Fini le temps où les pays émergents étaient les stars de l’économie mondiale ! Passé le moment historique où ils étaient les sauveurs de l’économie mondiale ! Aujourd’hui, les pays émergents traversent une crise, beaucoup se demandent s’ils ne vont pas entraîner dans leur chute l’économie mondiale. Et si le monde ne va pas chavirer suite à cette succession de crises qui touchent la Turquie, jusqu’à l’Argentine, en passant par l’Afrique du Sud et l’Indonésie.
Les temps ont bien changé et on est passé d’une vision optimiste de la place des pays émergents dans l’économie mondiale à une perception plus inquiète. Car, faut-il le rappeler, aux moments les plus noirs de l’économie mondiale et en pleine crise financière de l’automne 2008 qui a mis le monde au bord du précipice, ce sont les pays émergents qui ont accouru pour sauver le capitalisme. Tout d’abord, ils ont maintenu une croissance forte et ont permis à l’économie mondiale d’échapper à une déflation et à un effondrement similaire à celui qui a suivi la grande crise de 1929. Ensuite, ces pays ont rejoint la gouvernance globale dans le cadre du G20 et dans les autres institutions internationales, comme le FMI ou la Banque mondiale, et ont contribué ainsi à un atterrissage en douceur de l’économie mondiale après cette grave crise.
Or, cette perception a beaucoup changé depuis quelques mois et c’est plutôt l’inquiétude et l’anxiété qui règnent chez les experts et les grandes institutions internationales quant au rôle à venir des pays émergents et les conséquences des crises qu’ils traversent sur l’économie mondiale. A cela viennent s’ajouter d’autres tensions qui pèsent sur l’économie mondiale, notamment les bruits de bottes sur le front de la guerre commerciale ou la sortie des politiques monétaires expansionnistes.
Les inquiétudes et les interrogations sur l’influence qu’auront les crises des pays émergents sur l’économie mondiale viennent de leur importance croissante dans l’ordre global. Ces pays représentent aujourd’hui plus de la moitié du PIB mondial, alors que leur part ne dépassait pas 40% au début des années 1990. Par ailleurs, ces pays ont porté la croissance globale et ont permis à l’économie mondiale de garder son souffle après la grande crise de 2008/09.
Les crises récentes de certains pays émergents ont montré leur fragilité et la diversité de leurs modèles économiques. Mais, au-delà de cette diversité, leurs économies connaissent trois défis majeurs. Le premier est lié à une grande montée de l’endettement. Il s’agit d’une dette interne mais les inquiétudes proviennent surtout d’une croissance rapide de l’endettement externe public et privé.
Le second défi est lié à l’évolution des politiques économiques au niveau international, et plus particulièrement, les sorties des politiques monétaires expansionnistes et particulièrement les hausses successives des taux d’intérêt opérés par la FED. Ces nouveaux choix de politique monétaire ont eu des effets immédiats sur les pays émergents et particulièrement sur ceux ayant des déficits sérieux dans les balances courantes. Ces pays, dont l’Argentine, la Turquie et l’Indonésie, ont connu d’importantes sorties de capitaux qui ont pris la direction des marchés des pays avancés, particulièrement le marché américain. Ces sorties de capitaux ont été à l’origine d’une forte dévalorisation des monnaies nationales et d’une forte inflation importée. La situation des comptes extérieurs a conduit ces pays à opérer un changement de cap en matière de politique monétaire à travers une forte hausse des taux d’intérêt afin d’arrêter l’hémorragie au niveau des comptes externes et maîtriser le fléau inflationniste. Ce changement de politique monétaire va avoir des effets négatifs sur la croissance et se traduire par une montée du chômage. Ce marasme dans beaucoup de pays émergents pèse sur la croissance mondiale.
Le troisième défi est plutôt d’ordre structurel et concerne la transition de ces pays vers d’autres secteurs plus intensifs en nouvelles technologies et plus dynamiques sur les marchés internationaux. Les pays émergents ont connu une croissance rapide de leur productivité au cours des années 1990 et 2000 dans des secteurs traditionnels qui leur ont permis de connaître des niveaux de croissance à deux chiffres. Or, ces dynamiques ont atteint leurs limites, et si certains pays, comme la Chine ou l’Inde, sont parvenus à sortir de la « trappe des pays intermédiaires », d’autres éprouvent de grandes difficultés et leur dynamique de croissance reste fortement liée aux matières premières. Ces pays doivent donc mettre en place les politiques nécessaires pour assurer cette transition et sortir de cette « trappe ».
Les pays émergents connaissent des crises à répétition, particulièrement ceux qui ont accumulé d’importants déficits de leur balance courante, et cela pèse sur la croissance de l’économie mondiale. La sortie de crise passe par une plus grande coopération économique, capable d’assurer la mise en place de politiques économiques, et surtout monétaires, plus cohérentes avec davantage de concertation autour des transitions économiques en cours dans le monde. n