L’inflation dans nos contrées vient de connaître une légère poussée passant de 7,2% en mai à 7,3% en juin dernier, d’après les données de l’INS (Institut national de la statistique) diffusées durant la première semaine de ce mois. Mais si le fléau de l’inflation, ce déséquilibre économique, est devenu banalisé tellement il a été explicité par les experts par médias interposés, il n’en est pas de même pour de nouveaux vocables en rapport étroit tels « Greedflation », « shrinkflation » et « cheapflation ». Qu’en est-il au juste ?
Par Samy Chambeh
«L’inflation est le premier ennemi de la croissance économique parce que c’est aussi le premier ennemi de la confiance »
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Peut-on parler de recrudescence des tensions inflationnistes ? En tout cas, l’INS a relevé en juin dernier une progession du taux de l’inflation à 7,3% contre 7,2% un mois auparavant. Il faut concéder cependant que cet indicateur était, depuis le début de l’année en cours, dans un trend baissier : 7,5% en mars et février, 7,8% en janvier, contre 8,1% en décembre 2023.
Mais indépendemment des causes et des retombées dévastatrices de ce fléau sur les différents agents économiques, il serait intéressant de focaliser sur d’autres facettes de cette hausse généralisée, durable et plus ou moins forte des prix, qu’est l’inflation.
Si ce concept n’est plus ignoré par l’opinion publique tellement il a été au coeur de l’actualité depuis le temps que dure cette importante déferlante inflationniste (voir graphique) à l’instar du vocable « stagflation », association des mots stagnation et inflation, qui désigne une situation économique où une croissance économique faible ou nulle est assortie d’une forte inflation, comme c’est le cas de notre économie tout au long de ces dernières années hormis l’intermède de l’année de la pandémie où notre économie a connu une récession sans précédent de -8,8%, d’autres aspects en rapport avec l’inflation restent, en revanche, encore peu connus.
Autre facteur qui a participé à faire connaître ce phénomène inflationniste – qui gangrène les économies – aux citoyens lambdas, c’est à coup sûr ses conséquences désobligeantes qui ont poussé les ménages, qui restent quoi qu’on dise la frange la plus sensible aux hausses des prix, à s’acclimater tant bien que mal à ce fléau en changeant leurs habitudes de consommation et leurs comportements de dépenses, allant des restrictions d’achat à carrément la privation (renoncement à consommer : viandes rouges, habillement, loisirs, …), en passant par le recours à l’endettement pour essayer de garder le même niveau de vie habituel.
Ainsi, parmi les séquelles inéluctables du choc inflationniste qui a bousculé les habitudes des consommateurs, on relève le choix de produits et services les moins chers, même s’ils sont parfois de qualité moindre, la recherche des promotions et des soldes, l’approvisionnement systématique auprès des souks hebdomadaires et des marchés parallèles ou non réglementés (points de vente sur les réseaux sociaux) jugés moins chers.
Toutefois, le bon côté des choses de ce durcissement des conditions de vie, c’est qu’il a acculé les ménages à adopter, généralement, un comportement plus rationnel dans la gestion de leur budget familial, tout en se démarquant du gaspillage et de la dilapidation des ressources, ceci du côté des consommateurs.
Greedflation, shrinkflation et cheapflation
Pour ce qui est des producteurs maintenant. Rappelons que l’inflation peut engendrer la hausse des coûts de production (progression des cours des matières premières ou demi-produits ou du coût de frêt, …) et occasionner éventuellement une compétitivité moindre des entreprises économiques, ce qui les amène à relever le prix de leurs produits et services, pouvant alimenter la spirale inflationniste.
Pour contourner ce problème de réduction des marges, les entreprises (et/ou distributeurs) adaptent certaines pratiques dont on entend de plus en plus parler, pour maintenir, voire augmenter leur marge de profit et booster leur rentabilité.
A commencer par le phénomène « Greedflation » qui associe le mot inflation à celui de « greed » qui désigne cupidité, en anglais. Cette attitude est attribuée aux producteurs, distributeurs et autres commerçants qui augmentent démesurément leurs prix de vente en prétextant le niveau de l’inflation pour accroître leurs marges, même s’ils n’en ont pas besoin.
En effet, des études de marché récentes menées en France et dans d’autres pays du Vieux continent ont mis à nu des bénéfices colossaux, entre 25% et 50% engrangés par nombre d’enseignes ou de groupes producteurs, distributeurs ou commerciaux sur une très courte période, alors qu’une grande partie des ménages n’arrivent plus à joindre les deux bouts du fait de la dégradation manifeste de leurs pouvoirs d’achat, conséquence du choc inflationniste.De même, le FMI (Fonds monétaire international) a souligné dans un rapport que les profits avaient joué un grand rôle, contribuant à 45% de l’inflation, entre le 1er trimestre 2022 et le 1er trimestre 2023.
D’ailleurs, le malaise de telles pratiques d’augmentation des marges et donc des bénéfices par des hausses de prix souvent injustifiées et au-dessus du taux d’inflation, réside dans le fait que ces progressions ne peuvent qu’entretenir à leur tour la spirale inflationniste et éroder les pouvoir d’achat des consommateurs, particulièrement ceux défavorisés ou les plus vulnérables financièrement.
Autre pratique marketing en vogue : « Shrinkflation », réduflation en français, «shrink», signifiant «rétrécir» en français. Elle consiste à réduire la quantité ou la taille d’un produit, tout en maintenant son prix inchangé, voire en l’augmentant. Objectif : faire passer la pilule de la flambée des étiquettes de manière à masquer l’inflation.
Cette pratique controversée alourdit, d’abord, l’impact de l’inflation sur les ménages, en les pénalisant doublement, en termes de perte d’achat et contrarie, ensuite, les distributeurs et les commerciaux qui se trouvent dans l’embarras, sans pouvoir justifier une telle attitude auprès des organismes de défense des consommateurs.
Nombre de produits ont ainsi vu leur nombre d’articles abaissé, ou leur taille réduite ou encore leur emballage réaménagé, ce qui est de nature à alléger le portefeuille des ménages.
Illustrations : à prix inchangé, une boîte de tomate en conserve d’un kilogramme devient de contenance de 800 grammes seulement, selon l’affichage, des boites de biscuits ou de de chocolat ou de sachets de bonbons avec un nombre réduit en quantité, et autres articles, sans oublier le poids du pain ou de la bouteille de gaz qui ont perdu leurs poids d’origine d’antan (1kg et 500 gr pour le pain et 13 kg et 35 kg pour les bouteilles de gaz).
« Cheapflation », c’est une autre pratique plus récente, « cheap » désignant une qualité moindre ou bon marché, en anglais. On parle de cheapflation quand, en vue de compresser les coûts de production, la composition d’un produit se trouve modifiée, ce qui peut affecter la qualité dudit produit.
En clair, cela consiste à substituer certains ingrédients entrant dans la composition du produit par d’autres moins chers ou à remplacer carrément le produit proposé par une autre variante de qualité moindre. Cette pratique est employée dans une tentative de réduction des coûts, la qualité des produits proposés étant moindre mais avec un prix de vente inchangé ou faiblement majoré. Le danger de cette pratique est en rapport avec le risque de la « malbouffe » qu’elle pourrait véhiculer.
Que peut-on en conclure ?
Pour atténuer, voire mettre un terme à de telles pratiques qui pénalisent et trompent les consommateurs (qui ne s’apperçoivent pas toujours de la supercherie) sur les véritables prix et permettent aux industriels et distributeurs de gagner plein d’argent en dépensant moins, les décideurs sont amenés, et plus que jamais, à renforcer les contrôles à tous les niveaux.
Autre chantier : l’Etat est tenu de peser sur les industriels, sur les grandes surfaces, sur les intermédiaires et autres commerçants afin qu’ils consentent une réduction de leurs marges bénéficiaires en vue de contenir cette fièvre haussière, tout en les incitant à mentionner au public des consommateurs les produits, alimentaires ou non, qui ont vu leur quantité ou qualité diminuer mais pas leur prix, tout en veillant à ce que l’affichage du grammage de l’article ou de la denrée soit mentionné bien en vue sur l’emballage, et pourquoi pas vérifié par qui de droit.