Mon ami est un personnage haut en couleur, mais en même temps engagé depuis sa prime jeunesse dans la lutte contre l’aApartheid au sein de l’ANC. C’est un enfant du parti comme beaucoup de Ssud-africains, membre des différentes organisations du parti notamment celle de la jeunesse et des étudiants et aujourd’hui il appartient à l’une des plus hautes instances du parti. Eddy, une petite cinquantaine, fait partie de la troisième génération de dirigeants sud-africains. La première est celle du père de la nation, Nelson Mandela, et de tous ses camarades qui ont commencé avec lui, dès le début des années 1940quarante, ce qui sera une longue lutte contre la ségrégation raciale en Afrique du Sud. Parmi les militants de la première heure qui passeront de longues années en prison avec Mandela, on peut citer Walter Sisulu, Govan Mbeki, Oliver Tambo. Mais, il faut aussi mentionner Joe Slovo et son épouse Ruth First, les dirigeants blancs du parti communiste sud-africain qui ont forgé une alliance stratégique avec l’ANC et ont dirigé la lutte armée contre l’apartheid du temps où les dirigeants sud-africains étaient en prison. Durant ses années de privation et de prison, Nelson Mandela a gardé une détermination sans faille qui lui a valu l’admiration du monde entier et en a fait une icône globale universelle dans la lutte pour la liberté et l’égalité. De ces années dans la prison de Robben Island, il a toujours dit que « la prison, loin de nous décourager, a renforcé notre détermination à poursuivre cette lutte jusqu’à la victoire. ».
L’arrestation de cette première génération de militants contre l’apartheid a été à l’origine de l’émergence d’une seconde génération de dirigeants, de l’intérieur comme de l’extérieur, en exil dont l’actuel président Jacob Zuma, son prédécesseur Tabo Mbeki et bien d’autres dirigeants dont le charismatique Chris Hani assassiné en 1993. Cette seconde génération est aujourd’hui à la tête de l’État, et occupe les plus hauts postes de la direction de l’ANC. Cette génération avait aussi en charge, au moment le plus dur de l’apartheid dans les années 1970, de la jeunesse des townships et ont cherché à en faire les dirigeants de demain et de l’après-apartheid.
La direction du parti a alors décidé d’envoyer beaucoup de jeunes dans les années 1970 et 1980 à l’étranger pour faire des études, grâce au soutien du bloc de l’Est de l’époque, mais aussi à l’appui de beaucoup de pays occidentaux opposés à ces relents anachroniques d’un esclavage honni. Ces étudiants sont rentrés après la sortie de Mandela de prison et le début de la transition armée de leurs diplômes, mais aussi d’un engagement sans faille que les années d’exil n’ont fait que renforcer. Ce sont ces étudiants qui vont constituer la troisième génération de militants de l’ANC qui peuplent aujourd’hui les différentes instances de l’État et du parti. C’est parmi eux que le gouvernement recrute les grands commis de l’État, les hauts responsables des grandes entreprises publiques, les ambassadeurs et toute la cohorte de conseillers de tous les hauts responsables de l’État. Cette génération prendra bientôt la relève et sera en charge de la Rrépublique arc- en- ciel.
Eddy M. fait partie de cette génération. À la fin du lycée, il a été envoyé en France pour faire ses études supérieures. Il a côtoyé durant ces années, Dulcie September, la représentante de l’ANC en France, et il a assisté impuissant à son assassinat en 1988. Mais, il a pu parfaire sa formation universitaire et obtenir un doctorat en relations internationales avant de rentrer comme tous les autres exilés en Afrique du Sud au début des années 1990. Mais, contrairement à tous ses camarades, comme il le dit avec dans un grand éclat de rire, Eddy M. est ouvert, joyeux et festif. Les années d’exil, de clandestinité et de secret ont fait de la plupart des enfants de cette génération des gens très sérieux, avares en paroles et parfois même un peu ternes et ennuyeux. J’en parle souvent avec Eddy de cette spécificité avec toute cette génération de « comrades » et il répond avec un nouvel éclat de rire joyeux et communicatif que c’est certainement le fait d’avoir vécu en France et d’avoir fréquenté «quelques « méditerranéennes ,», et il glisse avecen glissant un petit clin d’œil en cachette à sa charmante femme Ruth, qui m’a fait renoncer au style policé et soupçonneux des organisations léninistes pour une attitude plus heureuse. ».
Eddy est venu nous chercher dans sa voiture rutilante et nous a conduits, avec mes amis, dans l’une des banlieues chics de Johannesburg. On s’est garé devant un grand centre flambant neuf où se côtoient bars chics, restaurants élégants et cafés au style post-moderne. On a rapidement choisi un restaurant où l’on pouvait apprécier la grande tradition sud-africaine des viandes grillées. À peine installés au restaurant et la commande passée, que mes compagnons ont assailli notre hôte de questions. Comment va l’Afrique du Sud ? Parvient-elle à répondre à la demande sociale et à la demande de genspopulaire ? Est-elle en mesure de lutter efficacement contre la pauvreté et d’intégrer ces millions de Nnoirs exclus du système social pendant des décennies par le régime de l’aApartheid du système social ?
Autant de questions qui exprimaient une volonté de connaître mieux et plus la situation d’un pays qui avait entamé, il y a plusieurs années, sa transition vers la démocratie et une plus grande inclusion des populations noires. Et, mon ami se lança dans une analyse brillante et en même temps lucide de la situation locale. En militant bon teint, il nous a expliqué les succès et les réalisations de l’ANC au pouvoir. Mais, il s’est arrêté sur les limites de cette expérience de transition. Et, pour notre ami, l’échec le plus patent est celui de la correction des inégalités. Mes amis lui avaient expliqué qu’ils en avaient eu un aperçu lors de notre visite à Soweto. Eddy s’est lancé dans son analyse et nous a expliqué que la fin des inégalités se trouvait au cœur du programme de l’ANC depuis leur arrivée au pouvoir. Il s’agissait pour les gouvernements de transition, de mettre fin à cette situation historique et de lutter contre ce qui n’était pas seulement une question sociale, mais aussi une question raciale dans la mesure où la population noire était au bas de l’échelle.
Par Hakim Ben Hammouda