Le numéro de mars 2017 de la revue Beaux-arts a consacré un dossier aux nouveaux musées dans le monde. Un dossier d’un grand intérêt qui montre le développement rapide ces dernières années des musées d’art dans les différents pays du monde. Ce dossier a présenté près d’une vingtaine de nouveaux. On peut citer le Lafayette Anticipation en France, le Centre Botin à Santander en Espagne, le Museum of the second world war de Gdansk en Pologne, le Musée Yves Saint-Laurent à Marrakech au Maroc, le King Abdulaziz centre for world culture à Dahran en Arabie Saoudite, le Louvre de Abu Dhabi, le Museum of modern and comtemporary art de Jakarta en Indonésie, le Rose Museum de Pékin en Chine ou le Museo internationcional del barroco à Pubela au Mexique. Et, même si les Etats-Unis ont le plus grand nombre de musées dans le monde, l’effort de construction de nouveaux musées et centres d’art contemporain ne faiblit pas. Ainsi, ce numéro signale la construction du nouveau Institute of contemporary art de Los Angeles, l’Institute of contemporary art de Miami, The Bass museum of art dans la même ville de Miami et l’extension du San Francisco Museum of modern art.
Ces villes ont cherché à attirer les plus grands architectes pour construire leurs musées afin d’en faire des monuments et des œuvres architecturales de grande ampleur qui attirent les touristes non seulement par la qualité des collections qu’ils détiennent ou des expositions qu’ils organisent, mais aussi par la nouveauté architecturale de leurs bâtiments. Parmi ces architectes, on peut citer Renzo Piano pour le Centro Botin à Santander en Espagne ou Jean Nouvel pour le Louvre de Abu Dhabi.
Parallèlement à la présentation de ces nouvelles œuvres d’une grande qualité architecturale, le numéro de Beaux-arts met l’accent sur le développement rapide des musées lors des dernières années au niveau international. Ainsi, les statistiques indiquent que le nombre de musées dans le monde s’est multiplié par deux en moins de vingt ans passant de 23 000 musées au début des années 1990 à près de 55 000 aujourd’hui. Les Etats-Unis restent le pays qui dispose du plus grand nombre de musées avec près de 17 500 musées pour la plupart appuyés par les fondations privées et les grandes entreprises industrielles. En Europe, c’est la France qui tient le haut du pavé avec près de 1 200 musées disposant d’un appui public, et le même nombre appuyé par les fondations privées et les grandes entreprises privées ainsi que les mécènes.
Mais, la tendance la plus importante révélée par ce dossier est relative au rôle joué par les pays émergents et à leur contribution majeure dans l’accroissement du nombre de musées dans le monde. En effet, qu’il s’agisse des pays du Golfe, d’Asie, d’Amérique-latine et à un moindre degré en Afrique, les pays émergents ont contribué à la dynamique culturelle que connaît le monde depuis deux décennies avec l’accélération du développement économique et de la croissance dans ces pays qui s’est aussi traduite par un engagement plus actif dans le domaine des arts et de la culture.
Et, comme dans beaucoup d’autres domaines, la Chine joue un rôle déterminant dans la dynamique des émergents dans le domaine artistique et détient la palme d’or du nombre de musées construits ces dernières années. Ainsi, le nombre de musées dans ce pays est passé de 1371 à 2571 entre 2000 et 2011. D’autres statistiques montrent que pas moins de 300 musées sont construits par an en Chine depuis le tournant du siècle et le nombre de musées atteindra les 4000 à la fin de cette année. Cette dynamique artistique est le résultat d’investissements massifs de la part de l’Etat qui a atteint, selon certaines estimations, près de 8 milliards de $ entre 2008 et 2010. La Chine n’est pas le seul pays émergent qui a joué un rôle essentiel dans le développement artistiques ces dernières années et dans la construction de musées. D’autres pays ont également joué un rôle dans ce domaine dont les Emirats arabes unis, l’Indonésie et le Mexique.
Cette dynamique a donné une impulsion aux flux touristiques et a été à l’origine d’un développement rapide d’un nouveau type de tourisme orienté vers les musées et les grandes expositions internationales. Certaines études notent la multiplication des flux touristiques dans ce domaine ainsi que ces perspectives positives lors des prochaines années.
Mais, l’intérêt de cette nouvelle dynamique et le développement des musées et des activités artistiques ne se limitent pas au développement du tourisme qui les accompagnent aussi important soit-il. En effet, la construction des musées et leur multiplication ont un rôle politique et idéologique dans la mesure où ils participent largement à la construction du récit national et à la consolidation de l’identité nationale. En effet, depuis la construction du premier musée national, le British Museum, au 18e siècle en Grande-Bretagne, les musées ont commencé à avoir un rôle politique et stratégique de grande importance. Avec les œuvres qu’ils exposent, les musées contribuent dans la construction de l’identité nationale et d’un récit national qui dépasse les spécificités régionales, religieuses ou ethniques pour inscrire la dynamique politique et sociale dans un vivre ensemble national.
Mais, en dépit de l’importance des musées dans la construction du récit national et d’un vivre en commun, notre politique dans ce domaine reste des plus classiques et se limite à l’exposition des œuvres et des monuments hérités d’une histoire riche par les rencontres et les croisements que notre pays a connus. Cette politique n’a pas réussi à dépasser cette conception pour faire des musées un fondement essentiel dans la construction de notre identité et dans l’analyse de la spécificité de notre rapport à l’Autre et au religieux. La plus importante contribution à ce propos lors des derniers mois a été la grande exposition « L’éveil d’une nation » qui a réussi à ressortir les fondements de notre expérience historique en mettant l’accent sur le réformisme et l’ouverture de nos élites politiques sur la modernité et l’universel.
Mais, cette exposition a fermé ses portes pour nous ramener à la pauvreté de nos musées. Cela nous amène à exiger un changement radical de nos priorités et de nos choix politiques dans ce domaine afin de faire de nos musées un lieu de construction et d’affirmation de notre vive en commun, particulièrement dans ce contexte de grande incertitude, marqué par l’émergence de courants djihadistes qui cherchent à nier cet héritage. Et, ceci ne peut se faire qu’à travers une grande alliance entre les efforts publics dans le cadre de la politique culturelle de l’Etat et les mécènes privés.