Les parias de Barraket Essahel ou l’inavouable blocus

Beaucoup de victimes de l’affaire connue sous l’appellation du “complot présumé de Barraket Essahel 1991” sont aujourd’hui dans une situation précaire, à la croisée des chemins, car le recouvrement de leurs droits n’est pas encore à l’ordre du jour. La réhabilitation complète, en tenue militaire, tarde à venir pour des raisons que la raison ne connait pas.

Pour les victimes ulcérées par cette tragédie qui perdure, le commandement militaire, qui connait l’ampleur des injustices subies, n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour abréger le calvaire de ces anciens soldats.

Dans cette situation exceptionnelle, le seul réceptacle des doléances est le ministère de la Défense nationale. En ces journées exceptionnelles de l’histoire de notre pays, bon nombre d’hommes politiques responsables, en réponse aux doléances des citoyens, promettent à ces derniers, sans engagement moral ni risque encouru, des dates butoirs et des promesses, qui sont hélas à géométrie variable. D’ailleurs c’est ce qui explique cette pléthore de déclarations qui n’engagent malheureusement que ceux qui y ont cru.

L’exemple de l’intervention en direct du ministre des Droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle, dans une émission diffusée au cours du mois de février 2012 sur une chaîne de la télévision locale, ne sera pas oublié de sitôt par les victimes de Barraket Essahel. Ces militaires qui ont vu leurs carrières brisées et leurs familles traumatisées, voire anéanties parfois, sont à ce jour traités comme des parias, des lépreux dont on craint la contagion. En effet, les médias officiels sont sourds à leurs appels et un sentiment d’amnésie générale du souvenir douloureux des évènements des années 1990 semble planer chez de nombreux responsables politiques, oubliant la volonté implacable du destin.

Certes, après le 14 janvier 2011, le département de la Défense a agi, mais sans empressement aux yeux des victimes, pour réparer cette tragique erreur que l’histoire ne pourra jamais ignorer. L’institution militaire elle-même a été touchée dans sa dignité bafouée, violentée dans la chair de ses hommes, sans égard aucun pour leurs épouses, leurs enfants, vilipendée dans les médias de l’époque, journaux et télévisions aux ordres du pouvoir. «Le capitaine Ahmed Amara, l’officier qui a reconnu le présumé complot de Barraket Essahel au soir du 22 mai 1991 devant les caméras de la télévision nationale», cité par le ministre de l’Intérieur de l’époque, a purgé trois ans de prison pour un crime imaginaire ; que dire de ceux qui ont purgé 3, 5, 11 et 16 ans ? Le tribunal  militaire a au total distribué généreusement 384 années de prison aux 93 militaires inculpés injustement. À la suite de ce prétendu complot, de longues années de privations et de douleurs ont façonné la vie familiale et le destin de chacune des victimes. Aujourd’hui il est grand temps de trouver la formule juste qui console et répare, sans haine ni rancune.

Refuser aux victimes de porter l’uniforme lors d’une cérémonie symbolique revient à refuser leur réhabilitation. Ceux qui ont été épargnés par le couperet en 1991 sont aujourd’hui aux commandes de l’armée. L’esprit de corps et la fraternité d’armes ainsi que les us et coutumes de la vie militaire dans toutes les armées du monde recommandent le soutien et l’appui des frères d’armes en ces circonstances; malheureusement, ce n’est pas le cas dans cette affaire. Le prima du politique sur le militaire depuis de nombreuses années a détruit le leadership militaire qui n’a pas saisi l’opportunité offerte le 14 janvier. La connaissance de la vérité, avec l’ouverture des archives et leur lot de surprises, apportera certainement un apaisement des cœurs et des consciences ; les actions en justice entreprises par les victimes et les revendications matérielles au titre des actions réparatrices passeront alors au second plan. Quant à la question de la réconciliation que certains veulent propulser au premier rang, il est difficile de pronostiquer un jugement tant la vivacité des souvenirs est encore là. La question demeure posée : pourquoi ce blocus ? Ne croit-on pas à l’innocence des victimes ? Ce ne sont pas les réparations matérielles qui font obstacle, mais bien autre chose. L’histoire ne tardera pas un jour ou l’autre à révéler ses secrets.

Le ministère de tutelle dispose de toutes les données administratives et sécuritaires pour régler cette affaire qui a été montée de toutes pièces… avec la passivité du commandement de l’époque.

L’été 2012 a apporté beaucoup d’espoir au sein de l’académie militaire et beaucoup de baume au cœur des victimes qui patientent et refusent de se laisser abattre par l’inertie politique des gouvernants. Après plus de dix-huit mois d’instruction, l’action réparatrice engagée par ce même ministère est demeurée en deçà des propositions et des attentes les plus mesurées, soumises par l’association Insaf, l’interlocuteur légal représentant les 244 militaires.

La reconnaissance publique par le président de la République, chef suprême des forces armées, le 23 juin dernier, a réconforté les victimes militaires dans leur dignité et fermé les blessures douloureuses. Plus de cinq mois se sont écoulés depuis cette date historique marquant la renaissance des victimes, sans qu’un seul geste important n’ait été accompli.

Seule la journée des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 célébrée au palais de Carthage a réconforté les victimes, leurs familles et tous les citoyens épris de justice et témoins des abus du passé.

La cicatrisation n’a pas encore commencé et elle demandera du temps. Elle ne disparaitra que lorsqu’une décision honnête, respectueuse des années de sacrifices du citoyen en uniforme que sont les militaires, une décision loyale envers la patrie et respectueuse de l’éthique militaire, sera prise par les dirigeants au pouvoir, quelle que soit leur obédience, pour mettre fin à cette tragédie.

À cet effet, nous pensons qu’il est urgent que le ministère de la Défense nationale procède à l’application de l’arrêté n° 3256 du 13 décembre 2012, relatif aux procédures de réintégration et de régularisation de la situation administrative des agents bénéficiant de l’amnistie générale (incluant les 244 militaires réhabilités.)

Le recouvrement des droits statutaires des victimes de Barraket Essahel reste tributaire de la volonté du ministère à concrétiser ces procédures et permettre un règlement définitif de l’injustice de Barraket Essahel qui n’a que trop duré.

L’Association Insaf pour les anciens militaires

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