Les nouvelles guerres commerciales et la fin du monde d’hier

La bataille qui oppose l’Administration américaine à l’entreprise chinoise de téléphonie mobile Huawei est aujourd’hui au centre du débat international. Cette bataille a commencé il y a quelques mois lorsque l’Administration américaine a accusé l’entreprise chinoise d’être un agent au service du renseignement chinois et constitue par conséquent une menace pour la sécurité nationale des Etats-Unis et ses alliés dans le monde. L’Administration américaine a demandé à ses entreprises ainsi qu’à ses alliés dans le monde de boycotter l’entreprise chinoise.
Le dernier épisode de cette bataille est arrivé il y a quelques jours lorsque l’entreprise Google a décidé de s’aligner sur les positions de l’Administration américaine en annonçant la fin de l’accord qui la liait à Huawei et qui lui permettait de céder les applications mises en place par la firme chinoise dans ses téléphones mobiles à travers le programme Android. Cette décision constitue une étape supplémentaire dans la bataille opposant la firme chinoise et l’Administration américaine et accélère les inquiétudes et les incertitudes sur l’avenir de l’économie mondiale.
Cette bataille n’est qu’un chapitre d’une guerre beaucoup plus importante qui oppose les deux grandes puissances de la mondialisation : les Etats-Unis, puissance qui a dominé l’économie mondiale héritée de la Seconde Guerre mondiale et la Chine, nouvelle puissance de la globalisation, qui pourrait dominer le monde de demain. Les inquiétudes américaines devant la montée de la Chine ne datent pas d’aujourd’hui, mais remontent à la fin du siècle passé lorsque les tigres asiatiques commençaient à passer de la position d’alliés à celle de concurrents. L’ensemble des administrations américaines ont cherché à gérer ces inquiétudes et cette situation de manière « soft » et éviter de rentrer en opposition directe avec les nouveaux pays émergents.
Or, l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche a été à l’origine d’un changement radical de la stratégie américaine. Le président américain a opéré une rupture avec les politiques de ses prédécesseurs et a décidé dans le cadre de son programme « America first » de déclarer une véritable guerre commerciale ouverte avec la Chine, en promulguant une série de nouvelles taxes douanières sur les exportations chinoises pour le marché américain. La Chine n’est pas en reste et a décidé de son côté de mettre en place de nouvelles taxes sur les importations américaines.
Mais, afin d’arrêter cette guerre commerciale et d’épargner au monde ses effets dévastateurs, la Chine et les Etats-Unis ont entamé d’importantes négociations, longues et difficiles, afin de parvenir à un accord sur les principaux points de divergence. De notre point de vue, il est possible de souligner six sujets contentieux entre les deux grandes puissances économiques. Le premier concerne le niveau de l’excédent commercial chinois vis-à-vis des Etats-Unis qui a atteint à la fin de l’année 2018 un montant de 300 milliards de $. L’Administration américaine a souligné à maintes reprises que le niveau de ce déficit est inacceptable, d’autant plus qu’il ne provient pas d’une plus grande compétitivité des exportations chinoises, mais des politiques commerciales restrictives appliquées par la Chine et qui sont à l’origine de la perte de 5 millions d’emplois dans l’industrie manufacturière américaine. Cette question ne semble pas soulever de grandes oppositions et les autorités chinoises se sont déjà engagées à augmenter leur achat de produits américains.
Le second sujet concerne la question de la propriété intellectuelle et les critiques adressées par beaucoup de pays et d’institutions internationales aux autorités chinoises les accusant de manquer de détermination dans la lutte contre la contrefaçon. Mais, il semble que les autorités chinoises aient opéré un important changement à ce propos, particulièrement à partir du moment où les entreprises chinoises sont passées de la phase de l’imitation à celle de l’innovation et de la création. Les autorités chinoises ont mis en place de nouvelles lois dont l’institution d’une Cour spécialisée dans la protection de la propriété intellectuelle. Mais, les autorités américaines considèrent que ces avancées sont timides et insuffisantes, car beaucoup d’entreprises chinoises continuent à inonder le marché mondial avec des contrefaçons de grandes marques internationales sans que les autorités chinoises montrent une grande détermination pour les en empêcher.
Le troisième sujet de discussion et de controverse entre les autorités chinoises et américaines concerne le transfert de technologie et l’accès aux marchés. Les pays occidentaux critiquent les lois chinoises qui obligent les investisseurs étrangers à s’associer avec des partenaires locaux, ce qui leur permet de maîtriser la technologie pour devenir plus tard d’importants concurrents des entreprises des pays développés. Les pressions des Etats-Unis et des pays européens ont commencé à porter leurs fruits et les autorités chinoises ont autorisé certaines entreprises comme Tesla à investir sans avoir recours à un partenaire local. Mais, l’Administration américaine maintient ses pressions pour ouvrir le marché chinois aux services financiers, et particulièrement aux géants américains de ce secteur dont Visa et Master Card.
Le quatrième sujet de divergence concerne le secteur industriel avec l’appui apporté par les autorités chinoises aux entreprises dans le cadre de la nouvelle stratégie de développement industriel appelé « Made in China 2025 » qui cherche à construire leurs capacités dans les nouveaux secteurs comme l’intelligence artificielle. L’Administration américaine a adressé d’importantes critiques à ce programme et considère que l’appui des autorités chinoises est en train de fausser les règles du marché, notamment dans les nouveaux secteurs mais également dans les secteurs traditionnels comme l’acier et l’aluminium qui ont constitué le point de départ de cette guerre commerciale.
Cette question sera certainement la plus difficile à résoudre. La Chine n’hésite pas à critiquer l’appui apporté par les Etats-Unis, mais aussi par les autres pays développés à leurs secteurs agricoles et leurs entreprises industrielles.
Le cinquième sujet de controverse concerne la stabilité de la monnaie chinoise, le Renminbi. L’Administration américaine accuse les autorités chinoises de laisser glisser leur monnaie en dépit de leurs importantes réserves pour en faire un élément de soutien à la compétitivité des exportations chinoises sur les marchés internationaux.
Enfin, le dernier sujet de controverse concerne l’OMC où l’Administration américaine et les autres pays développés exigent une réforme en profondeur de l’institution pour que les pays émergents ne bénéficient plus du traitement spécial et différencié qui doit être limité aux pays les moins avancés. La Chine et les pays émergents sont totalement opposés à cette réforme.
Ces questions sont au cœur de négociations complexes et difficiles entre la Chine et les Etats-Unis. Cette guerre commerciale ouverte est au centre des inquiétudes et des peurs sur l’avenir d’une économie mondiale chancelante et fragile. En outre, cette guerre est un signe important de la crise profonde de la globalisation et de l’incapacité des pays de résoudre les conflits économiques. Cette guerre commerciale vient également renforcer la crise politique et sociale et la perte de confiance dans le système démocratique qui est en train d’ouvrir le monde sur l’inconnu et un avenir inquiétant ouvert au jeu menaçant des aventuriers et des populistes.

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