Nous avons choisi d’analyser les priorités des 100 jours relatives à deux ministères-clés en matière de relance de l’activité économique : le ministère de l’Industrie, de l’énergie et des mines et celui de l’Equipement, de l’habitat et de l’aménagement du territoire, car il s’agit de programmes structurants susceptibles d’assumer un rôle d’entraînement sur l’ensemble de l’économie du pays.
Il y a lieu de remarquer que le Chef du gouvernement s’était engagé le 4 février 2015 à l’ARP, d’annoncer au bout d’une semaine le programme des 100 jours, or celui-ci n’a été divulgué que le 16 mars soit avec 37 jours de retard sur la date prévue.
En outre, ces programmes sont tellement ambitieux qu’il faudrait en réalité beaucoup plus que 100 jours peut-être cinq ans pour les réaliser.
Il est vrai que la plupart des ministres ont déjà largement entamé l’exécution de ce programme, c’est-à-dire dès leur prise de fonction.
Industrie, énergie et mines
Les priorités du programme des 100 jours annoncées par le ministre de l’Industrie, de l’énergie et des mines, M. Zakaria Ahmed, sont particulièrement ambitieuses et difficiles à tenir. Cela est dû à la complexité des secteurs d’activité en l’objet, à la profondeur de la crise qui affecte le monde de l’industrie dans notre pays et de l’ampleur des difficultés accumulées par les entreprises depuis quatre ans : à la fois techniques, financières et commerciales. Il faut dire qu’il s’agit d’un grand ministère avec des ramifications et des recoupements avec d’autres secteurs comme l’agriculture, le commerce, les TIC, les transports et les infrastructures de base.
Sauvegarder le tissu entrepreneurial
L’intention du ministère réside en fait dans l’accélération du taux de croissance des différents secteurs d’activité industrielle qui ont souffert des retombées post-révolutionnaires : grèves, sit-in, perturbations sociales et revendications salariales. Or, cela ne peut se faire qu’à travers des programmes et des instruments destinés à sauvegarder le tissu entrepreneurial qui se débat dans des difficultés multiples.
C’est pourquoi, le ministère a décidé de procéder à la restructuration financière des PME en difficulté, par le recours au fonds de soutien des PME. Au cours des 100 jours, il st prévu de sauver 50 entreprises : c’est beaucoup, cela sera difficile à concrétiser, car cela implique que les dossiers sont préparés, étudiés et qu’un programme de sauvetage est élaboré, ensuite approuvé et enfin passer à l’action avec versement de l’argent. Compte tenu de l’inertie administrative et des formalités bureautiques, cela demandera beaucoup plus de temps.
Le ministère de l’Industrie a décidé de mettre au point un programme d’accélération des projets déclarés à l’API et relatifs aux dix gouvernorats considérés comme défavorisés.
Il s’agit d’assurer le suivi de ces projets qui sont au nombre de 600 afin d’examiner quelles sont les difficultés qui font obstacle à la réalisation de ces projets et dans quelle mesure le ministère peut “faciliter les choses” ?
Le ministère se propose de créer durant les 100 jours une cellule au niveau national, destinée à soutenir les PME pour les sauver de la faillite. C’est le programme SOS PME, cela suppose plusieurs cadres supérieurs compétents en matière économique et financière mobilisés pour étudier les bilans et écouter les patrons de PME afin d’échafauder les plans de sauvetage appropriés.
Il faut ensuite trouver des solutions objectives et efficaces : cela demande beaucoup de temps et d’efforts mais aussi des ressources financières à trouver.
Améliorer la compétitivité et impulser la rénovation technologique
Le ministère se propose de relancer le programme de mise à niveau des entreprises industrielles en débloquant le versement des primes à l’investissement relatives à 120 entreprises qui ont réalisé leurs projets. En même temps, il y a lieu d’accélérer le rythme d’amélioration de la compétitivité et d’accès aux marchés pour les entreprises adhérentes au PCAM, financé par l’UE.
Il importe également de lancer les programmes d’exécution relatifs à 6 entreprises pour un coût de 30 millions de dinars, ce qui favorisera la création de 6 clusters et la préparation de la mise sur pied de 10 nouveaux laboratoires dans le cadre du projet national de métrologie destiné à favoriser les opérations d’innovation et d’amélioration de la productivité.
Quatre pôles de développement technologiques bénéficieront durant les 100 jours d’un appui technique : Sousse, Gabès, Bizerte et El Fejja-Monastir. Chacun étant spécialisé dans un domaine différent : textile, agroalimentaire, environnement…
Pour le textile-habillement, le ministère s’est engagé à entamer l’application d’un programme destiné à engager le secteur dans un processus d’intégration dans la chaîne de valeur mondiale, soit l’instauration de la cotraitance à la place de la sous-traitance pour une montée en gamme en matière de valeur ajoutée.
Promotion des ressources énergétiques
Notre production énergétique est en train de régresser pour diverses raisons, alors que la consommation nationale augmente de 6% par an, ce qui fait que le déficit de la balance extérieure en la matière est en train de s’approfondir. C’est pourquoi, le ministère a donné la priorité à l’accélération des projets de production pétrolière relatifs à quatre gisements pour un investissement de l’ordre de 300 millions de dinars. A propos du gaz, l’ETAP avec son partenaire australien OMV a entamé l’exécution du projet Naouara appelé gaz du Sud avec ses deux volets : alimentation par gazoduc Gabès et Tataouine, ce qui va créer 460 emplois durant les travaux.
Parallèlement, la STEG va renforcer sa production d’électricité par la mise en marche de la nouvelle centrale électrique Sousse “D” avec une capacité de 420 mégawatts. Le programme d’extension du réseau de distribution de gaz naturel dans les régions se poursuivra par la connexion de plusieurs régions dont Jerba-Zarzis, Gafsa, Metlaoui, Mansoura (Kairouan), Ksour Essaf et Boumerdès. 12.000 logements seront raccordés au réseau national de gaz naturel.
Le texte de loi relatif au projet de promotion des énergies renouvelables sera réajusté à l’ARP, suite aux remarques faites par le Tribunal administratif relatives à la conformité de la loi vis-à-vis de l’esprit et de la lettre de la Constitution, outre la publication des textes d’application.
Il s’agit également d’accélérer la mise au point des projets de maîtrise de la consommation d’énergie : capteurs solaires, lampes à consommation réduite,…
Où en sommes-nous dans le secteur des phosphates
C’est là que le bât blesse. En effet, le ministère se propose de remettre en bon état de marche le bassin minier de Gafsa qui est paralysé depuis quatre ans. Il y a là comme un doute qui plane sur la réalisation de cet objectif, compte tenu de l’avancement de ce projet à l’heure actuelle.
En effet, la persistance des perturbations sociales au niveau des quatre sites de production, mais aussi au niveau du transport, ne permettront pas d’atteindre l’objectif déjà très modeste assigné par le ministère, soit 500.000 tonnes de phosphates par mois alors qu’en 2010 c’était déjà 700.000 tonnes par mois.
La nouvelle usine de production chimique Mdhilla II ne sera jamais mise en marche à ce rythme, soit trois ans de retard : le coût sera exorbitant pour la collectivité nationale. Il faut dire que les autorités régionales sont incapables de mettre de l’ordre dans le bassin minier, en imposant le respect de la liberté de travailler.
Par ailleurs le ministère s’active pour le lancement de l’exploitation du projet, toujours dans les phosphates de Om El Khacheb, Sra Ourtane et Meknassy.
Infrastructures de base et équipements collectifs
Les études sont ficelées depuis longtemps et les financements extérieurs nécessaires ont déjà été obtenus auprès des bailleurs de fonds depuis des mois, sinon des années pour plusieurs projets d’infrastructure de base. Malgré tout cela, il y a eu peu de réalisations durant ces quatre années à cause des perturbations sociales postrévolutionnaires, mais aussi de la succession de plusieurs ministres à la tête du ministère de l’Equipement, ce qui fait que la volonté politique n’était pas toujours au rendez-vous. Il y a eu également une défaillance au niveau de la maintenance des routes.
Avec M. Mohamed Salah Arfaoui, il a été constaté une ferme volonté d’aller de l’avant avec plusieurs visites sur le terrain et un effet d’entraînement sur les cades supérieurs de ce grand ministère qui englobe : ponts et chaussées, habitat et aménagement du territoire.
Redémarrer les chantiers d’autoroutes
Les chantiers de construction d’autoroutes étaient tous à l’arrêt pour diverses causes, dont les problèmes fonciers et les perturbations sécuritaires et sociales sur une longueur totale de 385 km, ce qui est très ambitieux, compte tenu de la capacité financière humaine et technique du pays.
Il s’agit notamment de Sfax-Ras Jedir (331 km) avec ses trois tronçons et Oued Zarga-Bousalem (54 km). Le coût global étant de 1500 millions de dinars. Il s’agit de faire reprendre les travaux par les entreprises de bâtiment quitte à résoudre en parallèle les problèmes en suspens. Une tâche titanesque dans la conjoncture actuelle.
13 projets de construction de routes connaissent des obstacles avec un coût de 150 MD : le ministère se propose de faire accélérer les travaux.
Le même ministère se propose de lancer 35 nouveaux projets routiers pour un montant de 183 MD portant sur une distance de 340 km, répartis sur plusieurs gouvernorats.
En ce qui concerne la maintenance des routes numérotées à caractère structurant y compris les ponts, il s’agit de lancer des projets pour un coût de 140 MD sur une longueur de 1150 km.
A propos des pistes agricoles, les projets à lancer durant les 100 jours portent sur 526 km pour un coût de 60 MD.
Un projet à caractère exceptionnel et pilote sera exécuté pour la maintenance des routes avec aménagement des abords : enlèvement de gravats, élimination des végétations sauvages, soins portant sur les plantations limitrophes et autres obstacles qui obstruent les lits des oueds pour un coût de 12 MD.
Il y aura lancement d’un nouveau projet avec un budget de 440 MD qui sera consacré à la construction de 145 km pour doubler la route GP 4 Fahs-Siliana, GP 12 Sousse-Kairouan, RV 133 Bir Mcherga-Zaghouan.
Reprendre l’édification de bâtiments civils
Le ministère se propose de reprendre les travaux de construction de certains bâtiments civils qui revêtent une certaine importance comme l’Institut supérieur des sciences appliquées et des technologies de Kasserine dont les travaux sont à l’arrêt depuis 12 mois pour un montant de 15 MD.
Le pôle technologique d’Al Ghazala à l’Ariana dont les travaux d’extension sont à l’arrêt depuis trois ans pour un coût de 32 MD.
Recherche de financement
Le ministère va entamer un processus de recherche de financement relatif aux grands projets d’infrastructures de base, tels que le pont fixe à construire sur le canal de Bizerte, la route prioritaire Tunis-Jelma : 188 km, le réseau routier régions intérieures express de 386 km, la route périphérique Grand Tunis : X 30 longue de 80 km.
Les infrastructures du transport aérien et maritime
Il y a lieu d’entamer la construction de deux quais au port de Radès pour une longueur de 530 mètres avec lancement de l’appel d’offres pour décongestionner le port.
Le ministère se propose également d’entamer les travaux de construction d’une polyclinique, toutes spécialités, à Tataouine.
Un imposant et urgent programme de réparation et de maintenance d’établissements scolaires sera réalisé dans les zones rurales et frontalières notamment des écoles primaires.
Deux cent hectares de zones industrielles seront aménagés avec création de cinq groupements de maintenance et de gestion des zones industrielles en plus de la construction de locaux industriels sur une superficie de 16.500 m2. Création de six nouveaux laboratoires situés dans les centres techniques dans différentes spécialités. Un ensemble de dispositions seront prises pour améliorer la qualité des prestations de services dans le port de Radès et l’aéroport de Tunis-Carthage, parmi lesquelles : création d’une société pour la gestion de la logistique à Radès, installation d’une voie ferrée et la réactiver pour la manutention et le transport des containers, création d’une société destinée à promouvoir le projet du port en eau profonde à Enfidha.
Il y a beaucoup de projets à entamer et autres à achever. Certes, la bonne volonté existe, encore faut-il que les formalités soient remplies avec célérité et que les ressources financières suivent. La volonté politique ne suffit pas. Il faut que l’Administration prouve qu’elle est encore efficace pour sauver le pays du marasme économique.
Ridha Lahmar