de luxe » et les clients aux « bourses bien remplis ». C’est le lieu même de la luxure, cigare, homard, maquillage, tout est exagéré, tout est sciemment ostentatoire.
C’est le week-end que les affaires sont au beau fixe. Seins généralement refaits, décolletés alléchants, lèvres pulpeuses … tout pour satisfaire leur clients.
Entre les couples, les jeunes, les bandes d’amis venus prendre un verre, les prostitués et les clients n’ont aucun mal à se reconnaître. Skander, 75 ans, trouve son compte dans ce genre d’endroits. « Ici, plus qu’ailleurs, on respecte les femmes avec qui on fait l’amour. Ce n’est pas « un bordel », même si l’on paye ces femmes pour du sexe. On commence par leur payer un verre, on parle, on rit … et le reste vient ensuite. Ce n’est pas purement commercial ou bestial … je parle de la façon d’aborder les femmes bien sûr » ajoute t-il avec une quelque ironie.
Une soirée arrosée et quelques heures de sexe coûtent à Skander pas moins de deux cents dinars. Il revient à la charge deux fois par semaine environ. Et quand on lui demande si ce n’est pas trop cher payé, il dit que ces plaisirs n’ont pas de prix.
« La prostitution d’appartement »
Il s’agit de la location d’appartement à la journée. Une spécialité que l’on attribue au quartier Ennasr. Un quartier « bipolaire » presque « schizophrène » selon certains. Il accueille les « riches », les hommes d’affaires, des cafés et salons de thé de luxe, des écoles et lycées bien réputés mais aussi la prostitution, la drogue…
Ces locations connaissent un essor dans d’autres quartiers et dans d’autres villes. Certains propriétaires remettent les clés au gardien et louent leur logement à la journée. Des lieux où hommes mariés mais aussi beaucoup d’étrangers venant d’un pays maghrébin, viennent passer des heures de plaisir avec des prostituées. Mahmoud, gardien, nous confie parmi d’autres témoins, que des choses bien étranges se passent ici. Ménage à trois, et bien d’autres « fantaisies ». Les appartements sont loués autour de 60 à 80 dinars. Des tarifs qui augmentent l’été et le week-end où la demande devient très forte. Une formule qui existe aussi dans d’autres villes comme Nabeul ou encore Hammamet … « c’est la formule idéale pour certains hommes mariés car il y a moins de risque qu’on les voit ou reconnaissent ici » nous confie Mouldi gardien d’un ancien hôtel devenu une résidence où certains bungalows sont loués à la journée. Au final, gardiens, propriétaires et clients trouvent leurs comptes.
« Le gardien et les 40 femmes de ménage »
A quelques kilomètres de la résidence gardée par Mouldi, un hôtel, l’un des plus connus de la ville de Nabeul. Si les affaires ne marchent pas fort, le personnel, lui, a développé un commerce parallèle. Un cercle bien fermé, entre eux … La prostitution des femmes de ménage. Qui sont leurs clients ? Le gardien, le peintre en bâtiment, le barman… « Pour 10 ou 15 dinars, je choisis celle que je veux » surenchérit Ezzedine, gardien dans cet hôtel.
Les femmes de ménage payées entre 280 et 400 dinars à l’hôtel selon leur statut et ancienneté, nourries à l’hôtel, arrivent à arrondir leur fin de mois en faisant quelques … minutes supplémentaires.
« La fin des maisons closes ? »
Touchées par la mondialisation, les films pornos à profusion, les rencontres en ligne, le sexe à portée de main, est-ce la fin des maisons closes, les célibataires qui faisaient la queue à Abdallah Guech, les maçons qui finissent leurs journées dans les bras de ces vendeuses de charme ? Les petits écoliers indiscrets qui passaient par là, il y a 30 ans, se faisaient gronder par la patronne. « On avait au plus 13 ans à l’époque, on était curieux, on passait par là à l’heure du déjeuner, entre 12h00 et 14h00, pour voir les “ putes ” c’était pour nous un jeu… On nous chassait. On se sauvait. Un jour la patronne a piqué le cartable de l’un d’entre nous qui ne courrait pas assez vite. On avait cours l’après midi. Elle lui a dit ramène ton papa si tu veux récupérer ton cartable. On l’a longtemps supplié pour qu’elle le lui rende. Je n’oublierai jamais ce jour là ».
Le plus vieux métier du monde est le seul secteur qui n’a jamais été touché par la crise économique et pourtant notre Révolution a réussi à ébranler ses fondements et certaines prostituées se sont retrouvées au chômage ! Elles sont donc venues manifester le 11 mars 2014 devant le siège de l’ANC, revendiquant leur droit à exercer leur métier dignement.
C’est à Sousse que peu après la Révolution que la maison close locale a fermé ses portes sous la pression de groupes intégristes. Les prostituées de Sousse, mères de famille pour la plupart, sont donc venues manifester devant le siège de l’ANC. Et contre toute attente, c’est Meherzia Laâbidi, vice-présidente de l’ANC qui les a accueillies et écoutées.
A ce propos, Meherzia Laâbidi nous a déclaré : « moi en tant que politicienne, je dois recevoir tous les citoyens quelles que soient leurs tendances, leurs idées ou leurs pratiques. Elles représentent 120 femmes devenues chômeuses alors qu’elles ont des familles à nourrir. J’ai surtout cherché à les intégrer socialement et un homme d’affaires s’est dit prêt à embaucher certaines d’entre elles. » Meherzia Laâbidi n’encourage pas la réouverture de la maison close de Souse, elle cherche plutôt des solutions contre la violence faite aux femmes et la commercialisation du corps féminin. Ce à quoi notre sociologue répond :
« Les prostituées qui demandent leurs droits est un phénomène international. Il faut dire qu’elles ont perdu une certaine clientèle, à cause notamment de la prolifération des sites de rencontres. Les maisons closes sont une nécessité, sinon, nous nous retrouverons face à des situations complexes avec plus de violences faites aux femmes. Il faut laisser ces maisons closes, mais elles doivent être mieux organisées, discrètes et surveillées médicalement. Et je dirais que même les extrémistes religieux ont besoin d’une vie sexuelle… C’est humain ! Mme Mehrezia Laabidi ne résout absolument pas le problème si elle dit qu’elle est contre la réouverture de ces maisons closes ».
Et si elles viendraient toutes à fermer, qu’adviendra t-il de nos éternels puceaux ?
Yasmine Hajri