Les réfugiés sont-ils réellement une charge économique ?

Après quelques jours de résistance devant les réfugiés qui arrivaient par milliers et devant l’émotion suscitée par la photo de l’enfant Aylan Kurdi échoué sur la plage après avoir échappé aux mains de ses parents sur leur bateau de fortune pour fuir la guerre, l’Europe est en train de se mobiliser comme elle ne l’a jamais fait par le passé pour venir en aide aux milliers de réfugiés syriens. En dépit des résistances de certains pays et des divergences sur leur part dans cet effort de solidarité et dans le nombre de réfugiés à accueillir, les grands pays européens ont décidé d’assumer leurs responsabilités et de les accueillir en grand nombre.

Cette décision constitue un important changement dans les politiques migratoires et dans l’accueil des réfugiés marqué par le passé par une grande fermeté. La dureté de ce qu’on appelle pudiquement « les politiques de maîtrise des flux migratoires » s’explique par un double phénomène. Le premier est l’augmentation du flux d’immigrés fuyant la pauvreté ou les guerres qui, au péril de leur vie, cherchent à atteindre les rives européennes. Le second concerne la montée des partis d’extrême droite qui rejettent l’autre et cherchent à limiter sa présence en Europe pour des raisons politiques, économiques et raciales dans la mesure où l’Europe doit rester avant tout une terre blanche et chrétienne. Ces positions et la fermeté contre les immigrés ont été relayées pour des raisons électoralistes par les forces de droite classique et même d’autres partis de gauche. La fameuse phrase « nous n’accueillerons pas toute la misère du monde » prononcé en janvier 1990 par le Premier ministre de gauche de l’époque, Michel Rocard, est devenue le leitmotiv des politiques européennes en matière d’immigration et du serrement de vis dans l’attitude des pouvoirs publics en France contre les immigrés.
Plusieurs raisons ont été évoquées à l’époque pour justifier ce retournement des politiques européennes en matière migratoire parmi lesquelles on peut évoquer les arguments politiques, sécuritaires ou sociaux. Mais, l’argument qui a conduit ce changement de cap a été surtout d’ordre économique. En effet, pour les fossoyeurs des vieilles politiques européennes d’accueil des populations immigrées, la crise économique qui persiste en Europe avec le développement rapide du chômage sont à l’origine de cette nouvelle politique migratoire plus restrictive. Selon les défenseurs de cette nouvelle politique, les flux migratoires contribuent à l’aggravation de la crise en augmentant le chômage et en exerçant une pression sur les salaires dans les pays développés à travers la concurrence qu’ils installent entre les travailleurs européens et la force de travail immigrée prête à accepter des salaires moins importants. Or, ces deux arguments ont été battus en brèche. Au contraire un consensus est en train de s’établir entre les experts et les institutions internationales pour considérer que l’immigration est une aubaine pour les pays développés y compris dans un contexte de faible croissance et de niveaux élevés de chômage.
Le premier argument sur la contribution de l’immigration dans l’augmentation du taux de chômage a été remis en cause par plusieurs études. C’est le cas par exemple de l’étude qui a été préparée par l’OCDE en 2004 sur les conséquences de l’élargissement de l’Union européenne et particulièrement sur l’impact en Grande-Bretagne suite à l’entrée de la Pologne et l’arrivée de près d’un million de travailleurs immigrés. Cette étude a été on ne peut plus claire et a indiqué que le mythe de l’ouvrier polonais qui allait prendre le travail britannique n’existait pas et que l’arrivée de la main d’œuvre polonaise n’a pas été à l’origine d’une augmentation rapide du chômage. D’une manière générale, les études et les travaux récents montrent la difficulté d’établir un lien évident entre immigration et chômage. Elles ont également montré que même si l’accueil des immigrés se traduit à court terme par des coûts, leur contribution à moyen et long termes est positive et couvre largement les prestations sociales perçues. Reste une question liée aux différents statuts entre les réfugiés et les immigrés, les premiers demandent un travail plus important dans la mesure où ils n’ont pas préparé leur exil, ne parlent pas la langue des pays d’accueil et parfois n’ont même pas eu le temps de prendre leurs diplômes avec eux. L’ensemble de ces éléments relatifs à la contribution positive de l’immigration dans les pays d’accueil y compris à faible croissance et à un taux de chômage élevé ont poussé les experts de l’OCDE à recommander aux pays de réduire le temps d’attente et d’accélérer pour leur intégration dans la dynamique économique.
Le second aspect qui justifie l’opposition à l’arrivée des immigrés concerne la concurrence qu’ils imposent aux travailleurs locaux se traduisant par une pression forte sur les salaires. Or, des études ont montré que cette concurrence n’est pas aussi importante qu’on le pense dans la mesure où les immigrés se dirigent vers des secteurs qui sont délaissés par la main d’œuvre locale. Ainsi, une étude de l’OCDE sur la période 2001-2011 a montré que les immigrés ne sont plus que 15% dans les secteurs en croissance alors que leur présence est plus marquée (28%) dans les secteurs en décroissance et qui sont délaissés par les nationaux. Par ailleurs, l’OCDE souligne qu’à la fin de l’année 2014 le nombre d’emplois non pourvus était de 320 000 alors que le taux de chômage dépassait les 10%. Ces éléments montrent que le second argument sur la peur de la concurrence d’une main d’œuvre étrangère à faible coût pour justifier les politiques restrictives n’est pas non plus justifié.
L’afflux de réfugiés et la forte mobilisation de la société civile et de la population dans beaucoup de pays européens ont amené les grands pays européens comme l’Allemagne, la France et d’autres à réviser les sacro-saintes politiques restrictives mises en place depuis plusieurs décennies et à accueillir des milliers de réfugiés fuyant la guerre en Syrie et en Irak. Cette politique plus généreuse pourrait, contrairement aux affirmations sur lesquelles nous avons vécu depuis de longues années, contribuer positivement à la relance de ces économies. ν

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