Depuis la crise de la Covid-19, la globalisation est entrée dans un processus de grandes transformations. Ainsi, est-elle un sujet omniprésent de réflexions et d’études de la part des Etats et des gouvernements, au même titre que des centres de réflexion stratégique et des grandes institutions internationales. Ces transformations et ces changements sont en train de s’opérer au moment où notre pays et bien d’autres pays dans le monde mettent en place des stratégies de sauvetage et de relance économique afin de construire de nouveaux modèles de développement.
La question qui nous vient alors à l’esprit est de savoir comment les programmes de relance de la croissance peuvent bénéficier de ces grandes transformations qui ont connu une accélération notoire au cours des dernières semaines, suite à la pandémie de la Covid-19.
Mais les difficultés de la globalisation et sa mise en retrait ne datent pas de la pandémie mais remontent à plusieurs années. La globalisation a représenté, depuis le début des années 1990, un projet et une utopie pour la reconstruction du monde afin de sortir définitivement du projet de l’Etat-nation hérité de la paix de Westphalie du 24 octobre 1648 pour se renforcer au fil des siècles et devenir le cadre stratégique d’organisation de la vie politique, économique sociale et culturelle.
L’Etat-nation va connaître son âge d’or après la Seconde Guerre mondiale où le programme de modernisation, avec la mise en place du fordisme dans les grandes puissances industrielles, contribuera à la plus grande période de croissance dans l’histoire du capitalisme contemporain, provoquant l’apparition de la consommation de masse et de la société du baby-boom.
Or, cet âge d’or sera également le début de la fin du projet de l’Etat-nation et celui d’une quête effrénée d’un projet pour reconstruire le monde et sa gouvernance sur de nouvelles bases.
L’essoufflement du concept de l’Etat-nation s’est produit dans un contexte marqué par la crise des deux projets politiques qui ont dominé le monde depuis le début du siècle, à savoir le projet social-démocrate d’un côté et le projet communiste de l’autre. Aucune de ces deux orientations ne pouvait présenter un projet politique alternatif et un nouveau programme pour sortir de la crise de l’Etat-nation.
En même temps, la scène politique, économique et intellectuelle va connaître le retour en force du projet néolibéral dès le début des années 1990 après une longue traversée du désert, immédiatement après la grande dépression de 1929. Ce projet et cette nouvelle utopie vont rapidement dominer la scène avec deux objectifs essentiels. Le premier concerne la fin de l’Etat-nation et sa remise en cause profonde à travers le programme des grandes réformes économiques et sociales néolibérales qui vont remettre en cause le rôle de l’Etat dans la régulation de l’ordre marchand et faire du marché le fondement de la dynamique économique et sociale.
Le second objectif est de faire du projet de la globalisation l’alternative stratégique au modèle de l’Etat-nation. Depuis cette date, l’utopie néolibérale va devenir le nouvel ordre d’organisation politique, économique et sociale du monde de la postmodernité.
Cette nouvelle utopie va chercher à instaurer un monde économique qui assure une libre circulation des capitaux, des marchandises, des entreprises et des investissements sans frontières ni difficultés. Cette transformation de l’ordre global contribuera, selon ses défenseurs, au renforcement de l’efficacité et de l’efficience du système économique en levant tous les obstacles à la libre circulation des biens et des services. La nouvelle utopie du XXIe siècle, avaient prédit ses prophètes, non seulement contribue à la stabilité de l’ordre global mais également renforce la croissance et le bien-être social des citoyens du monde.
L’utopie a connu des années de succès jusqu’au début des années 2000 pour devenir le cadre dominant dans la pensée stratégique politique globale et dans l’organisation du monde.
Mais, les nuages vont commencer à assombrir le ciel du monde pour se transformer en tempêtes, mettant en péril la stabilité de l’ordre global.
La crise financière des années 2008 et 2009 va être la sonnette d’alarme face au projet de la globalisation néolibérale. En effet, même si le système global a pu sortir de cette crise et dépasser le danger de la faillite d’un grand nombre de banques internationales et de grandes institutions financières, les difficultés vont se poursuivre et seront à l’origine d’une crise de légitimité politique du projet de globalisation et de son efficacité économique et sociale.
Cette crise de la globalisation va se renforcer au cours des années à travers différentes formes comme les guerres commerciales entre les grandes économies mondiales. Ainsi, le monde va-t-il traverser d’importants conflits commerciaux entre les Etats-Unis et la Chine d’un côté, et les Etats-Unis et l’Europe de l’autre, qui ont pesé lourdement sur la croissance globale et la stabilité du système international.
Ces guerres ne se sont pas limitées au niveau commercial mais ont également touché le domaine industriel où les conflits sont dominés par les rapports entre la Chine et les Etats-Unis qui connaissent une concurrence sourde sur la maîtrise des nouvelles technologies digitales et les industries 4.0 qui sont au cœur de la domination du monde de demain.
Ces conflits ne se sont pas limités aux guerres commerciales et industrielles, mais ont également touché les institutions de gouvernance de l’ordre global. Ainsi, elles ont commencé à connaître des difficultés et des blocages à cause des divergences et des contradictions entre les grands pays membres. Par conséquent, l’inefficacité a commencé à toucher des institutions comme les Nations-Unies, la Banque mondiale, le FMI et l’OMC qui ont bien du mal à gérer un ordre global dans la tourmente. Ces crises à répétition sont au cœur des difficultés du système multilatéral.
La crise de la Covid-19 va renforcer la crise de la globalisation. Le monde va alors connaître trois nouveaux défis. Le premier est relatif à sa grande dépendance vis-à-vis de la Chine dont la situation économique va influencer l’état de santé de l’économie mondiale. Le recul de la croissance chinoise suite à la crise de la Covid-19 sera à l’origine de son entrée dans une récession sans précédent, confirmant ainsi l’adage « lorsque la Chine tousse, le monde tremble ».
Le second défi qui a renforcé la fragilité de la globalisation concerne la forte dépendance qu’elle a engendrée dans les industries stratégiques comme l’industrie pharmaceutique, les industries alimentaires vis-à-vis de quelques centres comme la Chine et l’Inde. Cette pandémie a mis un grand nombre de pays dans de grandes difficultés, notamment en Europe et aux Etats-Unis pour fournir les équipements nécessaires et parfois même les plus simples, comme les masques.
Cette dépendance stratégique a poussé certains pays à reculer sur la globalisation et à revenir à l’idée et au projet d’une grande autonomie dans certains secteurs et de constituer des stocks.
Le troisième défi concerne l’arrêt total des chaînes de production globale et leur incapacité à assurer la circulation des matières premières et des semi-produits. La fermeture des frontières et l’arrêt des échanges pour une longue période ont eu des effets importants avec l’arrêt de la production et la perturbation des réseaux de distribution.
Ces crises à répétition ont ouvert la réflexion sur l’avenir de la globalisation et le nouveau cadre de reconstruction du monde. Dans les grands think-tank globaux et dans les grandes institutions internationales, la réflexion s’oriente vers le retrait de l’utopie de la globalisation et l’orientation vers une organisation régionale de la globalité pour en faire le nouveau cadre d’organisation du monde. Ainsi, trois ou grandes régions sont en train de se structurer au niveau global, notamment la région européenne, l’Asie, l’Amérique du Nord et l’Amérique Latine.
Au niveau économique, certains pays ont commencé à réfléchir sur la recomposition des chaînes de valeur au niveau régional, et à chercher à encourager les stratégies de relocalisation de certains secteurs.
Cette relocalisation ne sera pas facile à mettre en place. Les faibles coûts de production dans certains pays en développement continuent à jouer un rôle important dans la compétitivité de certains secteurs. En même temps, le départ de certaines activités industrielles avait pour objectif de se rapprocher des matières premières qui n’existent pas dans les pays développés. De plus, certaines compétences qui se trouvent dans les pays en développement qui ont accompagné certains segments de ces chaînes de valeur ne sont pas disponibles dans les pays en développement, ce qui rendra ces relocalisations difficiles.
Mais, en dépit de ces difficultés, la voie de sortie de la globalisation et sa reconstruction sur une base régionale semblent les plus privilégiées dans les réflexions stratégiques en cours. Nous devons prendre ces questions en considération au moment où nous entamons la réflexion sur notre programme de sauvetage et de relance de notre modèle de développement post-Covid-19.
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