L’évènement est passé inaperçu, ou presque. Pourtant il a failli conduire l’économie mondiale à sa ruine. Il s’agit du dixième anniversaire de l’éclatement de la grande crise financière dont les prémices ont commencé durant l’été 2007 lorsque l’agence de notation Moody’s a dégradé les notes de beaucoup de fonds d’investissement spécialisés dans les subprimes. Il s’agit d’un tournant dans l’attitude bienveillante de ces agences durant des années vis-à-vis de ces produits toxiques qui seront à l’origine de l’une des plus graves crises financières dans l’histoire du capitalisme avec celle de 1929. La décision de Moody’s sera le point de départ d’un été meurtrier et d’une année sanglante qui, de faillites en déroutes, nous ont conduits à la faillite de la Lehman Borthers, l’un des joyaux de Wall Street, le 15 septembre 2008.
La fin de la Lehman a été un moment majeur dans l’histoire économique contemporaine car elle a mis à nu les dérives d’une finance débridée et sans régulation où des traders en folie s’en sont donnés à cœur à joie, mettant l’économie mondiale au bord de la faillite. Cette faillite et cette crise financière qui ont terni à jamais le modèle occidental ont été à l’origine de changements majeurs notamment dans le domaine de la régulation bancaire et financière, dans la gouvernance mondiale et dans le rôle de l’Etat. Mais, la faillite de la Lehman a eu aussi des conséquences sur les politiques économiques et la fin de la scaro-sainte règle de la neutralité des politiques économiques qui a prévalu depuis les années 1980 et la contre-révolution libérale contre les politiques keynésiennes. Cette crise a été à l’origine d’une revanche du maître de Cambridge et du retour non seulement du rôle régulateur de l’Etat, mais surtout des politiques budgétaires de relance et des politiques monétaires expansionnistes dont se sont armés tous les gouvernements du monde pour échapper aux risques déflationnistes et sortir des récessions.
La faillite de la Lehman n’est pas le seul évènement qui a influencé les politiques économiques. Quatre autres développements majeurs sont au cœur de l’émergence d’une nouvelle politique économique dont les préceptes et les orientations influencent aujourd’hui les grands choix des gouvernements à travers le monde qui se sont éloignés progressivement du dogmatisme idéologique qui a marqué les choix passés pour s’inscrire dans un pragmatisme dynamique.
Le premier de ces évènements est la chute du mur de Berlin qui a eu des effets majeurs dans les domaines politiques, géostratégiques, sociaux, mais aussi dans le domaine des politiques économiques avec la fin des politiques étatistes et de l’interventionnisme étatique tout azimuts. Car rappelons jusque-là et dans beaucoup de pays, y compris chez nous, le marché était honni et l’Etat et la planification régnaient en maître de l’action publique dans le domaine économique. Or, la faillite de ce modèle a été à l’origine d’un véritable retour au marché, capable d’indiquer la rareté et de favoriser une utilisation plus efficiente des ressources et d’une réhabilitation du secteur privé.
Le printemps arabe constituera un évènement majeur non seulement pour les transitions démocratiques dans les pays arabes et leur rapprochement des idéaux de la modernité politique notamment les Droits de l’Homme, la liberté et la diversité. Mais, il a eu également une influence majeure sur les politiques économiques et a été au centre de transformations majeures dans les institutions en charge du développement. Jusque-là la, stabilité macroéconomique et le respect des grands équilibres étaient au cœur de l’action publique. Il s’agit d’un consensus hérité des deux sœurs de Washington, le FMI et la Banque mondiale, et qui a dominé les politiques économiques. Or, le printemps arabe s’est déroulé dans ce qui était considéré jusque-là comme les bons élèves de leurs choix de politiques économiques. Ces révolutions ont montré que les inégalités et l’exclusion sociale peuvent déstabiliser les économies les plus solides. Et depuis, la thématique de l’inclusion sociale est au centre des nouvelles politiques économiques.
Le quatrième évènement qui a pesé de tout son poids sur les politiques économiques est celui de l’accident nucléaire de Fukushima le 11 mars 2011. Il s’agit d’un accident industriel majeur qui a eu lieu suite au séisme et au tsunami de la côte pacifique du Tohoku. Cet évènement a eu également des effets sur les débats de politique économique et même si les débats sur le développement durable ne sont pas récents sur la scène publique, cet accident a été à l’origine d’une prise de conscience majeure. Désormais, le développement durable est une préoccupation majeure des politiques économiques.
Le dernier évènement que j’ai retenu concerne l’avènement en 2013 de la Chine comme première puissance commerciale mondiale avec un poids total dans les échanges mondiaux de 11% dépassant ainsi les Etats-Unis dont la part est de 10,3%. Certes, la Chine est devenue depuis 2009 le premier exportateur mondial, mais elle va devenir progressivement la nouvelle puissance économique et va rompre l’hégémonie de l’Occident sur l’économie globale. L’avènement de la Chine et des autres pays émergents feront de la transition structurelle et des transformations industrielles des axes majeurs des politiques économiques.
La chute du mur de Berlin, la faillite de la Lehman Brothers, le printemps arabe, l’accident nucléaire de Fukushima et l’avènement de la Chine comme la nouvelle puissance commerciale globale ont été à l’origine de ruptures majeures et de transformations profondes qui ont touché les fondements de notre monde. Ils ont également permis de dessiner les contours de nouvelles politiques économiques qui ont échappé au dogmatisme et à l’idéologie qui les imprégnaient par le passé pour s’inscrire dans un pragmatisme et dans une quête d’un équilibre dynamique entre le marché et l’Etat et qui font de l’inclusion sociale et de la durabilité leurs objectifs ultimes, et de la transformation structurelle, leur outil privilégié pour l’ouverture de nouveaux horizons de développement.