Par Foued Zaouche*
Quel est le devenir de la Tunisie ? On est en droit de se poser la question car la Révolution a suscité ou réveillé des antagonismes nombreux qui fracturent à présent la société tunisienne, entre les hommes et les femmes, entre les régions, entre les classes sociales, entre les factions religieuses. La Tunisie s’est atomisée et les 150 partis politiques recensés sont à l’image de notre société auxquels il faut rajouter les centaines d’associations de toutes sortes dont certaines jouent un rôle politique certain.
La fracture la plus dangereuse est celle qui se nourrit de la religion et de la lecture qui en est faite. On a l’impression que c’est le règne des cheikhs de toute obédience qui paradent à présent sur tous les plateaux de télévision et dans les mosquées de notre pays, s’adjugeant la faculté de juger de tout, même de ceux qui méritent l’enfer ou le paradis. Les plus extrémistes s’arrogeant le droit de traiter de mécréants ceux qui ne partagent pas leur point de vue.
Sous prétexte d’identité, on veut asservir notre peuple en le conditionnant à l’obéissance et en l’amputant de tout sens critique : ne pense pas, on pense pour toi ! C’est l’attitude de tous ces religieux qui ont confisqué la parole divine à leur profit, ils en ont fait pour certains un commerce lucratif, surtout pour ces prédicateurs étrangers qui viennent nous enseigner, ce qui est à leurs yeux la vraie foi.
On a tout vu à la télévision, des cheikhs de tout acabit, des plus doucereux aux plus virulents, ils ont tous en commun le fait de vouloir se mêler de nos vies privées et publiques, endossant pour cela des habits de censeurs pour régenter nos existences. Des hypocrites qui ont toujours été dénoncés par l’Islam, celui des lumières, celui de l’intelligence. Ce verset 99 de la sourate 9 qui éclaire par sa perfection : « Si ton seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants ? ». Que peut-on rétorquer à cela ? Certes, on peut trouver certainement d’autres versets qui contredisent ce verset mais aucun n’a sa force de conviction car il est emprunt d’une lumière divine qui emporte les consciences. C’est d’une logique implacable car Dieu est « le meilleur des juges ».
La seconde fracture, nous la voyons dans la rédaction de cette Constitution dont la dernière mouture sera présentée incessamment à l’approbation de l’Assemblée générale. Il existe encore des points de divergence et on est très loin de parvenir à un accord tant les calculs politiques sont nombreux et antagonistes. Les députés d’Ennahdha ne pensent qu’à conserver le pouvoir et nous les avons vus durant tous ces mois, ergoter, tergiverser, jouer avec l’opinion, faisant référence à la religion alors que celle-ci n’est pour eux qu’un créneau politique dont ils abusent.
Ils se sont révélés depuis qu’ils sont au pouvoir des gens ordinaires et même parfois pour certains parfaitement incompétents. La religion dont ils se targuent ne les a en rien inspirés, ni dans leurs paroles, ni dans leurs actes. Ce sont des hommes politiques dont la vision est en contradiction avec le sens de l’Histoire et qui ne comprennent pas les enjeux économiques de notre pays. Cela s’est révélé lorsque certains constituants de l’opposition ont voulu ajouter le mot de « méditerranéen » pour qualifier la Tunisie et les réticences d’Ennahdha pour le faire. C’est une affaire de culture et de conviction, car nous sommes par essence un pays méditerranéen. Qui peut douter de la grandeur de Carthage punique et romaine, qui peut méconnaître les roulis de l’Histoire sur nos rives, qui peut ignorer que la vocation naturelle de notre pays est de commercer avec la rive nord de la méditerranée qui baigne 1200 kilomètres de nos côtes et non les 500 déclarés par notre inénarrable ancien ministre des Affaires étrangères ?
La troisième fracture, je la vois dans cette loi d’exclusion préparée par Ennahdha et le CPR pour des motifs strictement électoraux de ce qu’on a appelé les anciens Rcdistes et qui concerne des centaines de gens qui, pour l’immense majorité, ont servi leur pays même s’ils ont profité pour certains par opportunisme de la position dominante de leur parti. N’est-ce pas ce que fait actuellement Ennahdha avec ces milliers de nominations partisanes et les passe-droits accordés selon l’appartenance à ce parti ? Faut-il penser, qu’à Dieu ne plaise, s’il y a un jour une autre révolution, que tous les nahdhaouis seraient exclus sans distinction ? L’exclusion politique, s’il y en a une, ne doit être que nominative et exécutée par la seule voie de la justice.
Je dis en contradiction avec le sens de l’Histoire, car les islamistes ne parviennent pas à comprendre ce qui est de la volonté du peuple et de ce qui est de la volonté de Dieu. Cette incompréhension risque de nous entraîner dans la pire des tragédies. Le drame est que la charia est leur seul programme politique et nous allons voir ces prochains jours « la mayonnaise monter » et les antagonismes se creuser. Tout laisse à penser que les nahdhaouis, avec leur obsession forcenée du pouvoir, sont prêts à aller jusqu’au référendum, quitte à plonger le pays dans une crise politique majeure.
La sagesse prévaudra-t-elle ? Aura-t-on un jour une constitution digne de ce nom, celle d’une nation civilisée ? Les paris sont ouverts !
Artiste-peintre et portraitiste
www.fouedzaouche.com